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Dans
la grande maison bourgeoise thaïlandaise qu'il partage avec son père,
Ake, paralysé des jambes est rivé sur son lit. Dépendant
et mutique de colère, ses journées s'écoulent péniblement.
Un aide-infirmier, Pun, diminutif de Punjapol Lertjongjit, est engagé
pour s'occuper de lui. Les deux hommes communiquent un peu sur leurs intérêts
culturels passés. Ake, son père, Thanin et Pun dînent
ensemble mais bientôt Ake ne veut plus voir personne et désire
manger dans sa chambre. Ake se met en colère. Pun s'en va manger avec
Kaew. Il lui dit venir de Prae et avoir fait ses études à Khon
Kaen. Il pense démissionner. Il trouvr en effet que la famille manque
de sensibilité et n'est pas bien certain de tenir longtemps ainsi.
Ake vomit, ne peut se masturber dans son bain et trouve peu de réconfort
auprès de Somjai qui l'a élevé. Lorsqu'elle lui rappelle
sa difficulté à le faire, il se souvient d'une vitrine archéologique
puis d'une vision du cosmos mettant en scène la naissance, la vie et
la mort d'une planète.
C'est en restant sous la pluie qu'Ake commence à se réconcilier avec le monde à admettre y avoir sa place comme l'y avait aidé la visite au musée archéologique et à sa séance au planétarium. Ake se voit, s'entend surtout, comme une sorte d'astronaute en apesanteur.
Lorsque Pun lui demande de lui raconter l'accident qui l'a rendu paralysé, Ake se souvient de l'attitude de son père, stoïque dans sa maison, stoïque à l'hôpital, il se rappelle les films en super8 de lui enfant et de lui parcourant la ville, de lui naissant par césarienne.
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Mundane
History est moins une histoire quelconque comme on le voit traduire parfois,
qu'une "histoire de ce monde-ci". Le niveau de langue élevé
appelle à lire le film comme la mise en perspective d'une amitié
naissante entre un infirmier et son malade avec une réflexion cosmique
sur la perception de la vie. Le film pourrait être un mélange
d'Intouchables et de The
Tree of Life dans un film qui n'aurait ni la drôlerie de l'un ni
les moyens de l'autre. Il est pourtant beaucoup plus audacieux que chacun
de ces deux films.
Le documentaire d'une amitié
Le film ne cesse de brouiller les repères chronologiques depuis un premier face à face entre Pun et Ake, une fin de journée où la lumière s'éteint, l'engagement de Pun par Somjai puis, après un générique de début décalé d'une quinzaine de minutes, le retour à cette première confrontation tendue entre soigné et soignant dont Pun sortira inquiet quant à la poursuite de sa mission d'infirmier.
Indécisions et répétitions marquent ces journées où seuls les tee-shirts variés d'Ake permettent un peu de suivre la chronologie. Celle-ci est ponctuée par les difficultés du malade à uriner, à se doucher, son impossibilité à se masturber dans la baignoire, à s'intéresser de nouveau à la lecture ou au cinéma.
Ake refuse l'ancienne cérémonie des repas avec son père comme il refuse les visites que lui propose Sumjai. A cet impératif de se tenir debout comme avant, comme de si rien n'était, il va progressivement substituer les discussions avec Pun dans un laisser-aller envoutant dont le rythme du film rend compte. L'amitié naissante entre Pun et Ake, fondée sur cette base nonchalante et égalitaire est le premier thème du film. Thanin, le père qui n'a pu réussir à être proche de son fils, se maintient a contrario dans une solitude souffrante.
Le cosmos relié à ce monde-ci
Le temps déstructuré évoque la manière dont la durée des jours pèse sur Ake, paralysé. L'aquarium devient de plus en plus visible dans la chambre, d'abord en amorce de plan, il finit par faire l'objet d'un plan où la tortue tourne en rond. Finalement, c'est la chambre elle-même qui finit par être vue à travers lui. La métaphore de l'enferment est redoublée par la cérémonie où Pun libère oiseaux et tortues d'eau.
En permettant à Ake de communiquer avec la nature en lui offrant la visite au planétarium, il ouvre les portes mentales salvatrices. Ake se préparait à être cinéaste avant son accident. Ayant évoqué cet ancien désir, il fixe la fenêtre. Prend alors place ce qui fut peut-être son film d'école où, sur des images en super8 de sa maison, un commentaire off révèle qu'il se voit ange volant qui sera soudainement abattu d'une flèche. Cet exercice poétique révèle le goût d'Ake pour une perception cosmique de l'univers. C'est ainsi probablement lui qui a demandé à Pun de les conduire au Musée des Sciences et Planétarium de Bangkok. Les deux jeunes gens trouvent là un terrain d'entente qui leur permet d'échanger sur leur conception de l'univers, de la naissance à la mort des étoiles.
Comme dans The Tree of Life, on retrouve l'opposition entre la nature et la grâce. Malick faisait, in fine, triompher la grâce dans l'esprit d'un enfant dont le début avait annoncé qu'il révérait Dieu, puis dans un paradis hors du temps. Anocha Suwichakornpong met aussi en perspective l'état souffrant d'Ake, et l'état plus vaste de la condition humaine mais sans le côté mystico new-age du cinéaste américain.
La souffrance est si vaste, non partageable qu'elle est contenue hors champ : l'accident bien-sûr mais aussi le verre qu'Ake a brisé entre ses mains de rage probablement. Les soins portés par Pun et la pop stridente et psychédélique (The Photo Sticker Machine, Furniture) concourent à maintenir un rapport avec la beauté et la violence du cosmos. Difficile fut la naissance du jeune homme. Obtenue par césarienne, elle fut peut-être à l'origine de la mort de sa mère. Mais ce sont les mêmes soins, des linges pour nettoyer la peau que l'on porta au bébé et que l'on porte maintenant à Ake pour rééduquer ses jambes.
En se reliant, grâce à son infirmier, à toute sa nature humaine à tout le vaste cosmos, à toute l'histoire de l'humanité assemblée au musée de Bangkok, Ake soigne sa nature souffrante.
Jean-Luc Lacuve le 8/02/2013
