Le rôle de l'image Le dictionnaire des symboles de Jean Chevalier, ed Bouquins, 1982,(DS) L'imagination créatrice dans le soufisme d'Ibn' Arabie de Henri Corbin, 1958, (IC) L'homme à la découverte de son âme; structure et fonctionnement de l'inconscient, 2ème édition de C.G. Jung, Genève 1946, (HA) Traité d'histoire des religions de Mircea Eliade, Paris 1949, n.e. 1964, (TH) Les trois fonctions chez Lacan L'entre-Image de Raymond Bellour Les structures anthropologiques de l'imaginaire de Gilbert Durand, 1963, (SA) L'image-mouvement et l'image temps de Gilles Deleuze Les iconoclastes de Jean-Joseph Goux Vocabulaire de la psychanalyse de j Laplanche, 1967, (VP) L'exposition : passage de l'image L'exposition: les vanités
On sait qu'il existe des choses et que pour désigner ces choses les êtres vivants utilisent un langage. Ce langage peut être une langue (l'anglais, le français, le latin etc., qui possèdent un lexique et une syntaxe...) ou un système de signes ( le langage des sourds-muets, le dessin, la peinture, le cinéma...).
La sémantique est l'étude du sens du langage, la sémiologie l'étude des signes qui servent à produire le sens. Si l'image n'est qu'un système de signes alors elle relève du domaine de la science (sciences du langage, rhétorique, communication..). Mais l'image est-elle réductible à un système de signes ? L'image n'est-elle pas aussi un lieu favorable au développement de l'imaginaire, le lieu où l'artiste revitalise une symbolique qu'il appartient au spectateur d'interpréter.
Approche terminologique (DS)
L'Imaginaire et le Symbolique : essai de définition
Le champ sémantique des divers vocables dérivés en français du terme d'image risquerait d'être singulièrement appauvri si l'interprétation en était faite sur le seul fondement étymologique du latin imago. Dans son acceptation originaire ce terme vise en effet le trait de ressemblance dont se trouve marquée une représentation quelle soit une fable ou un objet plastique. Aussi bien imago a-t-il même racine qu'imitor. S'agit-il au contraire de donner un équivalent à notre imaginaire, c'est à dire à ce genre de représentation dont c'est l'essence de nous soustraire au déjà vu, et d'ériger un monde dont on entend souligner qu'il est sans modèle, c'est à d'autres racines qu'il sera fait appel. Les écrivains latins ont bien marqué d'ailleurs par leurs emprunts terminologiques l'obligation où ils étaient de renouveler leur lexique de l'imaginaire, et c'est vers le grec qu'ils se sont tout naturellement tournés par une série d'emprunts dont l'usage français a lui-même bénéficié. De l'équivalent grec de l'imago latine c'est à dire de l'icône on dissociera le fantasme, c'est à dire l'objet de la fantaisie auquel le phantastikon correspond en des acceptations qui sont l'anticipation du "fantastique" français. La représentation "fantastique" ne se connaît pas d'originale, elle est sans modèle dans le réel, mais elle soutient ce paradoxe de prêter à un contenu irréaliste (la fantaisie), ou pour le moins tenu pour irréel, l'apparence d'une réalité (le fantasme). Mais de ce déplacement surgit précisément le problème de l'imaginaire : comment l'image en tant qu'image, peut-elle parodier le réel? Comment l'image destinée à reproduire les traits caractéristiques d'un objet se trouve-t-elle revendiquer dans l'imaginaire les traits d'une quasi-réalité? La relation de l'image à l'imaginaire n'est pas un aspect particulier du problème, c'est le problème même de l'imaginaire.
L'emploi du mot symbole révèle des variations de sens considérables. Pour préciser la terminologie en usage, il importe de bien distinguer l'image symbolique de toutes les autres avec lesquelles elle est trop souvent confondue. De ces confusions résultent un affadissement du symbole, qui se dégrade en rhétorique, en académisme ou en banalité. Si les frontières ne sont pas toujours évidentes, en pratique, entre les valeurs de ces images, c'est une raison supplémentaire pour les marquer avec force en théorie
Toutes ces formes imagées de l'expression ont en commun d'être des signes et de ne pas dépasser le niveau de signification. Ce sont des moyens de communication, sur le plan de la connaissance imaginative ou intellectuelle, qui jouent un rôle de miroir, mais ne sortent pas du cadre de la représentation. Symbole refroidi, dira Hegel de l'allégorie; sémantique desséchée en sémiologie, précisera Gilbert Durand. Le symbole se distingue essentiellement du signe, en ce que celui-ci est une convention arbitraire qui laisse étrangers l'un à l'autre le signifiant et le signifié, tandis que le symbole présuppose homogénéité du signifiant et du signifié au sens d'un dynamisme organisateur (SA, 20).
S'appuyant sur les travaux de Jung, de Piaget, de Bachelard, Gilbert Durand fonde sur les structures même de l'imagination ce dynamisme organisateur... facteur d'homogénéité dans la représentation. Bien loin d'être faculté de former des images, l'imagination est puissance dynamique qui déforme les copies pragmatiques fournies par la perception et ce dynamisme réformateur des sensations devient le fondement de la vie psychique tout entière. On peut dire que le symbole... possède plus qu'un sens artificiellement donné, mais détient un essentiel et spontané pouvoir de retentissement (SA, 20-21).
