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Luke la main froide

1967

(Cool Hand Luke). D'après le roman de Donn Pearce. Avec : Paul Newman (Lucas 'Luke' Jackson), George Kennedy (Dragline), Morgan Woodward (Godfrey), Strother Martin (Captain), J.D. Cannon (Red), Lou Antonio (Koko), Jo Van Fleet (Arletta), Clifton James (Carr), Dennis Hopper (Babalugats), Harry Dean Stanton (Tramp), Joy Harmon (La fille). 2h07.

Au début des années 1950, en Floride, Lucas 'Luke' Jackson, un vétéran décoré de la Seconde Guerre mondiale, détruit plusieurs parcomètres en état d'ivresse. Il se retrouve condamné à deux ans de prison dans un camp de 50 prisonniers dirigé par "Le capitaine", qui se vante d'avoir tout pouvoir, et le surveillant des travaux, Godfrey, un as de la carabine, silencieux, surnommé "l'homme sans yeux" (L'ours Martin en français) parce qu'il porte toujours des lunettes de soleil réfléchissantes. Là, comme le rappelle Carr, le surveillant en chef, même les infractions mineures sont punies par "une nuit dans la boîte", une petite cabine en bois dans la cour de la prison avec un espace réduit et pas de vision extérieure.

Luke refuse d'observer l'ordre établi parmi les prisonniers et se heurte rapidement à leur chef, Dragline (Casse-tête en français) que seconde Koko et Babalugats qui enregistre les paris, passe-temps favori des prisonniers.

La première journée particulièrement dure, passée à débroussailler les fossés de la chaussée par une forte chaleur. Luke s'y donne à fond et ne secoule pas ce qui fait perdre son pari à  Dragline . Le jour suivant, c'est un fossé qu'il faut déblayer à la pelle. En passant devant une maison, tous les yeux se braquent vers une fille aguicheuse, peu vêtue qui lave sa voiture à la mousse. Le soir, Dragline en rajoute sur la description érotisée de la fille. Luke lui demande de cesser ces propos qui ne font pas de bien à tous ces hommes enfermés. C'en est trop pour Dragline qui le défie le lendemain au combat de boxe du samedi, organisé par les surveillants en cas de litige entre les prisonniers.

Luke est sévèrement corrigé par Dragline mais refuse d'abdiquer. Dragline arrête le combat, mais la ténacité de Luke gagne le respect des prisonniers et attire l'attention des gardes. Il remporte le soir une partie de poker en bluffant avec une main qui ne vaut rien, et Dragline, amicalement, le surnomme « Cool Hand Luke ».

Les jours de travail s'enchaînent. Celle réputée la plus dure consiste au sablage d'une route fraîchement goudronnée dont Godfrey exige contre toute vraisemblance qu'elle soit terminée avant le soir. Luke par goût de l'effort et du défi entraîne toute l'équipe à se surpasser et le travail est terminé deux heures avant le retour au camp. Comme Dragline interroge Luke, devenu son ami, sur ce qu'il vont faire en attendant, celui-ci répond "rien" confirmant aux yeux de tous qu'il peut tout faire avec rien.

Luke reçoit la visite de sa mère malade, Arletta, qui se désole de le voir ainsi gâcher sa vie alors qu'il a toujours été son fils préféré et qu'il ne rêvait que de respectabilité. Luke constate en effet qu'il n'a jusqu'ici rien fait,l'amour de sa vie lui ayant été enlevé par un homme riche. Son sens de l'humour et son indépendance font néanmoins l'admiration des autres prisonniers et même des gardes. Les prisonniers commencent à l'idolâtrer après qu'il a gagné un pari selon lequel il peut manger 50 œufs durs en une heure.

Un soir, Luke reçoit un avis de décès de sa mère. Prévoyant que Luke pourrait tenter de s'échapper pour assister aux funérailles, Le capitaine l'enferme dans la boîte. Après avoir été libéré au bout de quelques jours, Luke est déterminé à s'échapper. Sous couvert d'une célébration du 4 juillet, il fait sa première tentative d'évasion. Après une fuite où il épuise à mort les chiens partis à sa poursuite, il est repris par la police locale et renvoyé dans l'équipe. Le capitaine fait équiper Luke de fers aux jambes et prononce un discours d'avertissement aux détenus.

Peu de temps après, Luke s'échappe une deuxième fois. En liberté, Luke envoie à la prison un magazine contenant une photo de lui avec deux belles femmes. Il est rapidement repris, battu, renvoyé au camp de prisonniers et équipé de deux paires de fers aux jambes. Le capitaine prévient Luke qu'il sera tué s'il tente à nouveau de s'échapper. Luke s'agace des autres prisonniers qui s'extasient devant la photo du magazine et dit qu'il l'a truquée. Au début, les autres prisonniers sont en colère, mais lorsque Luke revient après un long séjour dans la boîte et est puni en étant forcé de manger une énorme portion de riz, les autres l'aident à la finir.

