Fondé en 1882 par Jules Lévy, le mouvement artistique des Incohérents dura une dizaine d’année jusqu’en 1893. Anticonformiste immergé dans un milieu d’artistes bohèmes, le jeune Lévy regrette la dispersion du club littéraire des Hydropathes. Son souhait est de « faire une exposition de dessins exécutés par des gens qui ne savent pas dessiner ».
Le nom d’Arts incohérents est retenu en raison de sa drôlerie. Parodie du Salon officiel, l’exposition se prolonge d’année en année par d’autres manifestations avec une recherche ouverte de cocasserie, de fantaisie et de dérision : des peintres faisant des vers, des écrivains maniant le pinceau, des prix décernés par tirages au sort, des banquets commençant par le dessert et finissant par les hors-d’œuvre... De bals en expositions, en explorant et expérimentant diverses techniques graphiques et plastiques, les Incohérents préfigurent les dadaïstes et surréalistes à venir. Le succès du courant culmine en 1886. L’affiche de l’exposition de cette année est dessinée par Jules Chéret.
Ce mouvement artistique, anticipe l'esprit de la belle époque.Il est la forme la plus émancipée d'une époque qui ne rêvait que de liberté. Cette avant-garde radicale, avant-garde sans avancée, sans oeuvres conservées est sortie de la mémoire collective.
Les arts incohérents sont contemporains de la 3e république, de la liberté de la presse et donc d'expression : des dizaines de quotidiens doivent être alimentés en dessins de presse. Ils font feu de tout bois, proposant dans la maison de Jules Levy, 20 m², passage Vivienne, des bals costumés ; Les commandements de l'incohérent ; l'installation On lui a posé un lapin, les caricatures du Rire : La foi en Dieu seule soutient (1884), Dessin à la mouchure de nez.
L'exposition de gens qui ne savent pas dessiner de Jules Levy a lieu dans un Hangar des Champs-Élysées, mais lors de l'installation du système d'éclairage, le toit s'effondre. Il est décidé d'une exposition éclairée par les bougies des participants ; préfiguration de l'exposition dada qui se fera à la lampe électrique Mazda (mais avec peu d'autonomie !). Grand succès pendant 10 ans à Paris mais aussi en province ou à Bruxelles. Les vernissages rassemblent plus de 10 000 personnes ; les œuvres sont vendues à prix bas au profit d'une société caritative. Il reste les catalogues mais peu d'objets, de costumes ou de décors, ou de manière exceptionnelle avec la vente de la collection d'André Breton.
Ce mouvement avait pris sa source dans les multiples cénacles et cercles littéraires qui parcourent le XIXe.
1824-1834. Le cénacle romantique de Charles Nodier à la bibliothèque de l'Arsenal. Loin de n'être qu'un lieu de divertissement, un salon, où l'on converse, le "cénacle de l'Arsenal" fut un des hauts lieux du romantisme, une "institution littéraire" ouverte à toutes les spécialités (littérature, théâtre, histoire, critique, peinture, musique, sculpture). Le Tout-Paris littéraire et mondain franchit au moins une fois son seuil, de Victor Hugo à Alfred de Musset en passant par Dumas, Balzac, Gautier, Nerval, Delacroix, Liszt... Dans le salon de la bibliothèque de l'Arsenal, dont il est le conservateur en chef depuis 1824, Charles Nodier accueille chaque dimanche soir toute l'élite littéraire et artistique durant les dernières années de la Restauration et les premières années de la Monarchie de Juillet.
