Pi Patel raconte à un écrivain canadien en panne d'inspiration, venu sur les conseils d'un ami de Pi, écouter son histoire extraordinaire. Pi entreprend de lui en faire le récit après lequel lui dit-il, il pourra aussi croire en Dieu
Enfant, il fut appelé Piscine Molitor Patel par son père en hommage à la plus belle des piscines du monde, dont son frère collectionnait les souvenirs. L'oncle de Pi lui apprit beaucoup de choses sur la natation mais le prénom dont il était en partie responsable devint très vite une source de moquerie (pisse, pisseux...) difficile à supporter lors de sa scolarité. C'est pourquoi Piscine, une fois arrivé au collège, adopte le surnom de Pi. Lorsque les professeurs lui demandent son prénom, il se lève sans mot dire et dessine au tableau le symbole π ou 3,14 tout en expliquant le sens et pouvant se remémorer une suite impressionnante de ses premières décimales… Il est dès lors appelé « Pi Patel ».
Son père profita de la volonté du gouvernement de marquer l'indépendance de Pondichéry en 1956 pour transformer le jardin botanique, dont sa future femme était la directrice, en zoo. L'enfance de Pi est ainsi marquée par une vie heureuse parmi les animaux du zoo. Vers 14 ans, Piscine est travaillé par l'existence de dieu qui se révèle à lui sous plusieurs formes, notamment celle de l'hindouisme avec Vishnu, du christianisme avec l'incarnation de Jésus, et de l'islam avec la sensualité de ses costumes. Il devient pratiquant des ces trois religions sans distinction, fréquentant à la fois le temple hindou, l'église et la mosquée. Le père de Pi tente vainement de lui faire comprendre qu'il ne peut pas adopter trois religions à la fois, sous prétexte qu'il doit se servir de sa raison pour éclaircir sa pensée et, au moins, choisir. Pi est fasciné par un tigre du Bengale adulte de 200 kilos. Il est nommé Richard Parker parce que sur le contrat d'achat son nom avait été interverti avec celui du vendeur.
A dix-sept ans, Pi fait la connaissance de la ravissante Anandi mais doit se séparer d'elle car les parents ne reçoivent plus de subventions du gouvernement indien pour garder leurs animaux dans le parc d'État. Ils décident donc d'émigrer au Canada en emportant les animaux. La famille embarque ainsi sur un cargo japonais, le Tsimtsum, en compagnie de quelques animaux destinés à être vendus.
Au cours de la traversée sur le navire, Pi est réveillé par l'orage. Il monte alors sur le pont pour jouir du spectacle et défie Dieu de déverser encore plus d'eau. Il comprend trop tard que le navire est en train de sombrer et ne parvient pas à sauver sa famille, noyée dans la chambre. Il est jeté sur une chaloupe de sauvetage par un membre de l'équipage, brutalement mise à l'eau par la chute d'un zèbre qui se casse une patte en s'écrasant dans le canot.
Le lendemain du naufrage, Pi s'aperçoit de la présence d'une hyène tachetée et d'un orang-outan. La hyène tente d'attaquer Pi puis déchiquette le zèbre et tue l'orang-outan sous les yeux horrifiés du jeune Patel. Pi se rend ensuite compte avec terreur de la présence de Richard Parker, le tigre du Bengale qui s'était jusqu'ici caché sous la grande bâche de la chaloupe et qui se jette sur la hyène.
Pi confectionne alors une sorte de radeau avec les rames et les gilets de sauvetage pour se mettre à l'abri du tigre tout en restant à proximité de la chaloupe. Il survit tant bien que mal grâce à quelques maigres et occupe son esprit à tenter de dresser Richard Parker. Il parvient ainsi à oublier la mort de ses parents, son état désespéré, la faim… Il dresse l'animal grâce à un simple sifflet à la manière des dompteurs de cirque. Il tente d'instaurer grâce à ses connaissances du monde animal une relation dominant-dominé, en délimitant son territoire et en nourrissant régulièrement le prédateur.
Cependant, les vivres stockées dans le canot de sauvetage viennent vite à manquer et le garçon est contraint d'apprendre à pêcher les poissons. Il ne survivrait pas sans le passage d'un banc de poissons volants. Une autre fois cependant, c'est une baleine surgie des fonds phosphorescents de l'océan qui renverse son radeau et lui fait perdre ses provisions
Au bout de quelque temps son canot touche terre. Il s'agit d'une petite île du Pacifique couverte de verdure et pleine de bassins d'eau douce. L'endroit apparaît aux yeux du jeune Indien comme un véritable havre de paix. Il y regagne des forces grâce à des plantes mystérieuses qui semblent filtrer l'eau de mer en absorbant le sel. En outre, elle n'est peuplée d'aucun parasite ni créature, si ce n'est une immense colonie de suricates qui est parvenue d'une certaine manière à s'adapter aux conditions de vie de l'île. Pi découvre cependant grâce à une dent humaine enfermée dans un fruit : île entière est carnivore. Les plantes sécrètent une sorte d'acide qui brûle toute créature posant le pied sur l'île à la tombée de la nuit. Il reprend la mer dès le lendemain, toujours accompagné de Richard Parker. Il atteint finalement la côte du Mexique.
