Fondé en 1882 par Jules Lévy, le mouvement artistique des Incohérents dura une dizaine d’année jusqu’en 1893. Anticonformiste immergé dans un milieu d’artistes bohèmes, le jeune Lévy regrette la dispersion du club littéraire des Hydropathes. Son souhait est de « faire une exposition de dessins exécutés par des gens qui ne savent pas dessiner ». Approché par le comité de secours établi pour les victimes d’une explosion due au gaz dans le premier arrondissement de Paris, il saisit l’occasion d’une fête de bienfaisance pour tenir salon dans un hangar vétuste en août 1882. Le nom d’ « Arts incohérents » est retenu en raison de sa drôlerie.
Parodie du Salon officiel, l’exposition se prolonge d’année en année par d’autres manifestations avec une recherche ouverte de cocasserie, de fantaisie et de dérision : des peintres faisant des vers, des écrivains maniant le pinceau, des prix décernés par tirages au sort, des banquets commençant par le dessert et finissant par les hors-d’œuvre... De bals en expositions, en explorant et expérimentant diverses techniques graphiques et plastiques, les Incohérents préfigurent les dadaïstes et surréalistes à venir. Le succès du courant culmine en 1886.
L’affiche de l’exposition de cette année est dessinée par Jules Chéret. Le lithographe qui a pour habitude de dessiner des jeunes femmes si légères qu’elles semblent flotter dans les airs, n’a aucun mal à représenter le créateur des Incohérents, reconnaissable à sa moustache caractéristique, en pleine ascension. De manière assez originale, ce qui semble somme toute normale une fois rapportée au sujet de l’affiche, Jules Lévy est figuré en trois étapes, d’abord souriant au premier plan, puis traversant la lune comme il le ferait d’un simple cerceau de papier, et enfin s’éloignant toujours gesticulant.
L’affiche est indéniablement placé sous le signe de la gaieté : le sourire de Lévy est prolongé par celui de la lune, tandis que la volonté de ne pas se prendre au sérieux est rappelée, si besoin était, par la mention humoristique « N. B. Le port de la barbe est facultatif » dans la marge gauche de l’affiche. Le titre lui-même fait l’objet d’une recherche graphique sur la typographie, afin de suggérer la curiosité et l’étrangeté jusque dans le lettrage.
Trois mille personnes se bousculeront au vernissage de l’exposition le 17 octobre 1886, répondant à l’appel du commandement encadré dans l’entrée de l’Eden-Théâtre : « Un seul but te proposera, rire et t’égayer franchement. »