Dans Les illusions perdues (1837-1843). Lucien Chardon se lie d'amitié avec Daniel d'Arthez qui tient un cénacle. Il boit de l'eau et accepte une vie de pauvreté et sobriété
1841-43 : Société des buveurs d'eau. Les fondateurs se réunissaient rue de la Tour d'Auvergne au numéro 1 dans une petite mansarde. Henry Murger dans Scènes de la vie de bohème en fait le terreau de la création artistique. Bons mots et performances se succèdent : Il faut rire, nous n'avons qu'un temps à vivre (La Vie de bohème); symphonie sur l’influence du bleu dans les arts; manuel du parfait fumiste; (mèche de cheveux des enquêtes du peintre ?); performances blanc sur blanc
1869-1872 : Les vilains bonshommes. La création de ce groupe prendrait sa source lors de la représentation au théâtre de l'Odéon le 14 janvier 1869 de la pièce de François Coppée, Le Passant. Cette pièce remporta un vif succès, soutenu par une claque peut-être trop visible, que Victor Cochinat, chroniqueur du journal satirique Le Nain jaune, commenta en écrivant : « Ah ! c’était une belle réunion composée de bien vilains bonshommes ! ». Saisissant l'occasion, le groupe visé s'appropria l'expression par dérision et revendiqua le titre de Vilains Bonshommes
Le groupe était composé au départ de Paul Verlaine, Léon Valade, Albert Mérat, Charles Cros et ses frères Henry et Antoine, Camille Pelletan, Émile Blémont, Ernest d’Hervilly et Jean Aicard. Se joindront à eux les peintres Fantin-Latour et Michel-Eudes de L’Hay, l'écrivain Paul Bourget, le photographe Étienne Carjat, les dessinateurs humoristes André Gill, et Félix Régamey, les poètes parnassiens Léon Dierx, Catulle Mendès, Théodore de Banville, Stéphane Mallarmé et, bien entendu, François Coppée.
Si certains de ces artistes ont également appartenu, en même temps et durant l'automne 1871, au groupe dissident du Cercle des poètes Zutiques, la confusion entre les deux groupes ne doit pas être entretenue, les Vilains Bonshommes ayant des positions littéraires diamétralement opposées : les Vilains Bonshommes appartenant à la mouvance parnassienne que les Zutistes raillent allègrement. Après l'épisode de la Commune, le groupe se radicalise et s'oppose désormais à Coppée, à Leconte de Lisle et aux parnassiens qui ont soutenu la répression bourgeoise.
Les dîners des Vilains Bonshommes se déroulaient périodiquement, le plus souvent une fois par mois, à partir de 1869. La guerre de 1870 les interrompit un temps et ils reprirent en août 1871 après la Commune pour se terminer fin 1872. Les convives se réunissaient en divers endroits de la capitale, à l'hôtel Camoens rue Cassette, au café des Milles Colonnes, et durant le repas les poètes présents déclamaient leurs derniers vers, les discussions s'enflammaient sur les nouveautés littéraires, entrecoupées de mots d'esprit et l'on buvait sec ! Composé en majorité de poètes parnassiens et de leurs admirateurs, les dîners finirent par s'embourgeoiser, ce qui entraîna, fin 1871, les railleries des membres du Cercle des Zutiques, fondé par Charles Cros, et dont certains membres participaient aussi aux dîners.
Arthur Rimbaud, fraîchement arrivé de Charleville (Ardennes) à l'invitation de Verlaine, est introduit par ce dernier au dîner des Vilains Bonshommes le samedi 30 septembre 1871. Il reçoit un accueil intéressé et admiratif à la lecture de son Bateau ivre. Mais au fil des réunions, le mauvais caractère et le goût de la provocation de Rimbaud, qui d'autre part fréquentait le Cercle des poètes Zutiques, irritent les convives. Cela aboutit à un sérieux incident lors du dîner du samedi 2 mars 1872 durant lequel, Rimbaud ayant interrompu systématiquement une récitation d'Auguste Creissels en clamant de tonitruants « merde ! », se fait traîner hors de la salle où se déroulait le banquet. Cela se finit, dans le chahut, par un coup avec la canne-épée d'Albert Mérat que donne Rimbaud à Étienne Carjat qui l'avait précédemment insulté. Ce fut la dernière apparition du poète aux dîners des Vilains Bonshommes.
1871-1872. Le Cercle des poètes Zutiques (ou Zutistes), où l'on disait « zut » à tout, comptait parmi ses membres des noms aussi illustres que Charles Cros, Arthur Rimbaud, Paul Verlaine, André Gill, Ernest Cabaner ou Léon Valade.Il se réunissait à l'Hôtel des Étrangers, à l'angle de la rue Racine et de la rue de l'École-de-Médecine, à Paris à partir de septembre-octobre 1871. Sans programme ni manifeste, ce rassemblement d'artistes doit être vu comme une dissidence des « dîners des Vilains Bonshommes. La trace la plus expressive et significative de l'existence de ces réunions se trouve dans la découverte tardive de l'Album zutique qui témoigne sur une trentaine de feuillets du passage d'une vingtaine de poètes et artistes dans ces lieux, sous la forme de vers et de dessins, parfois datés et souvent autographes. Sorte de livre de bord, fonctionnant à la fois comme un laboratoire ouvert aux expérimentations poétiques et un défouloir, dans lequel les amis caricaturaient férocement les poètes parnassiens, par des poèmes parodiques et des dessins parfois très lestes, avec une attention toute particulière accordée à François Coppée, véritable tête de turc du groupe. D'autres poètes « officiels » en prennent aussi pour leur grade comme Armand Silvestre, Léon Dierx, Alphonse Daudet. Le Sonnet du trou du cul composé par Paul Verlaine et Arthur Rimbaud en octobre 1871 qui pastiche le style du poète Albert Mérat, en est l'expression la plus célèbre.
