Dans un bar, huit hommes décontractés préparent le hold-up d'une bijouterie. Plus tard, quand l'un d'eux, White, conduit Orange, un comparse gravement blessé qu'il tente de soulager, dans l'entrepôt où devait être partagé le butin, on comprend que ça s'est très mal passé. Ils sont rejoints par Pink, autre rescapé. Des questions surgissent : qui a prévenu les flics, déclenché l'alarme ? Pourquoi Blonde tirait-il partout ? Qui a trahi ? White revoit comment il fut engagé par un spécialiste, le vieux Joe Cabot, et son corpulent fiston, Eddie...
La panique prend White et Pink : que faire d'Orange, dont White a pitié ? Où est Joe ? Le ton monte ; ils se tiennent en joue quand surgit Blonde, et White l'accuse d'avoir tué sans nécessité. Orange, conscient ou évanoui, continue de baigner dans son sang. Pink les raisonne. Blonde annonce la visite de Joe et va dans sa voiture chercher une surprise, un flic vivant pris en otage. On nous montre comment Cabot a recruté Blonde, tout juste sorti de prison et etroitement surveillé par son controleur judiciaire.
White et Pink vont cacher les voitures et laissent le flic prisonnier avec Blonde, qui l'interroge : il lui découpe l'oreille au rasoir et l'arrose d'essence. Mais Orange abat Blonde avant qu'il aille plus loin et révèle au supplicié qu'il est le mouchard. On voit comment, avant de devenir Orange, il a appris son rôle avec soin grâce à son chef Holdaway qui lui a fait apprendre l'histoire des chiottes, une anecdote sur une histoire de deal. Puis comment il a préparé le hold-up, a gagné la confiance de White et, en parfait disciple, a été baptisé comme les autres par Joe Cabot d'un nom de couleur, pour des raisons de sécurité.
White et Pink reviennent, avec Eddie, et Orange explique qu'il a abattu Blonde, devenu fou. Eddie n'en croit rien et achève le flic torturé. Quand, enfin, le patron arrive, il crée un choc en disant que le traître, c'est Orange. Le père, son fils et White se rejettent les responsabilités, se tirent dessus en même temps et se blessent à mort, tandis que Pink tente de fuir. La police a cerné les lieux. White, à qui Orange demande pardon, accuse ce coup, qui risque d'être le dernier, et braque une arme sur la tête de son ami. Les policiers ouvrent le feu.
Reservoir dogs met en scène la brutalité la plus pure dans une mise en scène très sophistiquée. L'ironie (Joe entre deux défenses d'éléphant), l'excès volontaire (la mare de sang dans laquelle baigne Orange racontant son histoire), les décharges de violence qui laissent pantois (policiers abattus sans sommations) viennent déréaliser ce qui pourrait être du pur voyeurisme.
Une construction narrative très sophistiquée
Le coup de force le plus évident du film est de bouleverser la chronologie avec une ellipse qui évite de nous montrer ce qui aurait classiquement été la scène centrale d'un film de gangster, le hold-up, et quatre flashes-back de nature différente qui ménagent adroitement le suspense.
Pour cela un peu de théorie n'est pas inutile. Un flash-back peut se porter plus ou moins loin du moment présent, c'est à dire du moment de l'histoire s'est interrompu pour lui faire place. Cette distance temporelle est sa "portée". Il peut aussi couvrir une durée d'histoire beaucoup plus longue qu'un flash, c'est ce que Genette appelle son "amplitude".
La détermination de la portée permet de diviser les flashes-back en deux classes, externe ou interne, selon que le point d'entrée du flash-back se situe à l'extérieur ou à l'intérieur du champ temporel du récit premier. Le premier flash-back de Reservoir dogs est interne, alors que les deux suivants sont externes.
La determination de d'amplitude permet de différencier le flash-back complet, qui rejoint le récit premier, du flash-back partiel lorsqu'il s'achève en ellipse sans rejoindre le récit premier.