Dans la Poétique de l'espace, G. Bachelard précise ce point : le retentissement nous appelle à un approfondissement de notre propre existence... Il opère un virement d'être. Le symbole est véritablement novateur. Il ne se contente pas de provoquer des résonances, il appelle une transformation en profondeur. On voit dès lors que les symboles algébriques, mathématiques, scientifiques ne sont, eux aussi, que des signes dont la portée conventionnelle est soigneusement définie par les instituts de normalisation. Il ne saurait exister de science exacte s'exprimant en symboles, au sens précis de ce terme. La connaissance objective dont parle Jacques Monod, tend à éliminer ce qui reste de symbolique dans le langage pour ne retenir que la mesure exacte. Ce n'est qu'un abus de langage, bien compréhensible d'ailleurs, d'appeler symboles ces signes qui visent à indiquer des nombres imaginaires, des quantités négatives, etc. Mais ce serait une erreur de croire que l'abstraction croissante du langage scientifique conduit au symbole ; le symbole est lourd de réalités concrètes.
L'abstraction vide le symbole et engendre le signe ; l'art, au contraire, fuit le signe et nourrit le symbole Le symbole est donc beaucoup plus qu'un simple signe : il porte au-delà de la signification, il relève de l'interprétation et celle-ci d'une certaine prédisposition. Il est chargé d'affectivité et de dynamisme. Il joue sur des structures mentales. C'est pourquoi il est comparé à des schèmes affectifs, fonctionnels, moteurs pour bien montrer qu'il mobilise en quelque sorte la totalité du psychisme. Pour marquer son double aspect représentatif et efficace, on le qualifierait volontiers d'eidolo-moteur. Le terme eidolon le maintient, pour ce qui est de la représentation au niveau de l'image et de l'imaginaire, au lieu de le situer au niveau intellectuel de l'idée (eidos).
Ce n'est pas à dire que l'image symbolique ne déclenche aucune activité intellectuelle. Elle reste cependant comme un centre autour duquel tout le psychisme qu'elle met en mouvement. Quant une roue sur une casquette indique un employé de chemin de fer, elle n'est qu'un signe; quand elle est mise en relation avec le soleil, avec les cycles cosmiques, avec les enchaînements des destinées, avec les demeures du Zodiaque, avec le mythe de l'éternel retour, c'est tout autre chose, elle prend valeur de symbole. Mais en s'éloignant de la signification conventionnelle, elle fraie la voie à l'interprétation subjective. Avec le signe on demeure sur un chemin continu et assuré ; le symbole suppose une rupture de plan, une discontinuité, un passage à un autre ordre ; il introduit dans un ordre nouveau aux multiples dimensions. Complexes, indéterminés mais dirigés dans un certain sens, les symboles sont encore appelés des synthèmes ou des images axiomatiques.
Les exemples les plus prégnants de ces schèmes eiolo-moteurs sont ce que C.G. Jung a nommé les archétypes. On peut rappeler ici une conception de S. Freud, sans doute plus restrictive que celle de Jung, sur les fantasmes originaires, qui seraient des structures fantasmatiques typiques (vie intra-utérine, scène originaire, castration, séduction) que la psychanalyse retrouve comme organisant la vie fantasmatique, quelles que soient les expériences personnelles des sujets; l'universalité des fantasmes s'explique selon Freud, parle fait qu'ils constitueraient un patrimoine transmis phylogénétiquement (VP, 157)
Les archétypes seraient, pour C.G. Jung, comme des prototypes d'ensembles symboliques, si profondément inscrits dans l'inconscient qu'ils en constitueraient comme une structure, des engrammes, selon le terme de l'analyste zurichois. Ils sont dans l'âme comme des modèles préformés, ordonnés (taxinomiques) et ordonnateurs (téléonomiques), c'est à dire des ensembles représentatifs et émotifs structurés, doués d'un dynamisme formateur. Les archétypes se manifestent comme des structures psychiques quasi-universelles, innées ou héritées, une sorte de conscience collective; ils s'expriment à travers des symboles particuliers chargés d'une grande puissance énergétique. Ils jouent un rôle moteur et unificateur considérable dans l'évolution de la personnalité.
C.G. Jung considère l'archétype comme une possibilité formelle de reproduire des idées semblables ou du moins analogues... ou une condition structurale inhérente à la psyché, qui a elle-même, en quelque manière, partie liée avec le cerveau (HA, 196). Mais ce qui est commun à l'humanité, ce sont ces structures, qui sont constantes et non pas ces images apparentes, qui peuvent varier selon les époques, les ethnies et les individus. Sous la diversité des images, des récits des mimes, un même ensemble de relations peut se déceler, une même structure peut fonctionner.
