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Fernand Deligny

(1913-1996)
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Biographie par Sandra Alvarez de Toledo sur le DVD Le moindre geste:

Fernand Deligny est né en 1913 à Bergues, à 60 kms de Lille, près de la frontière belge. Il passe sa petite enfance (le temps de la guerre) en Dordogne, à Bergerac, avec sa mère Louise. Son père est tué au combat en 1917, et il devient Pupille de la Nation en 1919.

Son enfance et son adolescence se déroulent à Lille, où il vit avec Louise et ses grands-parents maternels. Ils habitent Lambersart, près de la Citadelle Vauban, dont il fera à la fin de sa vie le décor de sa dernière « performance » autobiographique, L’Enfant de citadelle (vingt-six versions toutes inachevées, plus de 2500 pages).

Il abandonne des études de psychologie et de philosophie et passe une grande partie de son temps dans les salles obscures et au ciné-club de son ami Pierre Hirsch. Il dirige une revue estudiantine, Lille-Université, dans laquelle il publie des compte-rendus de films de production courante et expérimentaux (L’Étoile de mer de Man Ray et Symphonie d’une grande ville de Walter Rutmann).

Il découvre l’asile d’Armentières, qui agit sur lui comme une véritable révélation. Après son service militaire à Paris, il est instituteur suppléant dans deux classes spéciales, à Paris puis à Nogent-sur-Marne. Il adapte les principes de l’école active (Célestin Freinet).

Il retourne à Armentières en 1938 et, après six mois de mobilisation, y reste trois ans comme instituteur spécialisé puis comme éducateur. Pavillon 3, son premier livre, paraît en 1944. En 1943, il est appelé comme conseiller pédagogique par le Commissariat à la Famille et ouvre un foyer de prévention de la délinquance à Wazemmes, quartier industriel et populaire de Lille. Il prend deux ans plus tard la direction du COT (Centre d’Observation et de Triage), organisme géré par l’ARSEA du Nord (Association de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence déficientes et en danger moral). Il est licencié au bout de dix-huit mois.

Il publie en 1945 Graine de crapule. Conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver, qui établit sa réputation d’éducateur libertaire. Les Vagabonds efficaces, récit de son séjour à la direction du COT, paraît deux ans plus tard. En 1946, il prend pour quelques mois la direction de Travail et Culture pour la région du Nord. Il y rencontre Chris Marker et André Bazin qui anime la section cinématographique de l’association.

Avec le soutien du psychobiologiste Henri Wallon et du psychiatre Louis Le Guillant, personnalités éminentes du parti communiste (Deligny devient lui-même membre du PCF en 1948), il crée à Paris La Grande Cordée, «tentative de prise en charge “en cure libre” d’adolescents caractériels, délinquants et psychotiques». L’association s’appuie sur les mouvements d’éducation populaire et sur un réseau de militants communistes, trotskystes et anarchistes. Les adolescents sont envoyés pour des apprentissages professionnels dans des familles d’accueil ou dans des auberges de jeunesse.

Durant l’été 1954, La Grande Cordée séjourne dans le Vercors. Le soir, les adolescents projettent des films (La Marseillaise de Renoir, Tempête sur l’Asie de Poudovkine) dans les hôtels environnants. À l’issue de ce séjour, Deligny publie dans Vers l’Education Nouvelle, la revue des Ceméa (Centre d’entraînement aux méthodes d’éducation active), un texte intitulé « La caméra, outil pédagogique » qui témoigne de la place qu’il entend donner au cinéma dans l’organisation.

