Musée
des beaux-arts de Caen
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Cette exposition réunit quinze tableaux du Bergen Kunstmuseum et cinquante estampes de la collection du collectionneur privé Pål Gundersen jamais montrées en dehors des frontières norvégiennes.
Bergen et le Bergen Kunstmuseum
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Edvard Munch (1863-1944) est considéré comme le plus grand peintre de l'Europe du Nord. Contemporain de Van Gogh et Gauguin il participe aussi à la grande aventure de l'art moderne, à la suite de l'impressionnisme sans jamais non plus verser dans l'abstraction initiée par Kandinsky dont il est également contemporain. Le cri, Angoisse ou Soirée sur l'avenue Karl Johan relèvent de l'expressionnisme alors que la majorité de son uvre est de nature symboliste.
Regroupées par thème, les uvres de l'exposition caractérisent l'univers de l'artiste : la mélancolie, la Norvège, la mort, le couple, la femme, l'angoisse. Elles sont présentées indépendamment de toute chronologie puisque l'uvre de Munch est marqué par d'incessants allers et retours vers les thèmes centraux qu'il a explorés sa vie durant, parfois à plusieurs décennies d'écart.
I Mélancolie : "Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j'ai vu. Je peins et je pense dans le présent. Je vis dans le passé et le futur. "
Comme Deux femmes sur le rivage, Madone, Vampire ou Le Cri, Mélancolie a fait l'objet de multiples reprises, en peinture et en gravure, tout au long de la carrière de Munch. Plusieurs raisons expliquent ce procédé. Il correspond d'abord à une patiente exploration formelle et à un goût prononcé pour les expérimentations techniques. Sur le plan des émotions, la répétition possède aussi une valeur cathartique : le sujet maintes fois reformulé est progressivement mis à distance, il devient un motif autonome et un souvenir moins douloureux pour l'artiste. Enfin d'un point de vue économique, elle permet à Munch d'élargir la diffusion de son oeuvre et de renouveler sa clientèle.
Mélancolie
(1894-1895)
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Inger
au bord de l'eau (1889)
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Deux femmes sur la plage d'Åsgårdstrand (1904)
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II Norvège : « J'étais déjà un être malade en venant au monde. La neige froide recouvre mes racines. Le vent glacial a empêché mon arbre généalogique de croître. Le soleil brûlant de la vie ne brille pas sur cette jeune feuille verte. Ainsi l'arbre de ma vie était maudit dès le départ. Ce que je compris très tôt. C'est ainsi que mon seul espoir est devenu un escalier étroit, un escalier solitaire, qui finalement pourrait m'offrir une ouverture lumineuse sur la vie. »
Edvard Munch ne peint pas sur le motif mais de mémoire, cherchant à retrouver sur la toile sa première émotion. Tous les lieux figurés sont des endroits réels, généralement familiers de l'artiste. Ainsi, son premier atelier à Kristiania se situait avenue Karl-Johan (L'Avenue Karl-Johan au printemps), le paysage à Nordstrand est celui qu'il contemplait depuis sa demeure, la Maison au clair de lune est celle qu'il habitait à Åsgårdstrand dont il a souvent représenté le pont (Fillettes sur le pont) et le rivage (Mélancolie, Deux femmes sur la plage...).
Ces sujets norvégiens ne doivent cependant pas occulter les nombreux voyages de l'artiste à l'étranger, curieux du monde qui l'entoure et très attentif aux innovations techniques et aux courants artistiques de son époque. Entre 1885 et 1899, il séjourne longuement à Paris. Il y découvre les oeuvres des impressionnistes et des post-impressionnistes comme Manet, Caillebotte, Degas, Van Gogh, Toulouse-Lautrec dont il intègre les leçons (L'avenue Karl-Johan au printemps, Jeune fille se coiffant, Nu assis). En 1893 - 1894, il est en Allemagne et rencontre les symbolistes qui infléchissent durablement son oeuvre. Munch découvre l'eau-forte à Berlin en 1894. Immédiatement séduit par le potentiel expérimental des techniques de l'estampe, il ne cesse d'en explorer les ressources, nourri par l'oeuvre de Félicien Rops, Odilon Redon et Gauguin. En 1896, à Paris, il s'essaie à la lithographie et invente pour la gravure sur bois une méthode originale qui lui permet d'imprimer plusieurs couleurs simultanément.
