(1930-2012)
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Texte de Tangui Perron : "Yann Le Masson, Brestois né à "Brest même" (le 27 juin 1930, à 21h15 aime-t-il à préciser) est fils d'officier de Marine. Il passe sa jeunesse dans différents ports, au gré des affectations de son père (rigide et d'extrême droite) : Brest, Vannes, Toulon, Dakar.
Après de solides études mathématiques puis d'ingénieur électricien, il entre à l'Ecole de cinéma de la rue de Vaugirard, avant l'IDHEC dont il ressort avec une formation et un diplôme de chef-opérateur de courts métrages, en 1955. Comme tous les jeunes gens de sa génération, Le Masson est rattrapé par la guerre d'Algérie. Et il s'enfonce dedans, tête la première et pieds devant, comme officier parachutiste, d'août 1955 à avril 1958. Et comme beaucoup de cinéastes militants de sa génération, l'Algérie et la guerre ne le quittèrent jamais tout à fait. Au sortir du conflit, traumatisé, Yann Le Masson se promet de protester par les moyens de son art contre les guerres coloniales et d'aider concrètement le FLN algérien - ce qu'il fit efficacement, entre autres en transportant des armes dans le faux plancher d'une caravane familiale.
Ainsi, Le Masson signe la belle image d'un court métrage du cinéaste marseillais Paul Carpita, La récréation (1959), film humaniste évoquant les sacrifices inutiles de la guerre coloniale. En 1961, comme réalisateur cette fois, Yann Le Masson tourne en Tunisie avec Olga Poliakof, J'ai 8 ans, émouvant et efficace réquisitoire, simplement constitué de dessins d'enfants algériens réfugiés qui témoignent en off des exactions de l'armée française. J'ai 8 ans fut interdit durant dix ans sur le territoire national Mais le colonialisme français fut encore l'une de ses cibles, à La Réunion cette fois : Sucre amer (1962), lui aussi, fut interdit pendant dix ans en France.
Parallèlement à ces activités et créations militantes, Le Masson continua une prolixe carrière d'opérateur, signant des images aussi bien pour des courts métrages, des films publicitaires et des films d'entreprise que pour des longs métrages ou l'ORTF. En 1962, aux côtés de Pierre Lhomme, il compose la très belle photo du Combat dans l'île d'Alain Cavalier ; en 1968, c'est pour la Columbia Films qu'il prend les images de Castle keep de Sydney Pollack (avec Burt Lancaster) Et Serge Gainsbourg (rencontré en 1969 avec Jane Birkin sur le tournage de Cannabis) s'appuie à deux reprises sur son talent de chef-opérateur : en 1975 pour Je t'aime moi non plus, en 1983 pour Equateur.
Bien sûr, Le Masson fait partie de l'aventure de l'UPCB. A partir de 1968, son engagement politique se radicalise plus encore et il entame un long compagnonnage au sein de courants maoïstes. Après avoir filmé l'enterrement des morts du métro Charonne en 1962, il enregistre celui du jeune militant Gilles Tautin en 1968 avec une caméra prétée par Marin Karmitz. En 1971, au Japon, (outre un petit trafic de cannabis qui lui permet de subsister), Yann Le Masson réalise avec Bénie Deswarte Kashima Paradise (sur un commentaire de Chris Marker), film militant qui contient, malgré quelques pesantes affirmations politiques, des plans et des séquences d'une beauté époustouflante. L'époque était à la contestation : Kashima Paradise, long pamphlet anti-impérialiste émaillé de remarques ethnologiques, après avoir été présenté en 1974 au festival de Cannes, fut sélectionné en 1975 pour la cérémonie des Oscars Militant également aux côtés du mouvement féministe, Yann Le Masson filme à plusieurs reprises les combats du MLAC (Mouvement pour la libération de l'avortement et de la contraception) et réalise dans ce cadre un beau documentaire, Regarde, elle a les yeux grand ouvert (1980), uvre qui semble clore la faste période du cinéma militant en France.
