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L'image manquante

2013

Avec : Randal Douc (le narateur). 1h32

Durant de nombreuses années, j'ai recherché l'image manquante : un cliché pris entre 1975 et 1979 par les Khmers Rouges, alors qu'ils étaient à la tête du Cambodge... A elle seule, bien sûr, une image ne peut pas prouver un génocide, mais elle nous incite à réfléchir, à méditer, elle écrit l'Histoire. Je l'ai cherchée en vain dans les archives, les vieux documents, dans la campagne cambodgienne. Aujourd'hui, c'est une image manquante. Donc je l'ai créée. Ce que je vous propose aujourd'hui, ce n'est pas une image ni même la recherche d'une image unique, mais l'image d'une quête : une quête que seul le cinéma nous permet d'entreprendre". comment une telle politique d'élimination systématique a pu être mise en place

Dans ce troisième volet d'une trilogie documentaire sur le génocide cambodgien, Rithy Panh après S21, La machine de mort Kmère rouge (2003) et Duch, le maître des forges de l'enfer (2011) fait revivre son enfance et sa famille détruites par les Khmers rouges. L'évocation poignante et sobre, à la première personne du singulier, d'un crime de masse qui n'a pas laissé d'images

Dans la vingtaine de films, documentaires et fictions, qu’il a réalisés avant L’image manquante, et dont la plupart, directement ou pas, évoquent le génocide et ses fantômes, jamais Rithy Panh n’avait raconté son histoire ou celle des siens à la première personne du singulier. Mais avec l’écrivain Christophe Bataille, également auteur du commentaire du film, il l’a exposée dans un livre terrible, L’élimination, paru en 2012 chez Grasset. Il y explique comment sa longue confrontation avec Duch, le directeur du centre d’extermination S21, l’a replongé dans les gouffres du passé, l’obligeant à regarder en face sa propre tragédie pour en faire le récit. L’inlassable enquêteur qui, depuis vingt-cinq ans, traque la vérité du régime khmer rouge, a ainsi le courage de retourner la caméra vers lui. Avec pudeur, humour, et la déchirante poésie de ses reconstitutions d’argile, il offre en partage au spectateur sa fragilité d’homme, conjurant le silence et l’oubli que les bourreaux de tous les temps s’efforcent d’imposer derrière eux.

"Mon enfance, je la cherche, comme une image perdue. Ou plutôt, c’est elle qui me réclame. Est-ce parce que j’ai 50 ans ?" Ce passé qui remonte comme une vague trop forte, c’est la vie brisée d’un jeune Cambodgien de 13 ans, qui en quelques mois, sous le régime des Khmers rouges, voit disparaître la plus grande partie des siens et survit en côtoyant quotidiennement la mort et l’horreur dans des camps de travail. Mais c’est aussi le bonheur tranquille anéanti par le génocide, "le monde d’avant, de la musique, de la douceur, de la famille", dont le souvenir n’est pas moins dangereux pour qui l’a irrémédiablement perdu. Ces images qui brûlent dans la mémoire ? le crime de masse, la maison familiale à Phnom Penh ? demeurent à jamais introuvables dans la réalité. Alors le cinéaste narrateur les fait revivre à sa manière. "Avec de la terre et de l’eau, avec les morts, les rizières, avec des mains vivantes, on fait un homme. Il suffit de pas grand-chose. Il suffit de vouloir. Son costume est blanc, sa cravate sombre. Je voudrais le tenir contre moi. C’est mon père…"

Par la magie du cinéma, l’épure du commentaire, le talent d’un sculpteur, qui fait naître sous l’œil de la caméra personnages, décors et accessoires de glaise, puis les peint avec minutie, Rithy Panh parvient à évoquer, avec une émotion puissante et toujours contenue ce qui, pour tant de rescapés, demeure indicible : les souffrances vécues jour après jour, la douleur du survivant, l’amour pour ceux qu’on a perdus. Contrepoint des images de propagande filmées par le régime, ses minuscules poupées d’argile, animées d’une étonnante humanité, restituent toute l’inhumanité des quatre années de terreur khmère rouge.

critique du DVD
Editeur : Arte édition, novembre 2013

Suppléments : Un entretien de Rithy Panh et Christophe Bataille par Christophe Ono-Dit-Biot du magazine Le Point (50 min).