Une femme conduit une voiture sous la pluie. Arrivée dans un champ, elle abat un âne d'un coup de pistolet.
David, un quadragénaire bedonnant vient de perdre sa femme ; l'aimait-il vraiment ? Il ne se pose qu'à peine la question. Dans le monde où il vit, toute personne célibataire est arrêtée et transférée à l'Hôtel. Là, il a 45 jours pour trouver un partenaire. Faute de quoi il sera transformé dans l'animal de son choix, puis relâché dans les bois. David emmène son chien : c'est son frère qui n'avait pas réussi l'épreuve quelques années auparavant. Alors que s'enchainent les scénettes de propagande sur le mieux vivre en couple et que certains gagnent des jours supplémentaires en capturant des solitaires dans le bois, David se fait deux amis : l'homme qui zozote et l'homme qui boite. Le second réussit l'épreuve du point commun nécessaire en séduisant la fille qui saigne du nez grâce à des subterfuges qui provoquent une semblable hémorragie.
David pour éviter d'être transformé en homard (animal qui vit jusqu'à cent ans sans perdre sa puissance sexuelle et dans un milieu marin qu'il affectionne) se décide à conquérir celle que tous désignent comme "la femme sans cœur". Mais elle découvre qu'il a gardé un cœur lorsqu'il sanglote après qu'elle ait tué son frère chien à coups de pieds. David, menacé de transformation immédiate en animal pour supercherie, s'échappe de l'Hôtel et gagne les Bois où vivent les Solitaires et où il va tomber amoureux. Mais l'amour n'est pas autorisé chez les Solitaires…
Le dispositif, une société où l'on est obligé de vivre en couple sous peine d'être transformé en animaux, ne relève pas de la science-fiction mais du fantastique : il convient d'admettre que les animaux autour des personnages peuvent être des êtres humains.
C'est l'aspect le plus réussi du film. Ainsi du prologue où la femme qui abat l'âne vient probablement de découvrir quelque chose qui ne lui a pas plus chez celui qui avait peut-être été un de ses parents ou son mari. Cette attitude décalée devant les animaux ne se retrouve hélas pas très souvent ; le chien-frère de David n'est utilisé qu'à des fins scénaristiques : rompre avec la femme sans cœur. Seuls les animaux qui peuplent les bois de façon inattendue (paons, poney) apportent une note étrange au film.
C'est la principale limite du film qui s'avère convainquant et vraisemblable dans son dispositif mais duquel, hélas, il ne sort pas grand chose. La société des solitaires se révèle aussi peu épanouissante que la société où l'on est obligé de vivre à deux. Mais le réalisateur ne fait qu'appuyer constamment sur ce postulat dont on est déjà persuadé : l'opposé de la norme ne vaut pas mieux que la norme. D'où le côté forcement sinistre des séquences dans l'un et l'autre lieu : habillage identique, nécessité de se trouver un point commun conduisant l'homme qui boite à des saignements de nez simulés, propagande avec des scénettes simulant l'étouffement ou le viol, tentative de suicide pitoyable de la femme aux petits gâteaux, scène de la révélation d'un amour soumis à la volonté de sauver sa peau chez le couple des directeurs, sentence du baiser rouge, nécessité de creuser sa tombe. Le burlesque n'est en définitive que peu travaillé. Tout juste retiendra-ton : les denses solitaires dans les bois, la lampe prise pour un lapin et la balle de tennis prise pour un kiwi
La fin ouverte relève de la même impossibilité à dépasser son dispositif. Rien n'est jamais venu prouver que David est vraiment amoureux de la femme myope si ce n'est la trop appuyée scène de jalousie avec le solitaire chasseur de lapins et les attouchements excessifs (appuyés eux-aussi) dans le salon des parents de la chef des solitaire. En restant volontairement assez froid dans sa mise en scène, Yorgos Lanthimos ne nous laisse guère espérer que David se crèvera les yeux par amour.
Jean-Luc Lacuve le 01/11/2015