Le caïman

2006

Chansons : Salvatore Adamo : Lei. Haendel : Dixit dominus. Damien Rice : The Blower's Daughter

(Il Caimano). Avec Silvio Orlando (Bruno Bonomo), Margherita Buy (Paola Bonomo/Aidra), Jasmine Trinca (Teresa Montero), Elio De Capitani (Le Silvio Berlusconi du scénario), Michele Placido (Marco Pulici, l'interprète de Berlusconi), Nanni Moretti (Lui-même et Berlusconi au procès), Giuliano Montaldo (Franco Caspio), Jerzy Stuhr (Jerzy Sturovsky, le producteur polonais), Dario Cantarelli (le critique gastronomique), Antonio Catania (le dirigeant de la Rai), Luisa De Santis (Marisa, l'assitante de Bruno), Cecilia Dazzi (Luisa, l'amie de Teresa), Daniele Rampello (Andrea Bonomo), Giacomo Passarelli (Giacomo Bonomo) Tatti Sanguinetti (Beppe Savonese), Anna Bonaiuto (La procureur du tribunal), Valerio Mastandrea (Cesari), Paolo Sorrentino (Le mari de Aidra). 1h52.

dvd

Cérémonie de mariage dans un groupuscule stalino-maoïste. Soudain, la jeune mariée, l'espionne Aidra, embroche son fiancé par la pointe de hampe d'un drapeau rouge et, pour échapper à la police, se jette par une fenêtre. C'est la fin de Cataractes (Cataratte), un film du producteur Bruno Bonomo que l'on appelle sur scène. Comme il sort des rangs, une jeune femme avec un bébé lui propose un scénario, Le caïman. Sur scène, l'animateur, le journaliste Beppe Savonese, enfonce Bruno : ce film fut son denier après Mocassins et assassins, La femme flic aux talons aiguilles et Les bottillons cochons. Il est au bord de la faillite : depuis 10 ans qu'il n'a pu produire un film. Bruno proteste et annonce un prochain film en costumes, Le Retour de Christophe Colomb, réalisé par Franco Caspio. Dans les faits, sa nouvelle superproduction est fauchée: la Nina ne sera qu'une maquette et son seul espoir réside dans son prochain rendez-vous avec un producteur de la Rai.

Le soir avec sa femme, Paola, et leurs fils, Giacomo, 7 ans, et Andrea, 9 ans, ils sont à la recherche d'une pièce jaune et plate pour terminer l'astronef en lego de ce dernier. Au moment du coucher, Bruno invente pour ses enfants la suite des aventures de leur héroïne favorite, l'espionne Aidra. Elle est désormais cheffe en restaurant et aux prises avec un critique gastronomique acariâtre qu'elle châtie à coups de homards vivants avec eau bouillante et embrochage sanglant.

Le matin, Beppe Savonese flatte Bruno en en faisant un résistant au cinéma d'auteur. Il voudrait remasteuriser les copies de ses films et en faire la promotion en arguant qu'ils ont été censurés. Mais seuls quelques photogrammes de Suzy la misogyne, ont subi les coupes de la censure. Franco Caspio, excédé, s'en va ayant signé avec Dino de Laurentis. Bruno lui rappelle en vain qu'après avoir acheté le club de foot de Naples, le célèbre producteur ne pense qu'au sport. Mais Franco Caspio est plein de rancœur face aux anciens propos critiques de Beppe. Caspio s'en va en déclarant ne plus jamais vouloir revoir Bruno.

Plus tard, Bruno voit son fils Andrea rester sur le banc de touche lors de son match de foot. Il tente vainement de convaincre l'entraîneur de le faire jouer.

Le soir il rejoint sa femme Paola, qui fut son interprète principale dans Cataratte mais qui refuse que l'on montre ce film à leurs enfants, ce qui désole Bruno. Moins cependant que la volonté réaffirmée de Paola de se séparer de lui.

La nuit il rejoint son studio de production où il a installé un lit au milieu des étagères contenant des boites de pellicules. Au bord du sommeil, lit le scénario du Caïman et visualise un homme recevant du plafond des valises pleines d'argent. Alors que dans son studio on tourne des scènes de téléachat, il fixe rendez-vous à Teresa.

Marisa, son assistante, lui rappelle qu'ils ont 40 000 eus de dettes et que le rendez-vous avec le producteur de la RAI est maintenu pour l'après-midi sans qu'ils n'aient plus de nouvelles de Caspio. Bruno se plonge à nouveau dans la lecture du scénario. Milan au début des années 70, le jour de l'inauguration du chantier; descente d'hélicoptère. Un journaliste l'interroge vainement lors de la construction de Milan II sur l'origine de sa fortune. L'homme d'affaire arrive en dansant sur un terrain de football où il embrasse les majorettes. Il ne s'inquiète pas d'une descente de la police financière qui perquisitionne ses comptes. Il retourne son chef qui devient son bras droit.

