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Compte-rendu : série "Les foyers de la création : Bruges 1434" (Arte 1ère diffusion 16/11/2002).

 

1415. Les chevaliers français sont écrasés à la bataille d'Azincourt. Après la défaite, le cousin du roi de France, Philippe le bon, duc de Bourgogne prend le parti des anglais. Le Duc est le maître d'un état puissant mais sans unité, un amalgame de fiefs dispersés entre Dijon et Amsterdam. Au Nord, il domine un territoire grand comme la Belgique, les Pays-bas et le Luxembourg actuel. Ces très riches villes industrielles fondent sa puissance et c'est pour les préserver de la guerre qu'il s'allie au roi d'Angleterre.

De toutes ces villes Bruges est la plus active. Les marchands les plus entreprenants arrivent de Venise, Gênes ou Florence. L'Italie et la Flandre sont les deux pôles économiques de l'Europe, deux pôles survoltés qui s'attirent et se complètent, leur jonction s'opère dans le port de Bruges. Les navires italiens débarquaient à Bruges les épices qui venaient d'Orient : le poivre, les clous de girofle, le gimbranbre, la canellle, le sucre, la mire, le musc et l'encens, la soie de chine, la mousseline, le pourpre la graine d'écarlate, l'indigo de Bagdad, le corail, les perles, les pierres précieuses.

Les tisserands font les étoffes, les foulons les apprêtent, les tailleurs les assemblent. Ces métiers liés au luxe, à la mode excessive, tranche avec la violence du temps. Atmosphère tendue entre pauvres et riches, les artisans vivent sous la coupe des marchands qui travaillent pour eux. Souvent, les villes sont secouées par des grèves; cela ne freine pas l'obstination des marchands, sans scrupules qui ne pensent qu'à l'argent et cette obsession les pousse au réalisme à l'organisation. On voit apparaître une mentalité arithmétique, goût pour le calcul et l'exactitude. L'horloge mécanique remplace le cadran solaire, la mesure exacte des heures permet de contrôler le temps de travail des ouvriers. On peut connaître le prix de revient exact d'une pièce de drap.

Philippe le bon rêve d'être roi. Le roi d'Angleterre et le Duc de Bourgogne rassemblent leurs troupes pour venir à bout des maigres troupes du dauphin Charles. Ils croient l'emporter quand Jeanne délivre Orléans, la victoire change de camp. Les Bourguignons prennent Jeanne, Philippe le bon vend Jeanne aux anglais, elle est jugée et condamnée en 1431. La mort de Jeanne annonce la fin de la guerre. Une ère nouvelle se prépare.

Les bourgeois ambitieux ébranlent un système féodal à bout de souffle. Ils s'élèvent par leur mérite, et leur ascension annonce une conception nouvelle de l'homme et de la société. C'est l'ère des primitifs flamands. L'Agneau mystique de Van Eyck est peint un an après la mort de Jeanne. Le réalisme des plantes et des animaux, la vérité des visages sidèrent les spectateur. L'utilisation de la peinture à l'huile renforce l'illusion de la réalité et l'intensité des couleurs. Ce n'est qu'à la fin du moyen age que les peintres se décident à reproduire la réalité avec exactitude. La vie sur terre mérite d'être observée et représentée.

 

