Albert Markovski vit une série de coïncidences troublantes : trois fois un grand noir s'est présenté devant lui dans des circonstances aussi soudaines qu'inattendues. Cela aurait-il un sens ? Avec l'aide de deux détectives "existentiels", Bernard et Viviane Jaffe, Albert analyse sa vie, ses relations amoureuses, et son conflit avec Brad Stand, un jeune cadre dynamique et ambitieux de chez Huckabees, une grande chaîne de supermarchés.
Brad a, en effet, non seulement repris la cause écologique
d'Albert à veiller aux donations généreuses du grand
magasin, mais a aussi fait évoluer les méthodes de marketing
écologique. A la place des poèmes d'AIbert, il propose des visuels
et le soutient de Shimala la star de la chanson maison. L'association écologique,
phagocytée par Brad, se détourne d'Albert qui est menacé
d'exclusion.
Lorsque Brad engage les mêmes détectives qu'Albert,
ceux ci commencent à creuser dans son apparente vie parfaite et dans
sa relation avec sa petite amie Dawn Campbell qui travaille aussi chez Huckabees.
Les Jaffe sont eux-mêmes suivis de près par Catherine
Vauban qui s'est complètement détournée de leur philosophie
pour prôner le message inverse du leur : rien n'a de sens, la vie n'est
que souffrance et trahison.
A court de thérapie, les Jaffe présente à
Albert son double Tommy qui vient de se faire larguer par sa femme et sa fille
que son obsession de la responsabilité éthique ont fini par
lasser.
Albert finit par se faire virer de son association écologique qui n'a d'yeux que pour Brad. Tommy seul lui reste fidèle et tous deux rejoignent Catherine. Celle-ci séduit Albert et Tommy s'estime trahi. Heureusement, Catherine et Albert incendient les deux jets ski de Brad ce qui déclenche un incendie et permet à Tommy, arrivé le premier sur les lieux grâce à son vélo, de sauver Dawn et de s'en faire aimer.
Tommy et Brad décident d'intervenir lors du gala de
Huckabees dont Brad lui-même s'est fait exclure, complètement
déstabilisé par les remarques des Jaffe. Le gala ouvre les yeux
des membres de l'association écologique qui comprennent qu'ils ont
été bernés : Brad acceptait de sauver les marais seulement
s'il parvenait à raser les bois pour y installer un magasin Huckabees.
Chacun sent dorénavant bien la nécessité d'être
soi-même.
O Russel ne cache pas son jeu. L'abstraction, l'éthique, la morale, la psychanalyse voir la philosophie sont les moteurs de l'action et des relations des personnages entre eux.
Il s'agit tout d'abord d'une enquête psychanalytique où s'affrontent deux philosophies. Selon le couple Jaffe : le monde pourrait être un grand tout, il suffirait de voir le grand drap qui lie chaque événement aux autres pour découvrir la vérité. Qu'importe alors que l'on utilise la méthode du sac-couverture ou de l'espionnage, ils se retrouvent dans l'action pour expliquer le grand tout. Pour Catherine Vauban, le monde est un grand rien, sans aucun sens, fait de trahisons de lâchetés et de souffrance. Il suffit de se donner des coups sur la tête pour arrêter de penser et cesser de souffrir.
Nous ne sommes toutefois pas là chez Haneke où l'épure compte plus que la fiction. Albert ne cherchera pas longtemps à s'expliquer la triple coïncidence du grand noir (pour Catherine Vauban, il est orphelin de l'amour de ses parents comme est réellement orphelin le Malien) et cherche bien plus volontiers l'amour (avec Catherine), l'amitié (avec Tommy), l'expression (les poèmes) de soi et la reconnaissance (sa foi dans la nature).
Sous les coups de boutoir de l'action dérisoire menés par nos contre héros et nos détectives obsessionnels une vérité va se faire jour dont pourront se saisir les héros. Comme souvent chez Keaton, l'obstination dans l'innocence finit par payer. Brad et Down finiront par s'apercevoir qu'ils ont tout sacrifié à l'image et ne sont plus eux-mêmes qu'ils ne sont que des pions pour le capitalisme commercial dont les 4X4 qui polluent l'Amérique qui se bat à coup d'images fractionnées et séduisantes pour empêcher la pensée et la morale.
Le film est à l'image de son slogan final où l'on rappelle la question inconsciente qui taraudait les héros malheureux : "Pourquoi ne suis-je pas moi-même ?". L'icône du cur de l'affiche (un cur comme celui du célèbre I cur NY) est un visuel qui renforce le slogan publicitaire mais surtout qui court-circuite la pensée. Tout comme l'image publicitaire avec Shimala fait croire que tout est beau alors que le poème montre la difficulté à exprimer ce que l'on trouve beau. La stratégie commerciale est bien celle de Huckabees : fractionner le désir en petites choses parfaites pour éviter de penser, comme Tommy, que toute est lié.
Les moments les plus drôles du film viennent, non pas aux moments des énoncés des délires psychanalytiques, par ailleurs jamais longs ni surjoués, mais des moments où le trivial rencontre l'abstrait (déménagement, poubelles, pastèque, jets d'eaux, images de synthèse découpées à la machette, incendie des jets ski, le tofu et non le thon dans l'histoire de Shimala). Sans le fumier (de la fiction) pas de magie (de la pensée ou de l'image).
Jean-Luc Lacuve le 9/05/2005