Bruno propose au producteur de la Rai ce scénario en catastrophe. Bruno, en le survolant, pensait qu'il tient un bon film d'action mafieux.

Giacomo regarde Le voyage de Chihiro, pendant que Bruno fait réviser Andrea alors que Paola s'en va répéter avec son orchestre une cantate de Haendel

Teresa visite les extérieurs à l'abandon du studio de Bruno qui finit par lui avouer qu'il a proposé le scénario à la Rai sans l'avoir lu; juste de manière transversale. Teresa en voiture vers leur rendez-vous lui rappel le début quand Cesari l'agent du fisc découvre la caisse noire du Caïman et devient son bras droit il transforme des bons du trésor en argent liquide à San Marin et le ramène dans deux valises dans un appartement secret. Ce sont les passeurs qui transportent chacun 500 millions de lires. Au cours du procès, l'accusation dit qu'il s'agit d'argent pour échapper au fisc et corrompre des juges. Alors là tout le monde comprendra que le film s'inspire de Berlusconi. Accrochage; voulait pas faire un film de gauche et a voté pour Berlusconi

Le producteur de la Rai ne sent pas que le film touche Teresa de près et qu'il répond à un sentiment d'urgence. Et encore Teresa n'y pas fait plus allusion aux rapports sulfureux de Berlusconi et Dell'utri avec la maffia. Aux États-Unis des films de toutes sortes sur les présidents. Bruno; Il craque dans le magasin de glaces. Le soir il téléphone à Giacomo, lui faisant croire qu'il est en Laponie. La nuit, il lit le scénario sérieusement.

Berlusconi flatte son public et lui fait admettre que sa télé paillettes est mieux que la TV grise qui la précédait. Dans la salle désertée, jonchée de lettres de félicitations, le journaliste lui dit qu'il continuera à dire du mal de lui. Berlusconi n'en a cure, il peut le faire mais il a tort : le public l'aime comme le prouvent les lettres qui jonchent le sol où les ménagères lui disent qu'il a changé leur vie depuis qu'il leur a donné la télévision le matin. Cesari a convoqué le directoire du journal et Berlusconi dit que pour les prochaines élections législatives, il mobilisera ses chaînes de télévision et journaux pour son élection. "Les modérés sont des indécis, des médiocres, des gens sans charisme et je crains que la solution soit la création d'une nouvelle force politique guidée par moi. Le journaliste intègre lui lance qu'il veut se lancer en politique parce que ses entreprises ont 5000 milliards de dettes et que les juges sont sur la piste de ses comptes. "Vous entrez en politique parce que sinon c'est la prison qui vous attend." Berlusconi déclare sa candidature au nom de la liberté. Son allocution est diffusée dans tous les foyers la nuit à la télévision.

A la banque la menace de la vente du studio de production se fait pressante. Bruno et Paola ont décidé d'annoncer leur séparation aux enfants; Bruno retarde l'échéance et Paola le dit finalement au moment du coucher.

Claudio, le directeur de la production a préparé un devis à trous sur huit semaines. Mais qui engager pour le premier rôle ? Teresa a pensé à Nanni Moretti mais celui-ci pense que tout le monde sait déjà tout sur Berlusconi et refuse préférant écouter Lei de Salvatore Adamo. Il a déjà gagné ça fait 30 ans qu'il gagne avec ses télévisions. Lui non plus na pas lu le scénario ce qu'il dit c'est ce que le public de gauche veut s'entendre dire; Il veut faire une comédie qui va plaire. Il n'y a pas de mauvais moment pour faire une comédie

Berlusconi au parlement européen il y a un producteur qui tourne un film sur les camps de concentration nazis. Je vous propose un rôle de kapo !" Berlusconi refuse de retirer ce qu'il a dit avec ironie, il accuse les Européens de ne pas venir constater les critiques de ses chaînes en Italie lui adressent et donc d'être des touristes de la démocratie

Bruno et Teresa vont voir Marco Pulici pour être l'interprète de Berlusconi. Il pense que c'est un grand rôle pour un acteur et voudrait être comme Gian Maria Volonte jouant Aldo Moro dans Il caso Moro (Giuseppe Ferrara, 1986). Il est toutefois plus préoccupé par ses fantasmes sexuels qu'à 60 ans il exhibe sans pudeur, en se masturbant hors champ avec une interlocutrice au téléphone

Bruno rencontre Jerzy Sturovsky, le producteur polonais, quia distribué Cattarate sous le titre les hommes d'Aidra et en a ainsi fait un succès. Dans sa piscine sur le toit d'un hôtel; il accepte de produire le film de Bruno. Bruno est content de rentrer chez ses enfants mais la baby-sitter lui apprend que Paola est invitée à dîner. Le lendemain elle lui propose de lui racheter la moitié de l'appartement pour qu'il soit indépendant.

