Jeudi 28 janvier 2016
à 19h au Frac Basse-Normandie et à 20h30 au Café des Images :
Soirée
LES FAUSSAIRES suivi de LA VALLÉE DE LA PEUR,
double événement dans le cadre de l’exposition de Michel Aubry
La loge des Fratellini au Frac.

Tel un compositeur interprète, Michel Aubry développe un corpus d’œuvres qui n’a de cesse de mettre en jeu les créations emblématiques de l’histoire de l’art moderne et issus du champ de l’art plastique, du cinéma et du cirque. Des figures telles que Alexandre Rodtchenko, Erich von Stroheim, Albrecht Dürer, Joseph Beuys ou les frères Fratellini apparaissent avec récurrence dans l’univers de Michel Aubry.

Pour la soirée Les Faussaires, une table avec deux verres est disposée devant les rangées de chaises alignées dans la loge des Fratellini. Derrière la table, un écran blanc. Michel Aubry s'installe à table avec son compère David Legrand. Il nous explique qu'il va utiliser les accessoires de la loge pour recréer un monde de doublures, de copies et de répliques. Commence ainsi une répliqûre, un film tourné en vidéo, d’après quelques scènes choisies puis volées aux Disparus de St-Agil (Christian-Jaque, 1938)

19h00 : accueil
Répliqûre des disparus de Saint Agil

Il ne s’agit pas de ressembler aux acteurs principaux, mais de reconstruire chaque scène avec des moyens recelés, en dérobant les costumes et en s’arrangeant du décor laissé sur place. La répliqûre n'imite pas, elle recrée des scènes de film. les doubles de Michel Simon et de Robert Le Vigan (l’un jouant un professeur de dessin, graveur de plaques de faux billets, et l’autre le chef d’une bande de faux-monnayeurs) débattent d'addiction à l'alcool et de gravures d'Albrecht Dürer.

De la répliqûre cinéma...
...à la performance de théâtre

Il ne s'agit pas tant d'être en avance sur les films suédés de Michel Gondry tels qu'on a pu les voir dans Soyez Sympa rembobinez. Il s'agit bien plutôt de continuer à jouer du cinéma vers la scène improvisée du film que David Legrand et Michel Aubry interprètent maintenant.

mettre en scène le costume
qui dit l'histoire des personnages

Après la répliqûre cinéma et théâtre des Disparus de St-Agil (Christian-Jaque, 1938), Michel Aubry s'en va chercher une nouvelle veste dans la loge. Il y a deux problèmes dit-il. Le premier est que cette veste, David l'enfila il y a dix ans et qu'il a un peu grossi depuis. Mais non la veste s'enfile. Le deuxième problème est que cette veste n'est pas celle de Jean Gabin dans La grande illusion (Jean Renoir, 1939). Non c'est bien plutôt celle de Jean Renoir. Il la donna à Jean Gabin pour être un peu acteur dans son film. Qui plus est, cette veste n'est pas la veste que Jean Renoir donna à Jean Gabin mais une vrai veste de soldat de la 1ere guerre mondiale comme aurait dû porter Jean Gabin. Donc cette veste est celle que Renoir aurait aimé donner à Gabin. C'est pourquoi David Legrand se prête à une imitation de Jean Renoir parlant de son cinéma comme il le fit dans son dernier film, le petit théâtre de Jean Renoir.

Jean Gabin est devenu Jean Renoir
David Legrand imite Jean Renoir

Puis est projetée la répliqûre de La grande illusion. Elle commence par les lieux où le capitaine de Boeldieu (Pierre Fresnay) retrouve le commandant von Rauffenstein (Eric von Stroheim) : les intérieurs de la forteresse de Wintersborn, reproductions cinématographiques des salles du château du Haut-Koenigsbourg, lui-même copie de citadelle médiévale reconstituée au début du 20ème siècle pour le Kaiser.