Pi est désespéré car Richard Parker disparaît dans la jungle mexicaine sans le moindre regard en arrière. Pi est retrouvé par des Mexicains et transporté à l'hôpital. Là, il reçoit la visite de deux Japonais qui souhaitent obtenir un compte-rendu du naufrage afin d'en déterminer les causes. Les deux Japonais se montrent sceptiques devant l'histoire du jeune homme et déclarent qu'ils n'en croient pas un mot. Pi leur raconte alors une seconde histoire plus crédible mais aussi infiniment plus effrayante. Dans ce second récit, ils étaient quatre rescapés du naufrage : lui, sa mère, le cuisinier et un marin qui ne parlait pas anglais et s'était brisé la jambe en tombant. Malgré tous les soins de Pi et de sa mère, la blessure du marin s'infecta et le cuisinier propose de l'amputer afin d'éviter la septicémie. Il s'avère en fait que le cuisinier est un homme cruel et violent qui comptait utiliser le membre amputé comme appât pour pêcher. Le marin succombe à ses blessures et le cuisinier dévore les membres du marin. Trop effrayés et dépendants de l'homme, Pi et sa mère n'osent rien tenter. Un peu plus tard néanmoins, une dispute éclate entre le cuisinier et la mère de Pi. Cette dernière pousse son fils sur le radeau fabriqué plus tôt comme plateforme de pêche afin de le protéger. Il assiste terrifié au meurtre sauvage de sa mère. Pi poignarde alors le cuisinier qui, las de ses crimes, se laisse faire. Les deux Japonais semblent mieux accepter cette seconde histoire.
L'écrivain canadien remarque toutefois que la première histoire peut se lire comme une métaphore de la première Le marin à la jambe cassée serait associé au zèbre (qui avait également la patte cassée), la guenon à la mère de Pi ("Jus d'orange ou est ton petit ?"). Le cuisinier à la hyène tachetée qui démembre violemment le zèbre pour le dévorer et tue l'orang-outan. Pi se confond et s'assimile avec le tigre.
Pi acquiesce et demande à l'écrivain laquelle des deux histoires il préfère croire étant donné qu'elles sont toutes deux plausibles. L'écrivain, encore à peine convaincu, affirme qu'il préfère la première. Alors que Pi accueille sa famille de retour, l'écrivain découvre, avec un sourire que les Japonais ont aussi finalement préféré la première et validé la survie durant 227 jours du jeune naufragé en compagnie d'un tigre nommé Richard Parker.
À la fin du récit, le spectateur, comme l'écrivain canadien et les deux Japonais est laissé avec deux interprétations possibles des événements. La première est plus difficile à croire avec la coexistence avec le tigre, le saut de la baleine dans la mer phosphorescente et l'île carnivore. Mais la seconde n'est présentée que comme une façon plus réaliste d'expliquer une incroyable survie à des gens qui ne croient pas à l'extraordinaire.
C'est pourtant bien l'adhésion à une croyance qui est proposée au début du récit quand Pi promet à son interlocuteur que cette histoire pourra le faire croire en Dieu. Ce Dieu, Ang Lee prend ensuite le temps d'une première partie du récit de nous expliquer qu'il se manifeste sous plusieurs formes. C'est la partie la plus humoristique du récit, celle des trois religions auxquelles adhère Pi. Pour nous spectateurs, cette croyance pourrait être celle de la possibilité d'un récit merveilleux.
Ang Lee enfin se donne les moyens esthétiques de nous impliquer dans son récit en choisissant une esthétique constamment sublime (qui est le plus élevé en parlant des choses morales et intellectuelles) il indique clairement aussi qu'il privilégie la première option.
Ainsi le contrat passé avec le spectateur d'une révélation, d'un twist final ayant trait à la croyance, l'affirmation de différentes modalités de la croyance et les effets sublimes de cette croyance incitent le spectateur à effectuer les mêmes choix que les personnages du film... Les spectateurs sceptiques auront normalement décrochés avant la fin de ce spectacle gorgé de belles images, pour une fois, à notre avis justifiées par le propos du film.
Jean-Luc Lacuve, le 15/05/2017