« Il ne faut pas que les enfants croient que ce qu’ils voient au cinéma est un échantillon brut de réalité. Ils doivent savoir qu’il s’agit d’un “langage”. Ils ne peuvent le savoir vraiment que s’ils s’essaient eux-mêmes à ce “langage”, afin de le percevoir sans en être envoûtés. J’ai pensé que le cinéma avait sa place dans un organisme comme le nôtre qui veut aider des adolescents en difficulté. Il n’est évidemment pas question que chacun ait sa caméra, mais il est nécessaire que cet outil-là soit réellement à la disposition de ceux qui veulent s’en servir pour raconter en quelques suites d’images ce qu’ils voient de la vie qu’ils vivent [...] Le film était là, prêt à faire. Quinze garçons à la recherche du maquis, partout, au long des chemins, dans la mémoire des gens [...] Avec la caméra, le monde les regarde, le monde des Autres,qui n’avaient rien à faire d’eux, et seront tout à l’heure les témoins de ce qu’ils font chaque jour. Mise en scène? Non. Mise en vue. Mise au clair. Mise en public. »

En 1955, Deligny accompagné d’Huguette Dumoulin, Josée Manenti et quelques membres de l’association, quitte Paris pour poursuivre La Grande Cordée en milieu rural. Ils vivent en Haute-Loire, dans l’Allier, et en Cévennes, reconstituant à chaque occasion un milieu de vie et des conditions d’apprentissage. Deligny écrit Adrien Lomme, son seul roman, qui paraît en 1958 chez Gallimard. De cette époque datent ses premières réflexions sur le langage et le tracé.

François Truffaut rend visite à Deligny sur les conseils d’André Bazin. Le jeune cinéaste achève l’écriture des 400 coups. Deligny lui suggère l’idée de la fugue de l’enfant vers les plages du nord, à la fin du film. Deligny sollicite ensuite l’aide de Truffaut pour produire La Vraie Vie, dont il envisage de confier la réalisation aux adolescents. Le film, qui devait faire l’apologie des procédés de La Grande Cordée (par contraste avec la vie en structure fermée), n’a pas lieu.

Le tournage du Moindre Geste commence en 1963 dans les environs d’Anduze. Deligny écrit une fable de quelques lignes et met en scène. Josée Manenti assure les prises de vues, Guy Aubert enregistre les sons. Yves G., adolescent confié à Deligny en 1957, joue le rôle principal. Le film, monté par Jean-Pierre Daniel à Marseille puis à Paris (le financement du montage est assuré par la coopérative Slon, fondée par Chris Marker) est présenté à la semaine de la Critique à Cannes en 1971. Il sort dans les salles en 2004.

De 1965 à 1967, Deligny est invité à la clinique de La Borde par Jean Oury et Félix Guattari. Il ne participe que de loin au travail thérapeutique et manifeste la plus grande méfiance à l’égard de la psychanalyse. Il dirige un atelier de peinture, fabrique des jouets pour les enfants de l’hôpital psychiatrique de Blois, et projette des films militants dans les cafés du Loir et Cher. Il réalise les premiers numéros des Cahiers de la Fgéri (Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles), brochure satellite de la revue Recherches fondée par Félix Guattari. Il envisage de tourner des petits films d’animation, et des portraits de patients.

On lui confie Jean-Marie J. (« Janmari »), enfant autiste d’une dizaine d’années dont la vivacité, l’adresse, et le mutisme absolu le fascinent. La réédition par Lucien Malson du rapport de Jean Itard sur Victor, le sauvage de l’Aveyron, était parue deux ans plus tôt, en 1964.

En 1967,: Deligny quitte La Borde pour Gourgas (la magnanerie dont Félix Guattari entendait faire un centre de ralliement d’intellectuels, artiste, étudiants, ouvriers et militants d’extrêmegauche), puis pour Graniers, près de Monoblet, dans les Cévennes. Avec Guy et Marie-Rose Aubert, Jacques Lin (ex-ouvrier d’Hispano-Suiza), Any et Gisèle Durand – dont aucun n’est éducateur professionnel –, il fonde autour de Janmari un réseau d’enfants autistes. Les enfants vivent dans des campements éloignés les uns des autres d’une dizaine de kilomètres, les « aires de séjour ». Ils participent à l’organisation du « coutumier » réglé selon le principe du « besoin d’immuable » qui est le leur. Les premiers enfants sont confiés à Deligny par Maud Mannoni, Françoise Dolto et Émile Monnerot, psychiatre à Marseille.