Berlusconi au tribunal de Milan. Marco Pulici voudrait un personnage plus charismatique. Le directeur de production décourage Teresa: il n'a les moyens que pour "la moitié des figurant", la moitié de décors, la moitié de la pellicule..." Bruno la réconforte. Elle l'invite avec sa femme et ses enfants pour le dimanche chez ses parents. Le soir Bruno invite ses enfants au restaurant et les fait coucher avec lui à l'hôtel. Il voudrait voir La guerre des mondes au cinéma. Le dimanche, il va chez Teresa mais découvre qu'elle vit avec une femme, que la conversation de ses amis sur l'agriculture ne l'intéresse pas et qu'il a raté un match important d'Andrea.

Les décors et les peintures sont refaits dans le studio, les enfants dansent mais, tout à coup, Marco Pulici annonce qu'il renonce au rôle pour une année sabbatique dit-il mais, en fait, par lâcheté vis à vis du sujet du film. Bruno n'ose l'avouer au producteur et, voyant sa femme au café avec un jeune homme, s'enfuit jusque chez Paolo où il lacère son beau pull bleu pale.

Le matin Bruno se réveille et avoue la lacération du pull à Paola qui pleure. La banque et Teresa ont appelé; il annonce qu'il renonce. Le soir, il assite au concert où Paola chante Dixit Dominus, la cantate de Heandel. Au même momentMarisa etteint les lumières du studio; Teresa et Luisa regardent leur enfant; la pièce jaune manque toujours et Andréa détruit l'astronef en légo. Bruno sort des rangs et vient interrompre le concert dans l'auditorium interpellant sa femme : "Mais qu'est-ce que je t'ai fait !". Il s'épuise ensuite dans un bar avec un jeu de palais sur table. Dehors, il voit passer sa caravelle. Il la suit jusqu'au bord de la mer pour voir son acteur, Marco Pulici, jouer Christophe Colomb. Il s'endort dans son studio. Le matin, un bulldozer détruit le mur en face de son lit.

Bruno chez le notaire vend sa part de la maison à Paola. Au retrour, en voiture, il écoute The blower's daughter, la chanson triste de Damien Rice. Avec ses enfants, il joue au ballon et monte sans succès une tente de camping dans la chambre d'hôtel.

Bruno a assez d'argent pour tourner le dernier jour du procès de Berlusconi. Dans la voiture qui le conduit au tribunal, Berlusconi, désormais interprété par Nanni Moretti, se rappelle des cinq ans de procédures. Le jugement est prononcé : condamné à sept ans de prison pour corruption, Berlusconi en appelle ni plus ni moins à la vindicte populaire pour éliminer tous les juges du pays qu'il considère comme une caste au-dessus de la démocratie. Alors qu'il s'éloigne, l'insurrection civile gronde et la foule en colère tente de lapider les juges de Berlusconi pour ensuite incendier le palais de justice d'où ils sortent.

L'incontestable chef de fil du cinéma italien complexifie sa mise en scène au risque de perdre le spectateur qui serait tenté de voir dans son dernier film qu'une défense du cinéma d'auteur du bon petit soldat antiberluconnien contre les grosses machines hollywoodiennes ou l'emprise du fascisme en Italie.

Moretti est avant tout un cinéaste mental. Il est moins tenté par la description des difficultés sociales que par leurs conséquences sur le moral, la psychologie l'éthique des personnages.

Michele Apicella, le personnage récurrent de ses films qu'il avait toujours interprété jusqu'ici, était un masochiste solaire, toujours prêt à prendre des coups pour réveiller tous les magnifiques quadragénaires qui sommeillent en nous. Si Moretti s'efface ici pour céder la place à Silvio Orlando qui interprète le personnage de Bruno, ce n'est pas pour faire de lui son porte-parole mais pour réaliser un film qui appelle à réfléchir dans les fragments du réel avant de reconstruire un puzzle qui permettra d'échapper à la noirceur apocalyptique promise par ce magnifique Satan qu'est Berlusconi.

Moretti réalise ainsi ici une comédie douce amère dans un esprit tout autre que celui de la critique sociale désespéré de la comédie italienne. Il s'agit rien moins que d'aller interroger les dieux sur leur irrémédiable absence qui a conduit Berlusconi à occuper tout l'espace de l'espoir, de la joie et de la magnificence.

Arrêter la musique

La séquence où Bruno va interroger sa femme en plein concert donne ainsi probablement la clé d'entrée dans l'univers du Caïman.

