Pour la liberté de la Grèce, opprimée par les Turcs, les romantiques, Byron en tête, se sont enflammés. C'est au Salon de 1824 que le jeune Delacroix, dont La Barque de Dante a fait sensation au Salon précédent, expose cet épisode cruel de la Guerre d'Indépendance grecque : la répression féroce du soulèvement de l'Ile de Scio en avril 1822. Dès cette date, Delacroix a lidée de peindre un tableau sur ce thème quil abandonne au profit de La barque de Dante.
Le tableau, qui divise âprement la critique, est un manifeste du romantisme avec ses couleurs fastes, l'absence de centre de la composition, la hardiesse du dessin, l'ambiguïté assumée de la représentation et le costume exotique, la modernité du sujet, avec ses corollaires politiques (l'affranchissement des peuples).
Le tableau obtient la médaille de seconde classe.
Il est acheté 6 000 francs, par lÉtat, pour être
exposé ensuite au musée du Luxembourg.
Les costumes orientaux que Jules-Robert Auguste (1789-1850), dit M.
Auguste, lui prête pour lélaboration de son tableau,
proviennent de la collection quil ramena de ses voyages, en Orient.
Delacroix put également effectuer des recherches iconographiques
à La Bibliothèque Nationale. Un carnet, conservé
aux Départements des Arts graphiques du musée du Louvre
et utilisé vers 1820-1825, mentionne la consultation dun
ouvrage de Claude-Étienne Savary (1750-1788), Lettres sur la
Grèce, édité en 1788 ainsi que des croquis effectués
daprès le livre de Rosset, Murs et coutumes turques
et orientales dessinés dans le pays, en 1790.
M. Auguste, ancien sculpteur devenu aquarelliste et pastelliste, a rapporté
de ses voyages en Grèce, Égypte, Asie Mineure et Maroc
de remarquables études et toutes une série dobjets
: étoffes, costumes, armes et bibelots divers. Il est considéré
comme linitiateur de lOrientalisme, en France. Son influence
sur Delacroix et son art est très forte, surtout entre 1824 et
1832, date de son voyage en Afrique du Nord. Cest avec des uvres,
comme Les Massacres de Scio et le La Grèce sur les ruines de
Missolonghi (1826, musée des Beaux-Arts de Bordeaux), toutes
les deux tirés d'évènements contemporains, que
Delacroix participa au mouvement philhellène.
Son tableau fut durement accueilli par les critiques, par la majorité des artistes et par le public. Bien que Gros ait apprécié La barque de Dante, il jugea Les Massacres de Scio, avec sévérité, en affirmant quil sagissait du « Massacre de la peinture ! ». Certains critiques, tout en signalant linfluence des Pestiférés de Jaffa de Gros, écrivirent quil avait « Mal lavé la palette de Gros ». Cependant, Delacroix eut aussi des défenseurs. Dans Le Constitutionnel, Thiers écrivit : « M. Delacroix [ ] a prouvé un grand talent, et il a levé des doutes en faisant succéder le tableau des Grecs à celui de Dante ».
Entre 1823 et 1825, il peint plusieurs tableaux de Grecs en costume
de palikares (soldats grecs combattant les Turcs pendant la Guerre dindépendance)
et des Turcs, dont certains ont pu être utilisés pour Les
Massacres de Scio. Lors du Salon Officiel, Delacroix eut loccasion
de voir des peintures de John Constable que son marchand Arrowssmith
présentait, notamment La
Charrette à foin (1821, National Gallery de Londres), récompensée
par la médaille dor. Une anecdote veut quaprès
avoir vu cette toile, il décida de refaire le ciel des Massacres
de Scio, après en avoir demandé la permission au comte
de Forbin (1777-1841), directeur des musées.