Marie-Angélique Satre, hôtelière à Pont-Aven, passait pour une des plus belles femmes du pays. Vers 1920, elle relate les circonstances dans lesquelles ce portrait fut réalisé : "Gauguin était bien doux et bien misérable [...]. Il disait toujours à mon mari qu'il voulait faire mon portrait, si bien qu'un jour, il l'a commencé. [...] Mais quand il me l'a montré, je lui ai dit "Quelle horreur !" et qu'il pouvait bien le remporter [...]. Gauguin était très triste et il disait, tout désappointé, qu'il n'avait jamais réussi un portrait aussi bien que celui-là".
L'incompréhension du modèle face à ce portrait n'est guère surprenante. Gauguin, qui avait décidé de "tout oser", enfreint les usages traditionnels de la perspective et de l'unité spatiale. Selon un procédé emprunté aux estampes japonaises, il découpe le portrait d'Angélique Satre au moyen d'un cercle, sur un fond essentiellement décoratif, et use du cloisonnement des formes en soulignant la silhouette des figures d'un trait plus sombre.
Bosquet du temple Suijin, Uchikawa et le village de Sekkiya Utagawa Hiroshige (1857) | La belle Angèle Paul Gauguin (1889) |
La pose rigide, le costume d'apparat de la jeune femme et l'inscription en capitales "LA BELLE ANGELE" renforcent l'aspect solennel de cette représentation. Sur la gauche, Gauguin introduit une céramique anthropomorphe, d'inspiration péruvienne, qui renforce le caractère symbolique de la composition et apparaît comme une version exotique de l'idole bretonne.
Considérée comme un chef-d'oeuvre par Degas qui l'achète en 1891, La belle Angèle offre un exemple marquant des préoccupations esthétiques majeures de Gauguin dans l'assemblage hétéroclite de différentes sources d'inspiration qu'il veut primitives et dans la simplification des formes.