Café Society

Milieu des années 1930, Hollywood. Phil Stern dirige une agence artistique où il veille sur les intérêts de Greta Garbo et Ginger Rogers. Toujours sur la brèche, il écoute à peine sa sœur, Rose Dorfman, lui annoncer depuis New York que son fils, Bobby, qui s’ennuie dans la bijouterie minable que tient son père, Marty, a décidé de tenter sa chance à Los Angeles. Bobby fait le siège de son oncle, en vain pendant trois semaines. Durant ce temps, il se résout à demander les services d'une prostituée, Candy. Quand il apprend qu'elle est juive et novice dans le métier, la culpabilité étant trop forte, il la renvoie.  Un jour, il obtient enfin une entrevue avec Phil qui finit par lui offrir une place de coursier.

Bobby ne trouve pas d’autre intérêt à la ville que la présence de Vonnie, la secrétaire de Phil qui prétend avoir un petit ami journaliste. Celle-ci a en fait Phil pour amant depuis un an mais lorsqu'elle lui remet comme cadeau d'anniversaire une lettre d'amour signée de Rudolph Valentino, Phil a décidé de rompre. Désespérée, Vonnie se rend chez Bobby qui ne l'espérait plus. Petit à petit, il parvient à lui faire oublier Phil et est sur le point de la convaincre de se marier avec lui pour habiter New York sous les toits de Greenwich village. C'est alors que son oncle lui révèle qu'il va quitter sa femme pour sa maitresse. Sans savoir qu'il s'agit de Vonnie, Bobby raconte la souffrance de Phil à celle-ci. Puis c'est Bobby qui annonce à son oncle qu'il va épouser Vonnie. Celui-ci fait une scène à Vonnie qui tient le vestiaire lors d'une soirée. Puis Bobby comprend qui est la maitresse de son oncle et demande à Vonnie de choisir. Ce sera Phil.

Bobby rentre donc tristement à New-York dans son Bronx  natal et accepte la proposition de son frère, Ben, de tenir un night club dont il a assassiné le précédent propriétaire, recouvrant son cadavre de béton dans un bac de ciment.  Avec l'aide de Rad et de son mari, un couple d'amis newyorkais, Bobby fait du night club un haut lieu de la café society où se mêlent aristocrates, industriels, intellectuels, artistes, sympathisants pronazi, gangsters et fonctionnaires corrompus. Grace à Rad, Bobby s'est marié avec Veronica, une veuve mélancolique et aimante, avec qui il a un fils.

Evelyn, la soeur de Bobby, indisposé par un voisin qui met la radio trop forte et envers lequel la gentillesse de son mari ne peut rien, se confie à Ben. Celui-ci coule son cadavre dans le béton.

Un soir, le passé ressurgit, Phil et Vonnie sont de passage une semaine à New York et viennent prendre des nouvelles de Bobby dans son night club. D'abord indisposé par le snobisme nouveau de Vonnie, Bobby s'éloigne mais Vonnie insiste et il passe bientôt toute la semaine avec elle. Après son départ, Ben est arrêté  par la police. Les preuves de ses crimes sont accablantes et, en dépit des avocats payés par Phil, il est exécuté.

Bobby retrouve ensuite Vonnie à los Angeles où il a envisagé d'établir un night club. Ils ont convenu que les rêves doivent rester des rêves mais les regrets les étreignent le soir du nouvel an qu'ils passent chacun de leur coté comme absents à leurs conjoints respectifs.

Kristen Stewart, nouvelle muse de Woody Allen, l'a incontestablement inspiré pour cette délicate historie d'amour rendue impossible pour presque rien. Bobby et Vonnie choisissent la voie de l'apparence qu'ils ont pourtant dénigrée dans leur balade à deux. Ils gagnent, par leur seul talent, les hautes marches de l'intégration sociale. Ils y perdent l'intimité frémissante qui les unissait.

Café society

Si le film porte pour titre, non les prénoms du couple, mais Café society, c'est parce que c'est elle qui a gagné. Avec son cynisme sans concession sur la vanité du monde social, Woody Allen décrit celui-ci avec gourmandise. La café society, est une préfiguration de la jet-set où se mêlent aristocrates, industriels, intellectuels et artistes, sympathisants pronazis, gangsters et fonctionnaires corrompus. Allen ne perd pas son temps à la critiquer : montrer son triomphe vaniteux suffit à en faire le piège baroque qui perd le couple central. Allen accumule ainsi un ensemble de vignettes où l'argent règne en maitre aussi bien à Hollywood qu'à Manhattan avec un cynisme aussi joyeux que la musique de jazz qui l'accompagne se fait guillerette.

Bobby et Vonnie

Rompant avec cette joyeuse agitation, les fondus-enchaînés des visages de Bobby sur Vonnie lorsqu'il pense à elle ou le visage de celle-ci qui s'efface sur le pont de Manhattan lorsqu'il rentre à New-York. La balade en voiture à pied sur Beverly Hill puis la discussion dans le snack, le travelling panoramique qui vient saisir le premier baiser sur la rambarde de la plage, la promenade sur la plage et la première relation sexuelle dans la grotte; l'arrivée en calèche au matin dans central Park, autant de scènes qui noue l'intimité du couple dans une fragilité sans lendemain.

Si, finalement, le couple ne se constitue pas c'est que les conjoints respectifs sont traités avec respect, leur laissant toutes leurs chances (Bobby emmène dans le club de jazz aussi bien Vonnie que Veronica). Les portraits de Veronica et Phil sont aussi sensibles que sont très drôles ceux de la famille du Bronx. Ainsi ce dialogue entre Rose,  la mère, Marty, le père. "D'abord assassin. Et maintenant chrétien. C'est quoi, le pire ?" s'exclame la mère puis, cherchant une raison à cette deuxième infamie, le père répond : "Il te l'a expliqué. Les juifs n'ont pas de vie après la mort". "C'est bête qu'ils ne le proposent pas, réplique la mère, ils auraient beaucoup plus de clients".  Le père est en colère contre le silence de Dieu. "Mais pas de réponse, c'est déjà une réponse" lui répond sa femme. On retiendra aussi ce désespoir allénien que la vie ne puisse être plus riche qu'elle ne l'est : "Les deux alternatives sont exclusives l'une de l'autre, n'est-ce pas ?"

Jean-Luc Lacuve, le 13/05/2016