La coupure entre l'ordre divin et la connaissance scientifique

Le christianisme se méfie des images, l'église les accepte à condition qu'elles soient utilisées pour transmettre des idées, instruire les gens ordinaires. Les images n'avaient pas à donner du plaisir ou à décrire le monde, elles étaient des symboles. Au début du moyen-âge Dieu est représenté comme un roi puissant et terrible qui châtiât vivant et jugeait les morts, divinité puissante lointaine et sévère. Avec le temps, ce dieu terrible s'humanise, il s'efface devant le christ, le frère des hommes, né comme eux d'une femme, il partage leur souffrance, il meurt sur une croie, seul, humilié. A XIIIèmè siècle, lorsque le Christ humble s'impose, l'église est agitée par une longue controverse. Le christianisme est une religion obscure faite de mystère saint Thomas d'Aquin, et d'autres théologiens essaient d'éclaircir en s'appuyant sur la philosophie rationnelle d'Aristote, ils cherchent à concilier la foi et la raison mais leurs efforts buttent sur une contradiction insurmontable : dissiper le mystère, c'est restreindre la puissance divine. Or Dieu par essence est tout puissant. Voilà le paradoxe Dieu a créé le monde, or le monde est ordonné par des lois (2+2 =4, les renards mangent les poules..). Dieu aussi puissant soit-il ne peut faire que 2+2 fasse 100 et que les poules mangent les renards. Or par définition, rien n'est au-dessus de Dieu sa liberté est absolue. Comment alors concilier cette liberté illimitée et les lois qui ordonnent le monde ?

L'introduction de la logique dans le christianisme fait scandale. L'église condamne la démarche saint thomas. Jean Dunscot et Guillaume Duncan orientent la pensée dans une direction diamétralement opposée. Au lieu d'unir, ils séparent. Le monde divin est désormais séparé du monde humain. Il y a d'un côté Dieu totalement libre et tout puissant dont l'homme ne peut rien savoir et, de l'autre, le monde matériel accessible à la raison humaine. Seul un monde autonome obéissant avec des lois qui lui sont propre est compatible avec la liberté divine. Les hommes peuvent enfin satisfaire leur désir de connaitre sans contrevenir au dogme. Ils prennent conscience de l'espace et du temps.

Les peintres

Ce désir de connaître, cette conscience de l'espace et du temps se manifestent dans les images qui gagnent en réalisme.

Aux enluminures de 1270, calendrier dans lequel chaque mois est illustré par un geste on opposera ainsi Les très riches heures du Duc de Berry (1416). Au simple geste du semeur du mois d'octobre on remarque dans les enluminures des frères Limbourg les ombres projettées par la lumière du soleil, les plans qui s'étagent, les personnages qui donnent de la profondeur : plus ils sont éloignés plus ils sont petits. Un paysan sème et, en progressant marque le sol de ses empruntes de pas. Son compagnon enfoui avec une herse avant que les pies ne s'en emparent ; le château est la représentation exacte du Louvre

La Nativité (1425) de Robert Campin : Joseph demande à des femmes d'aider sa femme à mettre au monde un enfant bien qu'elle soit vierge. La première s'écrit une vierge a enfanté une seconde incrédule veut en avoir la preuve, aussitôt sa main se dessèche un ange lui annonce touche l'enfant et tu seras guérie . La naissance du christ est comme les autres, Marie est simple sans auréole, Jésus représenté comme un enfant malingre souligne la décision d'un dieu de s'incarner dans un enfant fragile.

La vierge à l'enfant (1432) de Robert Campin : Marie s'apprête à donner le sein. Derrière elle, un panier en osier dessine une auréole parfaite. Le surnaturel n'est pas absent, il se confond avec le réel. La fenêtre de la chambre s'ouvre sur la ville. Le christ est descendu sur terre, il habite le même monde que les bourgeois flamands.

Le mariage Arnolfini (1434) de van Eyck : même sens du concret même attrait pour la précision même esprit du détail porté jusqu'à la minutie. Le rationalisme du marchand s'accorde avec le réalisme du peintre.

La vierge au chancelier Rollin (1434) de van Eyck , pièce s'ouvre sur l'extérieur paysage sagesse de son gouvernement : les champs sont bien tenus, la ville est un amalgame des villes qui enrichissent l'état par leur travail.

