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En voix-off, Sepideh Farsi explique être partie au Caire en espérant pouvoir entrer à Gaza en passant par Rafah pour chercher des réponses à des questions : Comment survit-on à Gaza, sous siège depuis tant d’années ? Quel est le quotidien des Palestiniens sous la guerre ? L'entrée s'avère impossible, car les routes sont bloquées. Sepideh Farsi raconte alors avoir commencé alors à filmer des réfugiés palestiniens arrivant juste de Gaza qui pouvaient encore sortir en payant 8000$ par personne. Elle a été accueillie par une famille gazaouie dont l’un de ses membres lui a parlé d’une amie photographe qui vivait dans le nord de Gaza.
24 avril 2024. Premier échange téléphonique avec Fatima Hassouna. En suivront d'autres jusqu'en novembre avec des connexions souvent fragiles. Elles révèlent la relation très forte de Fatima aux enfants. Dans une école transformée en abri, elle organise des ateliers d’écriture avec eux pour parler de leurs traumas. Elle revendique son identité palestinienne, sa foi en l'Islam. Être photographe est inséparable de l’impératif de capter le génocide en cours. Ainsi cette école bombardée, où elle fait les photos de l’enfant qui nettoie au tuyau d’arrosage le sol couvert de restes sanglants des membres de sa famille.
Fatima, sourit, rit dans une forme de "croyance malgré tout" que toutes les guerres s'arrêteront quand celle-ci, la plus effroyable, finira. Elle rêve de voyager. La nourriture se fait de plus en plus rare, bientôt réduite aux seules boîtes de conserve. Elle est la plus éduquée et la plus active de sa famille. C’est elle qui la fait vivre, grâce à la vente de ses photos, depuis que son père, qui était chauffeur de taxi, ne peut plus travailler. Manger du poulet ou du chocolat est un désir inassouvi, le grand luxe est de manger quelques chips.
Fatima, de plus en plus souvent, a des moments de désespoir ou de faiblesse physique. Elle chante, Marajeeh ("La Balançoire"), écrite par une musicienne libanaise d’origine palestinienne, juste après l’explosion du port de Beyrouth. Sa parole, son sourire, ses textes, ses photos, son chant continuent néanmoins. L'assassinat de sa meilleure amie, ensevelie sous les bombes avec sa famille, la fait basculer dans la dépression ; affaiblie, elle cherche parfois ses mots.
15 avril 2025. Près d'un an après le premier échange, Sepideh lui annonce l’invitation du film à Cannes dans la sélection ACID. Elle accepte avec grande joie de venir mais ajoute qu’elle retournera à Gaza juste après; sa seule terre, là où elle a ses amis et sa famille.
Carton : le 16 avril 2025, Fatima a été assassinée avec neuf autres membres de sa famille, suite à une attaque israélienne sur sa maison.
La simplicité du dispositif (filmer un téléphone ou des images d'actualité, intégrer les seules photographies de Fatima Hassouna) concourt à la véracité de l'échange. Sepideh Farsi, dans le premier mois tente d'obtenir des informations sur la contexte, religieux- qu'elle critique- et politique (le nouveau chef du Hamas, méprisé) avant de s'en tenir au strict réconfort de Fatima, lorsqu'elle bascule dans la dépression avec une guerre qui la prive de liberté, de nourriture saine, puis de nourriture tout court et de toute perspective. Son assassinat avec neuf autres membres de sa famille, le 16 avril 2025 suite à une attaque israélienne sur sa maison, met fin au dernier espoir d'une sortie possible du territoire en voie de disparition par la sélection du film à Cannes.
Si le film aurait pu être le sourire d'une femme courageuse s'affirmant ainsi face au génocide, il est désormais le témoignage d'un fantôme qui hantera à jamais des générations d’Israéliens et accompagnera les tenants d'une cohabitation pacifique entre deux peuples abandonnés à la folie de leurs dirigeants.
Sepideh Farsi l'affirme : "Put your soul on your hand and walk est ma réponse en tant que cinéaste, aux massacres en cours des Palestiniens. Un miracle a eu lieu lorsque j’ai rencontré Fatima Hassouna. Elle m’a prêté ses yeux pour voir Gaza où elle résistait en documentant la guerre, et moi, je suis devenue un lien entre elle et le reste du monde, depuis sa "prison de Gaza" comme elle le disait".
Durant plus de 200 jours d'avril à novembre 2024, les bouts de pixels et sons échangés [...] ont été montés. Souvent, quand la connexion le permettait, les conversations duraient longtemps, elle m’a beaucoup parlé, de la situation bien sûr, d’elle-même, de sa famille et de ses proches. Seule une petite fraction des rushes figure dans le film. [...] Être photographe était ce qui lui importait le plus, mais elle écrivait aussi, et elle chantait, j’ai essayé de conserver les traces de toutes ses facettes. Je m’intéressais à sa vie de jeune femme. [...] Moi, qui venais de finir un film, La Sirène, sur une autre guerre, celle entre l’Irak et l’Iran. Alors, Fatma devint mes yeux à Gaza, et moi, une fenêtre ouverte sur le monde. J’ai filmé, saisissant les instants que nous offraient nos appels vidéos, ce que Fatma m’offrait, pleine de fougue, d’énergie. J’ai filmé ses rires et ses larmes, son espoir et sa dépression. J’ai suivi mon instinct. Sans savoir à l’avance où nous mèneraient ces images. C’est la beauté du cinéma. La beauté de la vie.
Je ne l’ai pas gardé dans le film mais elle m’avait raconté avoir rencontré un jeune homme, en décembre. Ils s’étaient fiancés. [...] nous avons continué à nous parler fréquemment, et j’ai aussi tout enregistré, mais je sentais que ce que j’avais déjà recueilli durant les 200 premiers jours était suffisamment riche pour bâtir la structure du film. J’avais commencé le montage, je n’arrivais plus à gérer mes émotions et mon énergie entre nos discussions, ce qui se passait sur le terrain à Gaza, et les heures passées seule sur l’écran du montage avec les rushes. Et puis, Fatma, de plus en plus souvent, avait ces moments de désespoir ou de faiblesse physique comme elle le décrit dans le film. J’ai donc cessé d’intégrer les nouveaux entretiens au montage. Mais après l’annonce de son assassinat, ajouter notre dernière conversation m’est apparu comme une nécessité. L’assassinat de Fatem le 16 avril 2025 suite à une attaque israélienne sur sa maison en change à jamais le sens."
Jean-Luc Lacuve, le 27 septembre 2025.
Source : Dossier de presse.