Un jeune homme solitaire, "The Driver", conduit le jour à Hollywood pour le cinéma en tant que cascadeur et la nuit pour des truands. Ultra professionnel et peu bavard, il a son propre code de conduite. Jamais il n'a pris part aux crimes de ses employeurs autrement qu'en conduisant - et au volant, il est le meilleur !
Shannon, le manager qui lui décroche tous ses contrats, propose à Bernie Rose, un malfrat notoire, d'investir dans un véhicule pour que son poulain puisse affronter les circuits de stock-car professionnels. Celui-ci accepte mais impose son associé, Nino, dans le projet. C'est alors que la route du pilote croise celle d'Irene et de son jeune fils. Pour la première fois de sa vie, il n'est plus seul.
Lorsque le mari d'Irene sort de prison et se retrouve enrôlé
de force dans un braquage pour s'acquitter d'une dette, il décide pourtant
de lui venir en aide. L'expédition tourne mal. Doublé par ses
commanditaires, et obsédé par les risques qui pèsent
sur Irene, il n'a dès lors pas d'autre alternative que de les traquer
un à un...
Le mutisme du personnage pourrait représenter une attitude très XXIe siècle de retrait du monde, un refus de la contamination du mal que subissaient les héros, policiers ou criminels d'occasion, du XXe.
En trois ans, à l'orée des années soixante-dix, cinq films avaient tracé le portrait de policiers aux prises avec une banalisation du mal dans l'exercice de leur métier dont ils ne pouvaient sortir indemnes : French connection (William Friedkin, 1971), L'inspecteur Harry (Don Siegel, 1971), Les flics ne dorment pas la nuit (Richard Fleischer, 1972), The offence (Sidney Lumet, 1973) et Serpico (Sidney Lumet, 1973). Martin Scorsese régnera ensuite en maitre sur les polars ultraviolents des années 1980 à 2000 sans que leurs héros n'aient guère plus de chance de s'en sortir.
"The Driver" pourrait avoir vu ces films et se dire que cinq minutes chrono c'est le maximum possible avant d'être contaminé par le mal. C'est le maximum avant que, de chevalier blanc, il ne se transforme en redoutable scorpion détruisant alors, selon la fable bien connu, et les autres et lui-même.
La première demi-heure de Drive présente ce fragile équilibre entre scène de conduite spectaculaire (la fuite après le vol dans un entrepôt) et le maniérisme des couloirs à la Wong Kar-wai (la rencontre avec Irène). Car le refus du monde s'accompagne aussi d'un retrait des valeurs aussi simple que l'amour et la famille.
La vision d'Irène brusquement surgie dans la même allée du supermarché ou la pause loin du monde dans un réservoir d'eau orné de détritus (référence au Chinatown de Polanski ?) est pour lui un coup du sort tragique : le naïf plaisir d'une vie de famille, hors de portée.
C'est ce que vient prouver la suite dans une ultra violence à la Scorsese : menace de la balle enfoncée au marteau dans le front, massacre du garde du corps après le baiser volé à Irène dans l'ascenseur. Le driver n'en est pas plus affecté que cela car il sait déjà que, pour lui, tout est perdu. C'est ce que finira par comprendre mais bien tard son ami Shannon. Le héros solitaire, au blouson de scorpion, repartira solitaire pour préserver la femme qu'il aime. Une façon de quitter l'humanisme du XXe siècle pour l'exil et la froideur propres aux polars XXIe.
Jean-Luc Lacuve, le 1er décembre 2011