Sans renoncer totalement à la carrière cinématographique ni à l'enseignement, Le Masson décide de passer ses brevets de capitaine et mécanicien professionnel pour le transport fluvial. Entre 1980 et 1993, sur le bateau Nistader 2, Yann Le Masson exerce le métier de transporteur fluvial en Europe. C'est également sur sa péniche - amarrée près d'Avignon - que celui qu'on a du mal à imaginer autrement que hantant un roman de Mac Orlan, a découvert, comme par miracle, un tas de films qu'une main anonyme avait déposé sur son ponton. Il s'agissait là des bandes qu'il avait lui-même réalisées juste à la fin de la guerre d'Algérie et dans lesquelles des militantes algériennes, sortant de la prison de Rennes, confiaient leurs rêves et leurs espoirs. Curieusement - peut-être symboliquement - le son de ces films a été perdu. Yann Le Masson cherche aujourd'hui à redonner la parole à ces femmes - ainsi qu'une histoire".
Texte de Tangui Perron publié dans "Cinéma en Bretagne" (éditions Palantines, Quimper, 2006) puis sur le site de Périphérie.
Yann Le Masson est mort le 20 janvier 2012.
Filmographie :
1961 | J'ai huit ans |
Coréalisé avec
Olga Poliakof. 0h10.
A partir de leurs dessins, des enfants algériens parlent de leur expérience de la guerre. Projeté clandestinement, saisi 17 fois et censuré pendant 12 ans, un film majeur sur la guerre d'Algérie. |
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1963 | Sucre amer |
0h24
En 1963, à la Réunion, Michel Debré, Premier ministre du général De Gaulle, vise le poste de député. Yann Le Masson suit sa campagne mouvementée. Son film restera interdit en France pendant 10 ans. Dénonçant à nouveau le colonialisme français, Yann Le Masson met en avant l'existence d'une vaste fraude électorale : les morts votent quand les vivants n'arrivent pas à obtenir leurs cartes d'électeurs. Les méthodes coloniales sont à l'uvre : les patrons donnent des consignes de vote et Debré utilise le fameux "nos ancêtres les gaulois" face à des parterres d'électeurs originaires majoritairement d'Afrique, d'Asie ou de Madagascar. |
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1973 | Kashima Paradise |
Coréalisé avec
Bénie Deswarte. 1h47.
1970. Le gouvernement japonais lance la construction d'un aéroport à Narita, entre Kashima (vaste complexe sidérurgique et pétrolifère) et Tokyo. Les paysans refusent de vendre leurs terres et affrontent les forces de l'ordre envoyées pour les expulser. Le portrait sociologique en images d'une nation en plein essor économique, guidé par les commentaires écrits de Chris Marker |
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1980 | Regarde elle a les yeux grand ouverts |
1h17.
Auprès de femmes du MLAC, militantes du droit à l'avortement, Yann Le Masson réalise paradoxalement un des plus beaux films jamais tournés sur l'émotion de la naissance. Ce film suit de 1975 à 1982 ces femmes qui luttent pour le droit à l'avortement. Il ne se limite pas à un documentaire autour du procès d'Aix-en-Provence de 1976 contre le MLAC, pour exercice illégal de la médecine et tentative d'avortement sur mineure, alors que la loi Veil sur l'avortement était passée en 1975. Il est aussi une observation des principes autogestionnaires du MLAC, des méthodes alternatives d'accouchement, pratique devenue collective, repoussant les limites du corps. |
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1984 | Heligonka |
0h27. Atteint de cécité, Patrick, frère de Yann, apprend à voir à ses mains et à entendre à sa fille. Pourtant, c'est lui qui parle de la lumière et du plaisir de regarder voir. Yann Le Masson fait-il vraiment le portrait de son frère ? On peut y voir bien davantage, un cadeau qu'ils s'offrent mutuellement, un film réalisé ensemble entre alter ego où chacun apprend à devenir un peu l'autre : autoportrait du cinéaste en aveugle et portrait de ce dernier en pédagogue de la vision. |
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