Répliqûre de La grande illusion
Les doubles de Jean Gabin et Pierre Fresnay

Il s'agit d'une épopée fictive de l’équipée clandestine aux studios Billancourt. Ainsi Michel Aubry lit-il son synopsis fantaisiste : Aux studios Billancourt, entre 1936 et 1938, deux oeuvres incomparables du cinématographe furent tournés, l’une par Monsieur Jean Renoir, l’autre par Monsieur Christian-Jaque. Pendant le tournage un autre film original fut élaboré dans les mêmes studios, sur les mêmes plateaux, avec les mêmes décors, par des inconnus qui s’empressèrent de rejouer, une fois les lieux vides, les mêmes scènes en portant les costumes des premiers rôles.

Grâce à un double des clefs, chaque fois que les deux cinéastes et leurs équipes libéraient les studios, un petit groupe d’anonyme accédait aux plateaux clandestinement, profitant des décors et des costumes de la production pour tourner furtivement une réplique de la scène qui venait d’être jouée.

Les doubles de Pierre Fresnay et Eric von Stroheim
Michel Aubry prépare Petit Eric

Eric von Stroheim fait alors son entrée en scène sous la forme d'une grande marionnette que Michel Aubry installe soigneusement entre deux chaises. David Legrand peut alors interpréter le discours de Malraux remettant la médaille de chevaler de la légion d'honneur à Eric Von Stroheim.

La fougue de Malraux par David Legrand
Malraux remet sa médaille à Eric von Stroheim

Une autre écharpe, un autre costume et David Legrand est transformé en Pierre Brasseur dans Lumière d'été (Jean Grémillon, 1943)

Répliqûre de Lumière d'été
David Legrand en Pierre Brasseur

Et pour finir numéro surprenant : Michel Aubry bande les yeux de David Legrand. Celui-ci endosse alors le rôle du professeur Winckler qu'interprétait Eric von Stroheim dans L'alibi (Pierre Chenal, 1937). Il devine le numéro de loto distribué à une spectatrice. Puis, plus fort, Winckler devient... Jean-Luc Godard qui, de sa voix bien particulière, se dit capable, s'en l'avoir vu, de deviner les lieux de La vallée de la peur (Raoul Walsh, 1947). "Jean-Luc Godard" nous invite alors à se rendre au Café des Images pour voir le film au cinématographe.

Un nouveau personnage
Jean-Luc Godard devine La vallée de la peur

A 20h30, pour le public du Café des Images, Michel Aubry et David Legrand renouvellent leur duo final : "Jean-Luc Godard" présente ainsi La vallée de la peur (Raoul Walsh, 1947) :

Dès son plus jeune âge Jeb Rand a été adopté par Mrs Callum qui l'a élevé comme son propre enfant, aux côtés de sa fille Thorley et de son fils Adam. Jeb est souvent la proie de terribles cauchemars au cours desquels revient la même obsession : une paire de bottes dont les éperons étincellent...

Western psychanalytique d'une part, poème et fresque cosmique de l'autre, le territoire et l'ambition du film sont immenses, presque illimités.

La trajectoire de cette destinée d'un personnage subissant l'emprise de son passé permet à Walsh de bâtir et d'explorer un univers qui commence au plus profond du cœur d'un homme et va se perdre quelque part dans l'infini des cieux.

Récit concret, physique d'une haine plus dense encore que la pierre, celle de Grant Callum pour la famille des Rand, Pursued est aussi une immatérielle histoire de fantômes où, par exemple, une mariée vêtue de blanc rêve d'accomplir la nuit même de ses noces, un improbable projet de vengeance contre celui qu'elle vient d'épouser. La tragédie du héros et de l'héroïne, telle qu'elle est décrite ici, c'est qu'il leur faut triompher non seulement de l'hostilité bien concrète de leurs ennemis mais aussi de leurs propres rêves, de leurs cauchemars et de toutes les obsessions que charrie leur imaginaire.

 

Jean-Luc Lacuve le 31/01/2016

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