Dès 1969, Deligny invente la pratique des cartes et des “lignes d’erre”, transcriptions graphiques des parcours et des gestes des autistes dans le territoire des Cévennes. « Il ne s’agissait que de transcrire ces trajets, pour rien, pour voir, pour n’avoir pas à en parler, des enfants-là, pour éluder nom et prénom, déjouer les artifices du il de rigueur dès que l’autre est parlé. » Les cartes inspirent à Gilles Deleuze et Félix Guattari l’idée de rhizome (Rhizome, 1976).

Ces années voient les débuts d’une collaboration éditoriale entre Isaac Joseph et Deligny : trois numéros de la revue Recherches paraissent en 1975 et 1976, ainsi que Nous et l’Innocent, chez François Maspero (éditeur : Émile Copfermann). Le Croire et le craindre, autobiographie de Deligny tirée d’entretiens avec Isaac Joseph, paraît chez Stock en 1978, suivie d’une trilogie autour de l’agir et l’humain publiée chez Hachette (également par Émile Copfermann). Renaud Victor, cinéaste autodidacte, tourne Ce gamin, là en 1974.

L’expérience de Deligny devient le pôle d’attraction d’un courant antipsychiatrique protéiforme. Son indépendance radicale à l’égard des institutions, sa critique du langage appuyée sur l’expérience concrète de l’autisme et son communisme inorthodoxe lui attirent l’intérêt de nombreux intellectuels, philosophes (Louis Althusser et Marcel Gauchet), psychiatres et psychanalystes (Roger Gentis, Jacques Nassif, Françoise Dolto), sociologues, éducateurs et chercheurs en sciences de l’éducation. Les communautés thérapeutiques se multiplient, plus ou moins directement inspirées de la « tentative ».

En 1978, Alain Cazuc tourne Projet N, un reportage (plus descriptif que ne l’était Ce Gamin, là) sur la vie dans les aires de séjour du réseau. À la fin des années 1970, la pratique des lignes d’erre est remplacée par la vidéo à l’usage des parents des autistes. La pensée de Deligny sur le langage, le pouvoir, l’humain, l’espèce, prend une tournure philosophique et anthropologique. Il est plus isolé, moins sollicité. Le réseau se réduit. Il rédige Acheminement vers l’image et entreprend un second film avec Renaud Victor, Fernand Deligny, à propos d’un film à faire, dans lequel il médite sur les rapports entre langage et image. « L’image échappe à la connaissance...une image, si je parle mon propre vocabulaire, ne se prend pas...Une image ne peut pas se prendre, c’est à dire être prise par se, qui est une projection de on : un autre que le monde des images [...] Dans l’absolu, on pourrait dire que l’image a lieu quand se est évacué [...] l’image, au sens où je l’entends, l’image propre, est autiste. Je veux dire qu’elle ne parle pas. L’image ne dit rien » Après avoir abandonné L’Enfant de citadelle, Deligny écrit deux derniers recueils d’aphorismes, Copeaux, et Essi (Et-si-l’homme-que-nous-sommes). Il meurt le 18 septembre 1996, laissant à Gisèle Durand et Jacques Lin la charge de poursuivre sa tentative.

Biographie par Sandra Alvarez de Toledo sur le DVD Le moindre geste

Bibliographie

Alvarez de Toledo, Pédagogie poétique de Fernand Deligny, in Communications, «Le parti pris du document », n°71, Ed. du Seuil, 2001.
Fernand Deligny, Œuvres, Ed. L’Arachnéen, 2007.

Filmographie :

1971 Le moindre geste

Avec : Yves Guignard (Yves), Richard Brougère (Richard), Anita Durand (Any), Numa Durand (Numa, son père), Marie-Rose Aubert (Marie-Rose).1h45.

Des jeunes s'ennuient dans le centre. Les deux enfants qu'on suppose échappés jettent des pierres au bord de l'eau et semblent se cacher de deux hommes en mobylette. Yves découvre un couteau abandonné. Ils marchent près d'une carrière où quelques ouvriers s'activent. Les deux enfants grimpent sur une falaise. Ils atteignent une maison abandonnée dans laquelle ils découvrent une table et une statuette de femme déshabillée. Le soir, ils dorment dans la maison. Ils se cachent l'un de l'autre et Richard se glisse dans un trou dont il avait mal évalué la profondeur.

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