Le thème du paysage marin fut souvent traité par Courbet, surtout après sa découverte des côtes normandes en novembre 1865. Sous de puissants effets atmosphériques et lumineux, la mer y est tantôt calme, tantôt agitée comme dans les différentes versions de La Vague réalisées après un séjour à Étretat en septembre 1869. Face aux forces de la nature, l’existence humaine ne s’y matérialise, parfois, que sous la forme d’un esquif échoué sur le rivage ou d’une frêle voile glissant dans l’immensité du lointain.
Notre toile appartient au groupe des sept marines que Courbet exécuta, de mémoire, pendant les six mois d’emprisonnement que lui valut son rôle présumé lors de la Commune de Paris, et notamment dans la destruction de la colonne Vendôme en mai 1871. Arrêté en juin suivant par les troupes versaillaises, condamné en septembre, il commença à purger sa peine à la prison parisienne Sainte-Pélagie, mais, malade, il fut assigné à résidence dans les derniers jours de décembre au sein de la clinique du docteur Duval, à Neuilly, où il fut bientôt opéré pour éviter une occlusion intestinale.
Durant sa détention, Courbet, naviguant entre abattement et exaltation, dessina, peignit plusieurs natures mortes de fruits, apportés par sa sœur Zoé, ainsi qu’un groupe de sept marines exécutées de mémoire. Pour s’acquitter des amendes que le tribunal l’avait astreint à payer, il profita du véritable « marché » qui se mit alors en place autour des œuvres de l’artiste, coupable pour les uns, persécutés pour les autres. Indéfectible soutien de Courbet, le peintre honfleurais Eugène Boudin encouragea ainsi l’un de ses mécènes, le docteur Eugène Jacquette (1829-1899), à lui acheter en février 1872, pour 400 francs, cette petite toile mentionnée sous le titre Une marine, Étretat, dans la « liste des tableaux faits pendant la captivité ». Natif d’Alençon et demeurant dans le village calvadosien de Fervaques, ce collectionneur, également protecteur de Jules-Louis Rame, légua le tableau au musée de Caen par sa mort survenue en 1899.
Avec son rivage sablonneux animé par un ponton et une barque ; ses flots calmes à peine striés d’écume ; son ciel immense et nuageux baigné d’une lumière dorée, La Mer est le symbole de l’aspiration de Courbet à la liberté. Toutefois, le vieil escalier de bois mène à la plage sur laquelle semble abandonnée une barque en mauvais état. La ligne d'horizon très basse semble faire peser la masse nuageuse sur elle. La mer est calme, le ciel bleu apparait encore des nuages qui s'ammoncellent. Mais combien de temps faudra-t-il encore à la mer pour qu'elle vienne chercher et détruire la barque ?