Débat après la projection de 5 ans de réflexion de Nicholas Stoller. Emmanuel Burdeau rappelle que Pierre Salvadori vient du Stand-up, du show télévisé et que réalisateur de comédies, il est aussi un fin connaisseur de la comédie américaine.
Pour Pierre Salvadori, on retrouve dans la comédie américaine des années 2000 ce qui était présent dans la Comédie italienne des années 60 : cette porosité des acteurs, des scénarios, de réalisateurs travaillant avec les uns ou avec les autres. En France aussi, il commence à y avoir plus de dialogue. Avec Céline Sciamma ou Thomas Cailley on retrouve le plaisir de parler métier et de monter des projets ensemble. Avec la bande de Judd Apatow, on est loin de l'auteur-roi qui ne partage pas et reste le plus flou possible sur sa source d'inspiration. Il y a, au contraire, une vraie jubilation, démocratique et intelligente, tournée vers le plaisir destiné au spectateur. On ne sacralise plus l'auteur au pouvoir centralisé et intolérant mais davantage curieux de ce que proposent les acteurs. Pierre Salvadori se dit sidéré de voir dans les bonus des DVD que 10 prises d'une scène donnaient 10 dialogues différents.
Pierre Salvadori aimerait aussi donner libre cours à l'ivresse d'une parole d'un acteur contre la précision de l'histoire. Il a bien essayé de laisser "entrer de l'air" avec Guillaume Depardieu mais celui-ci avait plutôt tendance à détruire le scénario. Il s'est donc contenter de capter l'émotion de son jeu particulier.
Pierre Salvadori est à presque certain que des passages de 5 ans de réflexion sont improvisés. Ainsi lorsqu'Emily Blunt doit mimer comment elle va accorder une nuit de sexe à Jason Segel qui a accepté de partir pour le Michigan ou lors de déclaration de haine entre le Coréen et l'Indienne dans la séquence de réunion des doctorants au café (j'aime tout le monde sauf lui/sauf elle).
Pour saisir l'improvisation des acteurs, il faut filmer avec deux ou trois caméras. Le désavantage est que la concentration s'estompe. Pierre Salvadori ne peux ainsi pas alors donner une autre proposition de jeu à ses acteurs. Mais, si ceux-ci sont créatifs, ils proposent. Le réalisateur retravaille alors le tempo au montage.
Adéquation de la mise en scène avec son sujet : accompagner des personnages, dans la conjugalité de la vie ensemble. Filmer l'utopie que l'on repousse et l'ennui sans être ennuyeux. La dramaturgie est simple : un mariage sans cesse repoussé avec enlisement puis une ultime pirouette pour s'en sortir. Forme hybride entre la chronique et le burlesque avec, dans la grande tradition de la comédie américaine, des scènes régressives (zizi ou orteil dans la neige, poursuite à pied...). Moins de précision dans la durée ou le jeu des ellipses ainsi tradition de Blake Edwards plus que de Lubitsch. Salvadori avait eu la révélation du cinéma avec le choc du Ciel peut attendre. Ici, on est plus proche de Funny people (Judd Apatow, 2009) ou de L'amour est une grande aventure (Blake Edwards, 1989). Lubitsch doit élever sa mise en scène pour extraire le plaisir à partir de la vie quotidienne alors que Nicholas Stoller accepte davantage le plaisir du réel, quitte à s'y enliser parfois..
La première séquence de 5 ans de réflexion travaille davantage le plaisir de la répétition que la surprise de la première fois. Un peu comme Hitchcock préférait le suspens à la surprise : le fait d'être conscient de ce qui se passe. Violet, la jeune femme, sait ce qui l'attend : une demande en mariage. Elle n'a plus la surprise mais c'est justement de jouir de savoir ce qui va arriver qui est le plus intéressant, à la fois pour elle et pour le spectateur. C'est une mise en scène en forme d'ode à la fiction et au spectateur : c'est un jeu mais il faut le jouer quand même, se raconter l'histoire pour lui donner une dimension supplémentaire comme dans L'homme qui tua Liberty Valance.
Les apprentis (Pierre Salvadori, 1995) aussi était une chronique mais avec la possibilité pour le réel de changer de dimension. Comme Supergrave (Greg Mottola, 2007), il raconte une amitié entre garçons.
Emmanuel Burdeau et Pierre Salvadori concluent en faisant part de leur admiration commune pour l'acteur Jason Segel dont la bonté apparait aussi clairement que celle de James Stewart à l'époque classique.