Au XVème le costume est un uniforme ; porter le vêtement d'une autre condition s'est pêcher par orgueil. Les vêtements des Arnolfini bourgeois leur vêtement sont luxueux mais sobres. Les nobles en revanche son resplendissants éclatants. Eux seuls ont le droit de porter du brocard un tissu de soi brodé d'or. Nicolas Rollin est le fils d'un modeste bourgeois d'Autun et pourtant il porte une robe de brocard. Le duc en nommant Rollin chancelier l'a ennobli et cette noblesse toute fraîche notre homme veut l'afficher aux yeux de tous. A Bruges, les Adornaus des marchands italiens sont faits chevalier en récompense de leur service, ils paradent en amure, fiers de leur nouvelle condition dans leur chapelle privée. Ces hommes conscients de leur valeur ne veulent plus vivre anonymes et soumis. Ils expriment leur fierté en se faisant peindre. Auparavant, seul les rois ou les papes étaient représentés. Désormais, des hommes et des femmes sans gloire particulière commandent leur portrait comme autrefois les princes. Etre soi-même, au milieu des autres avec son propre bien, avec ses propres fautes, avec ses rêves, avec ses secrets. Etre soi, voilà la nouveauté. Auparavant se singulariser était un péché, l'amour propre était perdition. On devait se fondre dans un réseau de soumission et d'obéissance, il n'y avait de salut que dans le groupe. L'essor du portrait, la recherche de la vraisemblance, c'est l'individu qui se libère. Quand un bourgeois a réussit et veut le faire savoir, il commande un tableau où il est représenté au milieu des puissances célestes. Ces oeuvres sont exposés dans les églises aux yeux de tous. Elles sont à la fois une preuve d'orgueil et d'humilité. Mais aussi preuve d'Inquiétude pas conscience tranquille, Rollin essai de racheter son âme avec des actes de générosité dans la chapelle d'Autun il met le tableau de van Eyck prière à perpétuité pour sauver son âme (hospice de Beaune où il commande Le jugement dernier à Rogier van der Weyden frapper l'esprit des malades et les inviter à se repentir.

 

Philippe le bon use d'autres moyens pour plaire à Dieu, il se veut chevalier du Christ, il rêve de croisade. Les Turcs conquièrent Constantinople, la plus grande ville du monde, l'héritière de l'empire romain en 1453 grâce à Mohamed II. L'Europe est terrifiée. Philippe le Bon fait jurer à ses chevaliers de reprendre la ville. Quatorze ans plus tard le Duc meurt sans avoir délivré Constantinople et sans avoir été couronné. Le nouveau duc Charles le téméraire rêve lui aussi d'être roi, il attaque les territoires qui séparent la Flandre de la Bourgogne, il veut se tailler un royaume d'un seul tenant. Le 5 janvier 1477 à Nancy, il livre son dernier combat, il est retrouvé mort nu la tête fracassée, gelée dans un étang. L'Etat Bourguignon s'est effondré en moins d'une heure. A l'annonce du désastre la Flandre se soulève. Les bourgeois de Bruges ou de Gand n'ont jamais accepté la domination des Ducs. Ils veulent faire de leurs villes des cités Etat comme Venise ou Florence. La mort de Charles, c'est l'espoir d'une libération. Les villes se révoltent, le commerce s'effondre, les navires se détournent, les canaux ne sont plus entretenus. Exaspérés par ce conflit interminable, les marchands italien s'enfuient. Les dernières traces de prospérité disparaissent avec eux. Le chenal qui ouvre Bruges sur la mer s'ensable et la ville sombre irrémédiablement.

 

Les marchands refusent l'idée d'un monde ou chacun devrait se contenter de la place que Dieu leur a fixée, ils veulent maîtriser leur destin. Ces bourgeois orgueilleux pensent différemment, ils imposent leur goût pour le réalisme leur vison concrète du monde. Ces hommes assurés fiers d'eux memes s'exposent au regard de tous. Dans les villes d'occident au XVeme, on voit apparaître un grand mouvement de valorisation de l'homme, de sa liberté, de son indépendance d'esprit. Ce mouvement, c'est l'humanisme. L'homme, rassuré, contemple le monde comme Dieu après la création et le trouve beau.

 

Source : série "Les foyers de la création : Bruges 1434" (Arte 1ère diffusion 16/11/2002)

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