Le flash-back est informatif lorsqu'il revient sur un passé dans lequel le spectateur n'a pas encore été plongé. Il est complétif lorsqu'il comprend des segments qui viennent combler après coup une lacune antérieure du récit, lequel s'organise ainsi par omissions provisoires et réparations plus ou moins tardives. Le récit progresse alors selon une logique partiellement indépendante de l'écoulement du temps par ellipse et flash-back. Dans le cas d'une ellipse, le récit saute par-dessus un moment. Il peut aussi passer à côté d'une donnée. Ce genre d'ellipse latérale, Genette propose de l'appeler parallipse. On omet alors de raconter en son temps un aspect capital de l'histoire, l'action d'un personnage, ou un sentiment profondément ressenti mais tu.
On obtient ainsi huit grands types de flashes-back selon qu'ils sont : externe ou interne, complet ou partiel, informatif ou complétif. Enfin, les flashes-back sont en général pris en charge par un personnage mais ils peuvent aussi être pris en charge par le récit. Ainsi le troisième flash-back de du film est imposé par Tarantino sans qu'il le fasse prendre en charge par Blonde à la différence de ceux pris en charge par Pink et White et par Orange dans le quatrième. Plutot qu'une focalisation interne ou externe du flash-back, il est plus simple de préciser si le flash-bak est pris en charge par les personanges ou le récit filmique.
portée |
raccordement |
mode
de récit |
amplitude |
focalisation |
interne |
partiel |
complétif |
15 mn |
interne / Pink |
externe |
partiel |
complétif |
1 heure |
interne / White |
externe |
partiel |
complétif |
1 heure |
externe /récit, et non Blonde |
mixte |
partiel |
complétif |
pls. jours |
interne / Orange |
Le premier flash-back est endogène (débutant après le début du récit premier) et permet à Pink de raconter à White comment il est parvenu à fuir avec les diamants. Le second flash-back est exogène, pris en charge par White/Larry qui, intrigué par la remarque de Pink comme quoi Joe lui-même aurait pu les trahir, se remémore comment il a été engagé par lui. Le troisième flash-back est tout pareillement exogène racontant commet Vic Vega a été engagé mais il n'est pas pris en charge par ce dernier. Le flash-back est imposé par le metteur en scène comme une information objective sur ces trois truands (Joe, Eddie et Vic) très liés entre eux.
Le quatrième flash-back pris en charge par Orange/Freddy qui raconte son aventure à Marvin est le plus sophistiqué. Il est d'abord exogène racontant comment Orange s'est infiltré parmi les gangsters puis redevient endogène juste après le hold-up racontant le décès de Brown, l'exécution par White de deux policiers et la façon dont Orange prend bêtement une balle dans le ventre tirée par la jeune femme dont il veut voler la voiture et qu'il abat dans un geste de réflexe et d'effroi qui le consterne. Le flash-back se clôt classiquement sur la première séquence vue juste après le générique...sans que le hold-up ne nous aie jamais été montré.
Parole, musique et citations pour débrider la caméra
Le liant du film est constitué des paroles musiques et citations alors que la caméra se permet des mouvements très erratiques sans le moindre respect de la syntaxe cinématographique habituelle
La séquence initiale qui précède le hold-up et le générique voit se succéder trois conversations. La première est celle sur les vertus comparées de Like a virgin et True blue de Madona. Blonde propose une explication fleur bleue alors que Brown tient à son explication beaucoup plus crue : La violence sexuelle avec laquelle la jeune femme est prise par son amant lui rappelle la douleur ressentie lorsqu'elle a été déflorée. Suit uen dispute entre White et Joe au sujet du carnet de notes de ce dernier puis une discussion sur le pourboire que Pink refuse de donner. C'est l'occasion pour Tarantino d'une série de panoramiques autour de la table, gauche droite ou droite gauche qui alternent la distance, très proche ou relativement lointaine, avec les personnages.
pareillement, la musique diffusée par "K-Billy le super son des seventies" le duo des Stealer's wheel composé de Joe Egan et Gerry Rafferty enrobe la brutale séquence de torture
La violence sauvage dont font preuve Vic Vega, Eddie ou Joe ne les empêche pas de partager les mêmes références et les mêmes goûts que M. White, Pink et Orange animés par des passions plus humaines. Ces écarts sans cesse pris avec le classicisme relèvent peut-être du même romantisme qui voit coexister la violence la plus brutale chez White à son amitié inattendue pour Orange.
Jean-Luc Lacuve le 01/09/2009