Ce saint Jérôme est conservé, au moins depuis le début du XIXe siècle, au musée de l'Accademia de Venise. Son sujet autant que ses dimensions réduites en font clairement un tableau de dévotion destiné à un usage privé et à une vision rapprochée.
Majoritairement daté par les spécialistes de la décennie 1450, cette petite peinture a longtemps été rattachée à l'univers vénitien. Saint Jérôme n'est plus figuré seul mais doit partager sa retraite avec un dévot représenté agenouillé, en prière portant une ample robe rouge. Une inscription placée en dessous de lui, à la lisière de son manteau, le désigne comme étant Girolamo Amadi, fils d'Augusto. La présence de cette inscription qui évoque le nom d'une riche et ancienne famille patricienne constitue le principal argument en faveur d'une commande vénitienne de l'œuvre. Formulée pour la première fois par Roberto Longhi en 1927, cette hypothèse a été depuis lors sérieusement contestée, sans pour autant perdre tous ses partisans. L’emplacement de l’inscription à même le sol autant que sa calligraphie irrégulière rendent pourtant très douteuse. La mention d'un éventuel commanditaire souffre aussi de la comparaison avec le nom du peintre qui apparaît soigneusement transcrit en lettres capitales romaines sur la base du tronc portant le crucifix. Tout laisse donc à penser qu'il s'agit d’un ajout ultérieur, pour l'heure difficile à situer dans la chronologie mais qui pourrait correspondre à une ancienne marque de propriété. Enfin la provenance vénitienne du tableau s'accorde mal avec la représentation à l'arrière-plan d'une vue urbaine qui évoque bien davantage la topographie et le profil urbain de Borgo Sansepolcro que ceux de la grande citée lagunaire
La présence sans aucun doute ancienne, encore qu'impossible à dater précisément de ce tableau dans les collections vénitiennes de même que le nom de Jérôme Amadi ne doivent donc pas faire illusion. Ces éléments vénitiens n'induisent en rien quant à l'identité du personnage figuré ni du lieu de la commande. L'installation de la scène dans un paysage collinaire typique de la haute vallée du Tibre plaide plutôt pour un commanditaire de Borgo Sansepolcro. Plusieurs candidats originaires de cette ville ont ainsi été envisagés. L'interprétation de La flagellation du Christ par Franck Mercier, le conduit à reconnaitre ici un autoportrait de Piero della Francesca, représenté à un âge évidemment moins avancé que dans la Flagellation. Si l'on admet comme invite à le faire l'état récent de la recherche que Piero est né vers 1412, il aurait donc approximativement une quarantaine d'années au moment de l'exécution de ce panneau, un peu plus de cinquante ans pour la Flagellation.
Source : Franck Mercier, Piero della Francesca, une conversion du regard, Editions : Ecole des Hautes Etudes en Sciences Sociales, 2021.