Assis dans un fauteuil, un homme se repose, la tête appuyée sur un oreiller et les yeux clos. Sans doute encore sous l’effet de sa lecture, le personnage retient, d’une main le livre sur ses genoux, en sauvegardant du doigt la dernière page lue. Il semble absorbé dans ses rêves. Une gamme presque unique de jaune-orangé le dépeint et envahit toute la toile de format carré en dégageant une atmosphère éloignée du réel.
Dans cette incandescence, le visage, au haut front dégarni est subtilement encadré de touches de bleu et de vert suggérant les ombres. Ces tonalités, en contraste avec le jaune dominant, soulignent les cheveux et la barbe et plus particulièrement les paupières baissées, approfondissant encore davantage la cavité des yeux. Dès lors, la vision semble entièrement tournée vers un monde intérieur. Nul doute que la couleur n’est pas seulement utilisée ici à des fins esthétiques mais aussi comme moyen d’expression.
Ce portrait d’homme, ce lecteur, est présenté au Salon d’automne de 1910, sous le titre Gamme jaune. Par cet élément, l’artiste indique clairement sa problématique : la couleur. À cet égard, les ouvrages de Eugène Chevreul, chimiste français (1786-1889), en particulier De la loi du contraste simultané des couleurs de 1839, sont devenus une référence pour de nombreux artistes. Des impressionnistes jusqu’aux Fauves, en passant par les Nabis, la couleur est au centre de leurs préoccupations et innovations. Kupka s’inscrit dans cette lignée mais recherche également la portée symbolique que la couleur peut apporter et l’effet qu’elle produit sur le spectateur. Plusieurs études représentent ce lecteur aux yeux clos, est-ce un autoportrait? Un visionnaire? Un poète sans doute. Le peintre, probablement inspiré par un portrait de Charles Baudelaire (1821-1867) par Nadar, fait ici référence au domaine des correspondances qui lui sont chères et largement utilisées dans le langage symboliste. Après son installation à Paris en 1896, Kupka s’inspire également dans ses œuvres de la théosophie. Il exprime dans cette œuvre une idée défendue par l’écrivain et théosophe MHJ Schoenmaekers, selon laquelle l’artiste «est un mystique dans la mesure où il contemple la réalité vivante» et qu’il a la révélation des principes éternels de beauté et de vérité cachées sous les apparences.
Source : Dossier pédagogique, de l'exposition au Grand Palais en mars-juillet 2018.