Flee

2021

Genres : Biopic , animation

(Flugt). Avec les voix de : Daniel Karimyar (Amin 9-11ans), Fardin Mijdzadeh (Amin 15-18 ans), Milad Eskandari (Saif 8 ans), Belal Faiz (Saif 13-19 ans), Elaha Faiz Fahima (13-18 ans), Sadia Faiz (Sabia). 1h29.

Pour la première fois, Amin –un pseudonyme–, 36 ans, un jeune réfugié afghan homosexuel, accepte de raconter son histoire. Allongé, les yeux clos sur une table recouverte d’un tissu oriental, il replonge dans son passé.

En 1984 à Kaboul, il vit heureux avec sa mère, ses deux sœurs et son frère. C'est un petit garçon qui aime porter les robes de ses sœurs et écouter de la pop occidentale diffusée dans son Walkman rose. Son père est arrêté par le nouveau pouvoir communiste aux ordres de Moscou mais il espère encore le revoir. Il connaît ses premiers émois amoureux en collectionnant les affiches de Van Damme et des stars de Bollywood. En 1989, les Talibans, armés par les Américains prennent le dessus sur l'armée afghane. Sa famille ayant été massacrée, Amin arrive seul à 16 ans au Danemark, où il rencontre au lycée le futur réalisateur qui devient son ami.

Aujourd’hui universitaire brillant, Amin est installé avec son compagnon danois Kasper. Le jeune homme ne lui a toutefois pas confié le secret qu'il cache depuis vingt ans : sa famille n'a pas été massacrée ayant fui juste avant la prise de Kaboul. Il fait cette révélation pour la première fois. Il dit en effet au réalisateur avoir été échaudé par une première révélation à un ancien amant qui a mal tourné: il craint qu’il s'en serve contre lui et sa famille.

Sa famille a en effet échappé au massacre en fuyant juste avant la prise de Kaboul. Après des années de clandestinité en Russie, elle a émigré au compte goutte en Suède où le frère aîné travaille depuis de longues années pour accumuler l'argent nécessaire pour faire venir la famille.

Ses sœurs sont arrivées en Suède cachée dans la cale d'un bateau dans un camion où certains sont morts de froid et d'épuisement. Amin, Saïf et sa mère ont d'abord essayé de fuir avec une longue marche dans la forêt avec des dizaines de réfugiés pour traverser la mer Baltique à bord d’un pauvre navire qui prend l’eau. Alors que la mort semble toute proche, surgit un paquebot immense. Les touristes agglutinés sur le premier pont prennent en photo les exilés tandis qu’un haut-parleur annonce l’arrivée de la police qui les ramènent en Estonie puis à Moscou.

Amin gagnera ensuite le Danemark avec un passeur plus cher mais plus compétent. Il retrouvera sa famille en Suède qui acceptera sans problème son homosexualité et habitera enfin avec Kasper auquel il aura révélé son secret.

Lors de la cérémonie des Oscars 2022, Flee a été nommé trois fois : dans les catégories documentaire, long-métrage d’animation et long-métrage international. Le traitement assez convenu des calvaires des migrants (cruauté des passeurs, indifférence des uns et abus de pouvoir des autres) est contrebalancé par l’originalité du parcours : de l’Afghanistan communiste  à la Russie de la perestroïka puis vers la Suède et le Danemark. Aux multiples traumatismes d’Amin répondent des moyens variés de mise en scène  : dispositif psychanalytique, deux types d’animation et l’utilisation d’images d’archives. Se succèdent ainsi fond et formes variés sans que l’émotion n’ait le temps de se creuser.


Un dispositif psychanalytique trop vite remisé

Le titre, Flee, évoque plusieurs types de fuite. Au traumatisme de la migration, se rajoute celui de l'homosexualité mal vécue et de devoir cacher à tous le secret de l'existence de sa famille. Amin (prénom d'emprunt) ne peut révéler ce secret sous peine d'être expulsé du Danemark et sa famille de Suède. Quatrième traumatisme enfin, la nécessité de fuir dans la réussite professionnelle, quitte à sacrifier son bonheur personnel, pour rendre fière sa famille qui a tout sacrifié pour lui.

Inspiré par le film israélien Valse avec Bachir (Ari Folman 2008), le dispositif initial de la psychanalyse ne sert qu'à lever le secret, assez vite révélé, de la famille cachée. Elle est ensuite abandonnée pour de simples discussions sur les autres sujets. Le cinéaste, ami de lycée devenu documentariste, efface le personnage de Kader dont Amin ne semble guère amoureux.

Variation des formes

Les souvenirs traumatisants sont représentés en monochrome, avec des contours instables mais l'intimité blessée (arrestation du père, dispute avec l'amant..) y est presque euphémisée. Pour preuve, la séquence du McDonald's à Moscou est traitée en animation plus traditionnelle, polychrome. L'ensemble est interrompu par des images d'archive (La guerre des Talibans, journaux télévisés, congrès du Parti communiste Afghan, magasins moscovites vides et alcooliques dans les rues, inauguration du premier McDonald’s moscovite, accostage d'un bateau transportant des migrants enfermés dans un camion, centre de rétention en Estonie..). Ce sont ces incursions dans l'histoire, dures, violentes, qui provoquent le plus d'émotion.

Jean-Luc Lacuve, le 2 septembre 2022