Cette séquence prend place au sein d'un montage complexe mettant en parallèle alternativement, Andréa recherchant désespérément la pièce du puzzle manquant avec son jeune frère et la baby-sitter ; Teresa chez elle avec sa compagne et leur enfant ; Marisa, son assistante, fermant le studio de production et éteignant la maquette du film et le fameux concert. Les trois séquences mises en parallèle avec le concert expriment ce qui aurait pu être et ne sera pas : la joie enfantine de tout remettre à sa place, de construire un mécano parfait ou tout s'enchaîne, la possibilité d'échapper à la famille pour créer et le film qui ne pourra être produit.

Lorsque Bruno lance ainsi son interrogation "Mais qu'est ce que je t'ai fait ? Mais qu'est ce que je t'ai fait ?",c'est moins à sa femme qu'il s'adresse qu'à une instance qui pourrait être dieu lui-même ou du moins son représentant sur terre : la musique.

La dimension allégorique de la scène est soulignée par l'absence de conséquence de l'acte de Bruno ; il stoppe le concert et c'est tout. Les sirènes de police qui surgissent derrière lui ne viennent pas l'arrêter mais conduisent la caravelle d'El Ninia qu'il n'avait pas les moyens de construire. Séquence qui peut aussi bien être vue comme réaliste que comme onirique, elle exprime les multiples trahisons dont c'est rendu coupable le cinéma.

Dans ses films, Moretti ne se sert jamais du grand cinéma pour réfléchir la beauté du monde. Dans Aprile, la comédie musicale sur un pâtissier trotskiste qui sert de contrepoint à son documentaire sur Berlusconi relève plus de la joie provoquée par la musique que par la valeur de la mise en scène. De même, dans Cher journal, si Moretti fait intervenir un critique de cinéma son film, c'est bien plutôt à une apologie de la danse qu'il se livre au travers de sa rencontre avec Jennifer Beals, l'interprète de Flashdance. Dans Palombella Rossa, Docteur Jivago n'est convoqué qu'au travers du petit écran et exprime la nostalgie pour le mélodrame fédérateur d'antan plus facile à vivre que la complexité de la politique actuelle. Dans La chambre du fils, c'est la chanson reprise en famille dans la voiture qui provoque l'émotion la plus intense. Cette valorisation de la chanson de variété est reprise ici dans la séquence où Moretti écoute Adamo dans la voiture en compagnie de Bruno et Téresa.

Reconstruire le réel sur d'autres bases

Seuls les enfants perdent et cherchent la pièce manquante d'un puzzle ou d'un mécano pour reconstruire un monde qu'ils voudraient parfait. La petite tuile jaune n'existe pas plus que le sauveur miraculeux qui reconstruirait l'Italie. Moretti en appelle donc à un récit éclaté où sont valorisés le courage, la ténacité au travers de ces personnages fragiles que sont Bruno et Teresa. L'effort de se débrouiller avec le réel : les producteurs ; la rai, le manque de moyen, les doutes de la réalisatrice, la recherche de l'acteur : celui inconséquent qui n'a pas lu le scénario ou l'acteur boursouflé érotomane quasi-impuissant, vieux beau hypocrite et trouillard le rêve se brise sur les pelleteuses venant détruire le studio. Bruno finira comme le critique l'avait prévenu : dépouillé de tout.

Le cinéma lui-même est éclaté : Les séries B de Bruno expriment ici pour le premier extrait la franche détestation du cinéma politique dont Moretti avait déjà dit pis que pendre dans Aprile refusant absolument d'aller voir la moindre fiction de gauche et pour le second la détestation d'une certaine critique qui s'exprime sans voir les films. Ces films dans le film valent par leur ton vengeresque mais ne sont en aucun cas le reflet de ce que serait pour Moretti le cinéma à faire.

C'est probablement aussi en fractionnant Berlusconi en trois incarnations plus ses propres apparitions à la télévision que Moretti signifie qu'il ne doit pas plus être considéré comme indépassable mais attaqué sur tous les terrains. La dramaturgie adoptée suffira-telleà vaincre la formidable rhétorique de Berlusconi, capable de déchaîner l'apocalypse derrière lui pour se maintenir au pouvoir ?

Jean-Luc Lacuve le 29/05/2006

italie mars 2006 sort sur les ecrnas en pleincamapgne électorale Personnage principal est sylvio Berlusconi , le president du conseil alors en campagne spour sa réelecyion

Test du DVD Editeur : Bac-Films. Juin 2009. Juin 2009. Coffret 5DVD : Caos Calmo, Le Caïman, Palombella rossa, La messe est finie et Bianca. 50 €.

Supplément sur DVD2 : Le journal du Caïman (1h00), Une Histoire italienne de Laurent Marchi (0h24), bandes-annonces.