Clair de lune sur le rivage 62x 95,5 (1892)
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Maison au clair de lune (1895)
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Paysage, Nordstarnd, 1891
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Inger au soleil (1888)
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Jeunes baigneurs (1904)
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Nuit d'hiver 1931
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Nuit dété 1893
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III. Mort : "J'ai reçu en héritage deux des plus terribles ennemis de l'humanité - la tuberculose et la maladie mentale - la maladie, la folie et la mort étaient les anges noirs qui se sont penchés sur mon berceau."
Durement éprouvé par la maladie et le décès de ses proches (sa mère en 1868, sa soeur aînée Sophie en 1877, son père en 1889, son frère cadet Andreas en 1895), Munch qui était lui-même de santé fragile accorde à la mort une place décisive dans son travail artistique. Si le motif de l'enfant malade est populaire dans la peinture norvégienne des années 1880, il prend pour Munch une résonnance personnelle forte et hante longtemps sa production. La tuberculose qui emporte sa soeur bien-aimée inspire à l'artiste L’Enfant malade, une de ses premières compositions célèbres. Dans les lithographies qui succèdent à la peinture, la femme qui tenait la main de l'enfant a disparu, le cadrage resserré se concentre sur le profil livide de la jeune malade qui agonise. Le réseau dense et nerveux des traits des estampes rappellent la surface de la peinture striée de profondes griffures qui avaient contribué à provoquer le scandale lors de sa présentation en 1886, à Kristiana.
Les trois âges de la vie Sphinx 1899
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IV. Couples : "Ce combat entre l'homme et la femme que l'on appelle l'amour."
Homme et femme (1892) nous plonge brutalement au coeur du thème du couple selon Munch. Les couleurs sourdes, les lignes sinueuses, la posture du jeune homme et les ombres menaçantes concourent à l'impression de malaise et révèlent la difficulté des rapports entre les deux sexes. Éduqué selon les principes du puritanisme luthérien, Munch décrit une sexualité marquée au sceau du péché originel. La femme y incarne une créature maléfique, presque diabolique, aux cheveux longs et ondoyants tels des tentacules (Vampire, Tête d'homme dans les cheveux d'une femme, Amants dans les vagues, Jalousie, Cendres...) qui enserrent une proie masculine.
L'amour, cause de jalousie et de séparation, apparaît comme une source de souffrances. Les expériences sentimentales malheureuses de l’artiste ont sans doute contribué à nourrir son ressentiment. L’homme est d’ailleurs souvent représenté en victime, dans une attitude abattue (Homme et femme, Mélancolie, Cendres…). Néanmoins, le combat amoureux peut connaître une issue heureuse à l'image du couple fusionnel uni dans un baiser éternel. Stylisé ici à l'extrême, ce motif traité en peinture dès 1897 illustre le travail de répétition mené par l'artiste. Il gomme progressivement l'anecdote pour atteindre l'universalité. L’estampe profite en outre de la manière dont Munch tire parti de l'expressivité du matériau en jouant des qualités décoratives des veines du bois.
Homme et femme (1892)
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Tête d'homme dans les cheveux d'une femme (1896)
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Vampire II (1895-1902).
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baiser IV, 1902
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Deux êtres, les solitaires, 1899
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Tête à tête (1905)
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V. Femmes : Je n'ai jamais aimé. J'ai ressenti l'amour qui déplace les montagnes et transforme les êtres - l'amour qui déchire, fait chavirer le coeur et boire le sang. Mais je n'ai pas pu dire à quelqu'un - femme, c'est toi, je t'aime. Tu es tout pour moi. » Edvard Munch
À la fois objet de fascination et de répulsion, la femme est un motif de prédilection pour Munch. La vision intimiste et lumineuse de la Femme se coiffant, peinte à Paris sous l'influence des impressionnistes, contraste avec l'image plus inquiétante de la Madone. Cette femme aux paupières closes, flottant comme en apesanteur, offre sans pudeur sa nudité au spectateur dans un rythme extatique qui envahit toute la composition graphique de lignes ondulantes. Les spermatozoïdes et le foetus cadavérique qui occupent les marges des lithographies laissent peu de doutes sur l'origine de son extase. Ils révèlent une sexualité angoissée et le lien très fort qui unit l’amour à la mort.