1878- 1880 : Les hydropathes (étymologiquement : « ceux que l'eau rend malades »), un club littéraire parisien, fondé par le poète et romancier Émile Goudeau. Le nom renvoie à un jeu de mot sur celui de son fondateur ainsi qu'à l'hydre aux pattes de cristal de la carafe d'eau. Les membres disent des monologues, immédiatement hués s'ils ne font pas preuve d'une passion pour la blague et la déconade. Les artistes restent sans oeuvre à l'image d'Eugène Bouille dit Sapeck, performeur, capable de bloquer une rue sous prétexte de prendre les mesures de travaux. L'Hydro doit faire preuve "d'un talent quelconque", proche de la déclaration de George Brecht (je préfère être le 18e). Le club se réunit d'abord dans un café du Quartier Latin puis dans divers locaux du même quartier, C'est après une série de chahuts provoqués par le trio Jules Jouy, Sapeck et Alphonse Allais, qui lancèrent des pétards et des feux d'artifices, que le club disparut en 1880. Mais dès l'année suivante, la plupart des anciens membres du club des Hydropathes se retrouvèrent au Chat noir de Rodolphe Salis, ouvert en décembre 1881. La revue du même nom, fondée par Goudeau, parait à partir de janvier 1879 et compte, 32 numéros entre 1879 et mai 1880.
Plusieurs anciens Hydropathes rejoignirent, également en 1881, un autre groupe, les Hirsutes, dont le président, Maurice Petit, fut ensuite remplacé par Goudeau. Le groupe des Hirsutes se saborda en février 1884. Il renaquit alors sous le nom d'Hydropathes, mais cessa ses activités en juillet de la même année : les cafés de la Rive droite (Montmartre), Le Chat noir en tête, avaient remplacé ceux de la Rive gauche en tant que lieux de réunions privilégiés de la bohème estudiantine. On y dit des textes, Henri Rivière projette des ombres chinoises. C'est la préfiguration du cabaret dada à Zurich puis Berlin.
En décembre 1881 Rodolphe Salis ouvre, au 84 du boulevard Rochechouart, Le Chat Noir, « cabaret Louis XIII, fondé en 1114 par un fumiste ». Les habitués du Sherry-Gobler et de nombreux cabarets de la rive gauche vont y affluer jusqu'en 1896.
Si le Chat Noir fut dans le monde entier, le plus célèbre et fulgurant cabaret durant quinze ans (1881-1896), le plus ancien est bien le Lapin Agile. L’ancien cabaret des « Assassins » tient son nom d’une enseigne peinte par l’humoriste André Gill, en 1875, qui représente un lapin s’échappant d’une casserole.
Héritage
En 1988, le collectif "Présence Panchounette", reprend dans son son exposition "L'avant-garde a bientôt cent ans", des oeuvres emblématiques des arts incohérents :
Les monochromes en forme de plaisanteries d'Alphonse Allais dans son Album primo-Avrilesque, sont précurseurs du Carré blanc sur fond blanc (Malevitch), des Noirs de Pierre Soulages ou des bleus Klein. C'est la farce qui domine ici dans ces années de la belle époque à la différence de l'art du XXème siècle.
La marche funèbre pour les funérailles d’un grand homme sourd, où les artistes se contentent de compter des mesures est également précurseur du 4’33”, de John Cage. Allais réfute néanmoins cet esprit de sérieux et explique dans sa préface qu’il s’est inspiré d’un principe accepté : les plus grandes douleurs sont muettes.
Voir le pdf, conservé à la bibliothèque de France : Album Primo-Avrilesque d'Alphonse Allais.
Bibliographie :