Mais si des images multiples sont susceptibles d'être réduites à des archétypes, il ne faut pas perdre de vue pour autant leur conditionnement individuel, ni, pour accéder au type, négliger la réalité complexe de cet homme tel qu'il existe. La réduction, qui atteint par l'analyse le fondamental et qui est de tendance universalisante, doit s'accompagner d'une intégration, qui est d'ordre synthétique et de tendance individualisante. Le symbole archétypique relie l'universel et l'individuel. Les mythes se présentent comme des transpositions dramaturgiques de ces archétypes, schèmes et symboles ou des compositions d'ensemble, épopées, récits, genèses, cosmogonie qui trahissent déjà un processus de rationalisation.
Mircea Eliade voit dans le mythe le modèle archétypal pour toutes les créations sur quelque plan qu'elles se déroulent: biologique, psychologique, spirituel. La fonction maîtresse du mythe est de fixer les modèles exemplaires de toutes les actions humaines significatives (TH, 345). Le mythe apparaîtra comme un théâtre symbolique des luttes intérieures et extérieures que livre l'homme sur la voie de son évolution, à la conquête de sa personnalité. Le mythe condense en une seule histoire une multitude de situation analogues ; au-delà des images mouvementées et colorées, il permet de découvrir des types de relations constants, c'est à dire des structures.
Mais ces structures, animées de symboles, ne restent pas statiques. Leur dynamisme peut prendre deux directions opposées. La voie de l'identification aux dieux et aux héros imaginaires conduit à une sorte d'aliénation; les structures sont alors qualifiées de schizomorphes (G.Durand); elles tendent en effet à rendre le sujet semblable à l'autre, à l'objet de l'image, à l'identifier à ce monde imaginaire et à le séparer du monde réel. Au contraire la voie d'intégration des valeurs symboliques, exprimées par les structures de l'imaginaire, favorise l'individuation ou le développement harmonieux de la personne; ces structures sont alors dites isomorphes, homogénéisantes, comme des incitations pour le sujet à devenir lui-même, au lieu de s'aliéner en un héros mythique. Si l'on considère l'aspect synthétique de cette intégration, qui est une assimilation intérieure à soi-même des valeurs, au lieu d'être une assimilation de soi à des valeurs extérieures, on qualifiera ces structures d'équilibrantes
. On désignera sous le nom de symbolique, d'une part l'ensemble des relations et des interprétations afférent à un symbole, la symbolique du feu par exemple; d'autre part, l'ensemble des symboles caractéristiques d'une tradition, la symbolique des Mayas de l'art roman, etc.; enfin l'art d'interpréter les symboles.
Le symbolique selon J.Lacan est un des trois registres essentiels qu'il distingue dans le champ de la psychanalyse, avec l'imaginaire et le réel: Le symbolique désigne l'ordre des phénomènes auxquels la psychanalyse a affaire et tant qu'ils sont structurés comme un langage (VP, 474) Les trois ordres chez Lacan Pour Lacan les signifiants sont premiers par rapport aux signifiés. Les signifiants forment la langue dans laquelle le sujet puise pour émettre une parole. Cette parole rétroagit sur la langue et la modifie si assez de gens pendant un temps assez long font rentrer certaines paroles dans la langue. Le sujet n'est donc pas libre de dire tout ce qu'il peut, il doit s'exprimer dans la langue.
Les règles de la langue sont extrêmement complexes et doivent répondre à la seconde loi de la linguistique de Saussure : la linéarité du signifiant
Conférence Le stade du miroir, à Marienbad le 31 juillet 1936 lors du XIV Congrès international de psychanalyse. Trois étapes de maturation de l'enfant vis à vis de l'image entre 6 et 8 mois:
L'image reproduit la densité du réel, elle est l'amorce toujours possible d'une rêverie, elle ne dit rien, elle propose un déchiffrement qui dépend du spectateur. Ce n'est que de manière anecdotique qu'elle propose parfois un discours. L'image est déjà là; psychanalitiquement J-J Goux affirme même qu'elle est liée au besoin de la mère; alors que le sens est une construction, un idéal à construire qui est dicté par le désir de ressembler au père. Les images n'ont pas à faire sens, leur seule présence est signe d'une réalité. Au contraire le discours, l'élaboration d'un sens par la parole ou l'écriture, nécessite une construction qui doit avoir recours à de multiples règles plus ou moins admises, plus ou moins changeantes - règles linguistiques et sémiologiques-. Le discours est toujours critiquable. L'image aussi est critiquable mais de manière moins immédiate. Et entre le temps où on l'a reçu et celui où on la critique, elle s'est déjà imposée à nous: d'où sa puissance et son danger.
L'image moderne (photographique, vidéo ou cinématographique) de part sa fabrication même, a un rapport étroit avec la vérité. Elle capte de manière mécanique les rayons de lumière qui ont été détournés par les objets. Les images modernes sont la trace, l'empreinte du réel. Elles semblent ainsi avoir acquis le droit de s'établir pour l'équivalent le réel. Pourtant notre société à force de consommer de l'image a fini par ce méfier de celle-ci et l'on assiste à une séparation assez nette entre deux types d'image: celles qui se donnent pour pur fantasmagorie et celles qui se veulent l'empreinte du réel.