Femme se coiffant (1892)
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Nu assis (1896)
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Broche. Eva Mudocci (1903)
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Amants dans les vagues (1896)
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Madone 1895 lithographie imprimée en noir à Berlin par Lasally sur papier blanc. Cette fameuse composition dérive d'une peinture de la série Amour que Munch exposa à Berlin en 1893. La première version lithographique fut exécutée à Berlin à l'automne 1895. Une femme nue à mi-corps s'offre frontalement au spectateur dans un rythme extatique qui envahit toute la composition graphique. Ce motif est entouré sur trois côtés d'un cadre intégrant des représentations de spermatozoïdes ainsi qu'un fœtus à l'expression effrayée. A l'origine en noir et blanc Munch ajouta ensuite la couleur à ses estampes à la main puis au moyen de procédés lithographiques |
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VI. Angoisse : Je marchais sur la route avec deux amis - le soleil se couchait - je sentis comme une bouffée de mélancolie - Le ciel devint soudain rouge sang. Je m'arrêtai et m'adossai épuisé à mort contre une barrière - je vis les nuages flamboyant comme du sang et une épée, la mer et la ville d'un noir bleuté. Mes amis poursuivirent leur chemin, je restai là frissonnant d'angoisse, et je sentis comme un grand et interminable cri traversant la nature."
Peint seulement deux ans après la version claire et printanière, Le Soir sur l'avenue Karl-Johan est une des premières représentations dans l'oeuvre de Munch de l'angoisse générée par la solitude. Cette scène est ainsi décrite dans son Journal : « Les passants le regardaient tous d'un air si étrange et si bizarre, et il sentait tous ces regards fixes – tous ces visages – pâles dans la lumière du soir… puis il essaya de fixer son regard sur une fenêtre haut placée – mais de nouveau les passants s'interposèrent - tout son corps tremblait, il était inondé de sueur. ». La silhouette noire de dos qui marche à contre-courant de la foule peut être interprétée comme une métaphore de la figure de l'artiste, isolé dans une société conformiste. Plus largement, c'est aussi une évocation de la solitude des hommes dans le monde moderne, clairement explicite dans Les Solitaires. L'expression de la crise existentielle qui saisit l'homme confronté aux bouleversements de la révolution industrielle trouve son aboutissement plastique dans Le Cri. Les émotions de l'homme et son environnement ne sont plus seulement accordés comme dans Mélancolie, ils fusionnent totalement. Le cri semble se répercuter à l'infini. Les ondes du son pénètrent le personnage et se propagent à l'ensemble du paysage tandis que ses amis, indifférents, poursuivent leur chemin.
Le Cri, Angoisse, Les Trois âges de la vie, Le Baiser, Mélancolie, Homme et femme, Vampire, Cendre, Jalousie... : les versions peintes de la plupart des oeuvres exposées ici ont la particularité d'avoir fait partie d'un vaste projet intitulé La Frise de la vie. Pour Munch, ces tableaux forment un tout cohérent et dressent un panorama de la vie. Ils sont conformes au programme que s'était fixé l'artiste en 1889 : "Nous ne devrions plus peindre d'intérieurs où les hommes lisent et les femmes tricotent. Il nous faut peindre des êtres vivants, qui respirent et sentent, qui souffrent et aiment."
Je marchais sur la route avec deux amis - le soleil se couchait - je sentis comme une bouffée de mélancolie - Le ciel devint soudain rouge sang. Je m'arrêtai et m'adossai épuisé à mort contre une barrière - je vis les nuages flamboyant comme du sang et une épée, la mer et la ville d'un noir bleuté. Mes amis poursuivirent leur chemin, je restai là frissonnant d'angoisse, et je sentis comme un grand et interminable cri traversant la nature." | |
Le
cri (1895)
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Vers la fôret (I) 1897
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L'exposition a été inaugurée
le samedi 5 novembre 2011.
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Philippe Duron, maire de Caen, rappelle que les échanges avec le musée de Bergen datent de l'exposition "Peindre en Normandie" organisée par ce musée en 2007 avec des tableaux du musée de Caen. Patrick Ramade, conservateur du musée de Caen, insiste sur la place fondamentale de Munch dans la peinture symboliste que prouve la citation qui ouvre la première section de l'exposition "Je ne peins pas ce que je vois mais ce que j'ai vu. Je peins et je pense dans le présent. Je vis dans le passé et le futur." cette citation souligne le caractère introspectif de l'uvre où la mémoire et les souvenir filtrent l'impression présente. | |
La conservatrice du musée de Bergen et Pål Gundersen qui arrivait juste à temps de Norvège sur l'aéroport de Carpiquet furent chaleureusement applaudis. | |
Le président de région, et le préfet ne se félicitent du festival des Boréales et du jumelage avec le comté de Hordaland qui fêtera ces 20 ans prochainement, sans lesquels cette exposition n'aurait pas été possible. |