Première nuit : sur une table de chevet éclairée par quelques phares éclairant la nuit : un dessous-de-verre sur lequel est tracé un plan. Au matin, le jeune homme s'en va attendre à la terrasse du Théâtre National de Strasbourg (TNS). Il commande un café. Quand la serveuse le lui apporte, perdu dans ses pensées, il le renverse.
Deuxième nuit. Le matin, il se rend de nouveau à la terrasse du TNS. Il crayonne sur un carnet les portraits des jeunes femmes qui s'y trouvent. Il inscrit "Elle" puis y rajoute un "s". Changeant de position, il fait face au café et alors que l'orchestre de plein air se met à jouer, il aperçoit dans le reflet de la vitre celle qu'il cherche. De nouveau, en partant, il renverse sa bière. Cette jeune fille qu'il poursuit d'abord sans la nommer, il l'appelle bientôt Sylvie. Alors qu'il est sur le point de la rejoindre, le téléphone de Sylvie sonne. Il s'éloigne, la perd, se retrouve sur une place, la retrouve. Sylvie prend le tramway, il la suit, l'aborde. Mais elle ne s'appelle pas Sylvie. Ce n'est pas elle qui, six ans plus tôt, dessina sur le dessous-de-verre du bar "Les aviateurs", le plan de l'hôtel où elle habitait. Le jeune homme s'excuse car elle dit la désagréable impression que cela fut d'être ainsi poursuivie.
Le soir, au bar des aviateurs, le jeune homme tente de draguer l'une des jeunes femmes de la terrasse du TNS qui semble lui préférer un type plus baraqué. Pourtant, elle passe la nuit avec lui. Au matin, ils se quitteront sans un mot.
Troisième nuit ; le jeune homme est de nouveau à la terrasse du TNS. Il ne laisse pas insensible la serveuse qui fredonne doucement "Voyage voyage". De nouveau, il croit voir celle qu'il cherche ; il court jusqu'à la station de tram. Mais ce n'est pas elle. Peut-être est-elle là, toute proche. Parmi les passantes auxquelles, il tourne le dos.
Un peu agacé par l'enfermement sociologique dont il se sentait victime après le succès de En construction, Guérin tente ici un film beaucoup plus théorique et purement cinématographique. Avec ce film réalisé pour presque rien, il réduit l'intrigue au minimum pour s'attacher au travail sur les sons et le montage en ne filmant que de beaux acteurs dans un nombre restreint de lieux.
La sociologie se réduit à quelques traits : la présence du vendeur de babioles africaines, du vendeur de roses pakistanais et du chanteur violoniste de l'Est qui, pour Guérin, étant présents dans toutes les capitales, sont le signe de la mondialisation.
Guérin érotise la ville. Il y a la Sylvie-Sylvia cherchée mais aussi la Laure des multiples graffitis qui ornent le quartier, les amoureux sur les bancs publics ou aux terrasses des cafés, les jeunes femmes du tramway si proches des photos publicitaires qui ornent la ville.
Le morceau de bravoure de la mise en scène est la longue attente devant la terrasse du TNS où la caméra, changeant d'axe au grès des positions du jeune homme, découpe des figures successives et changeantes. Elle découpe ainsi dans la foule un faux trio, pourtant filmé frontalement plein cadre pendant de longues secondes, qui s'avère être d'une part un duo amoureux, lorsque la jeune femme penche sa tête sur l'homme de droite et, d'autre part, l'homme d'un autre duo qu'il compose avec la femme découverte par un déplacement de la caméra sur la gauche. Et Guérin de jouer successivement avec les caches de personnes au premier plan qui occultent puis dévoilent les interlocuteurs de belles jeunes femmes à l'arrière-plan ou de reflets dans les glaces.
On notera tout pareillement le travail du son qui oppose ce que perçoit le jeune homme avec des sons objectivés par leur indépendance vis à vis du point d'écoute du personnage principal.
Jean-Luc Lacuve le 23/09/2008