Après son évasion, les gardes brutalisent Luke jusqu'à l'épuisement, en particulier lorsqu'il est obligé de creuser et de reboucher à plusieurs reprises un trou de la taille d'une tombe dans la cour de la prison. Il finit par s'effondrer et implore la clémence, perdant le respect de ses codétenus. Luke semble succomber à la lâcheté et devenir un garçon de courses pour les gardes, mais quand une opportunité se présente, il s'enfuit à nouveau en volant un camion, avec Dragline qui le rejoint. Après avoir abandonné le camion, les deux hommes acceptent de se séparer. Luke entre dans une église et parle à Dieu, qu'il accuse de lui avoir toujours donné de mauvises cartes et saboté ses chances de gagner dans la vie. Des voitures de police apparaissent quelques instants plus tard et Dragline arrive pour lui dire qu'il ne sera pas frappé s'il se rend pacifiquement. Au lieu de cela, Luke répète de manière moqueuse le discours d'avertissement du capitaine à la police. Godfrey lui tire une balle dans le cou. Dragline porte Luke à l'extérieur et se rend, mais charge Godfrey et l'étrangle jusqu'à ce qu'il soit maîtrisé par les gardes.

Alors que Luke est placé dans la voiture du Capitaine, Dragline l'implore en larmes de vivre. Malgré les protestations de la police locale, Le capitaine décide d'emmener Luke à l'infirmerie de la prison éloignée au lieu de l'hôpital local pour s'assurer que Luke ne survivra pas au voyage. Alors que la voiture s'éloigne, Luke, à moitié conscient, sourit faiblement tandis que les pneus écrasent les lunettes de soleil de Godfrey.

Quelque temps plus tard après le décès de Luke, celui-ci est devenu une légende auprès des prisonniers et Dragline conte combien même dans ses derniers instants Luke n'a jamais cessé de sourire. Dans leur travail sous la conduite d'un nouveau surveillant, Dragline, portant maintenant des entraves aux jambes, et les autres prisonniers se souviennent avec tendresse de Luke.

Le camp de prisonniers n'a rien de bien insupportable pour ces hommes, la plupart condamnés à de courtes peines. Rien n'indique donc que le film finira sur un meurtre tragique. La mise en scène est plutôt jolie : plans débullés la nuit des parcmètres, reflets pris dans les lunettes de Godfrey, obscurcis par la fumée du goudron, pris en plongé sur les pieds des gardiens se relavant jusqu'à leur visage ou lors du départ d'Arleta, surimpressions et couchers de soleil, scène érotique du lavage de voiture.

 La fêlure fitzgéraldienne

La mise en scène concourt à mettre en vedette le sourire et l'humour de Paul Newman, ex-marine décoré et leader dans l'âme, né pour "secouer le monde". Luke porte néanmoins en lui une fêlure profonde. Sa mère Arletta vient lui rappeler que, certes issu d'une famille pauvre mais pleine de caractère et d'indépendance, il a toujours voulu accéder à la respectabilité (ce qu'elle trouve un peu ridicule) sans jamais y réussir. Luke utilise ainsi son charme naturel pour réussir avec rien (sa main au poker) mais ne fait rien de cette réussite : comme le remarque en riant Dragline lorsque la route est finie de sabler deux heures en avance). Après son évasion, il s'en plaint à Dragline "j'ai jamais rien fait.., je n'ai jamais rien prévu de ma vie, ni règlements, chefs ou policiers".

Cette fêlure d'une impossibilité d'incarner une réussite sociale va jusqu'à croire défier Dieu, ce qui retourne les gardiens contre lui. Sous l'orage, au comble de sa réussite, il défie Dieu de faire tomber la foudre sur lui, suscitant un peu d'admiration inquiète mais surtout de la désapprobation parmi ces hommes, sans doute presque tous croyants.

Sa propre impuissance à réussir en rendant Dieu responsable, il l'affirme clairement dans la séquence finale en s'adressant à lui hypocritement mais en finalement acceptant son destin comme un signe de lui. C’est toutefois encore son discours provocateur qui déclenche le tir de Godfrey. Reste ainsi pour tous l’image d’un homme truqueur, fêlé au sens  fitzgéraldien, au sourire éternel, celle du plan final.

Jean-Luc Lacuve, le 16 septembre 2024

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