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Grand tour

2024

Genre : Road movie

Avec : Gonçalo Waddington (Edward), Crista Alfaiate (Molly), Cláudio da Silva (Timothy Sanders), Lang Khê Tranvv (Ngoc), Jorge Andrade (Reginald), João Pedro Vaz (Révérend Carpenter), João Pedro Bénard (Horace Seagrave), Teresa Madruga (Espia), Joana Bárcia (Lady Dragon), Rembrandt Beerens (Príncipe Tailandês). 2h08.

1918. Edward Abbott, fonctionnaire de l'empire britannique, attend sa fiancée, Molly, sur le port de Rangoun en Birmanie. Après sept ans d'attente, elle a décidé de le retrouver pour qu'ils se marient. Soudain paniqué par cet engagement, Edward n'attend pas l'arrivée du bateau. Il distribue les fleurs et prend le premier bateau pour Singapour. Là, il rencontre Reginald, le cousin de Molly qui voudrait savoir quand aura lieu le mariage. Importuné par ses questions, Edward l'est encore plus lorsqu'il reçoit un télégramme de Molly lui indiquant qu'elle arrive bientôt dans son hôtel. Edward prend un train pour Bangkok mais celui-ci déraille. Il parvient néanmoins à destination avec l'aide de coolies qui portent ses bagages. Il se rend ainsi à l'anniversaire du futur empereur; un garçon très éveillé qui aime la façon dont il détonne vis-à-vis de ses invités obséquieux. Edward ne songe qu'à fuir de nouveau, ayant aperçu Molly parmi les invités. Il se rend alors à Saigon puis à Manille. Il se saoule et embarque clandestinement sur un bateau et découvre que sa destination est le Japon. Il suit des moines dans leur monastère mais est expulsé vers la Chine par les autorités suspicieuses. Il arrive à Shanghai puis, par le dernier bateau bénéficiant de courants favorables avant la saison des pluies, il remonte le Yangtze. Il est détroussé par des coolies qui le laissent sans rien. Perclu de mélancolie, il meurt.

Molly s'amuse de la fuite de son fiancé et le suit à travers l'Asie. Elle arrive à Singapour et rencontre Reginald qui lui indique que Edward a pris un train pour Bangkok. Près des wagons du train qui a déraillé, Molly rencontre Lady Dragon qui lui dit qu'Edward à dû partir pour Bangkok par ses propres moyens. Là, elle rencontre le prince et part pour Saïgon en bateau. Invitée à la table du capitaine, Molly a une discussion orageuse avec les autres convives. Elle raconte son histoire. Le riche colon Timothy Sanders lui propose brutalement de l'épouser. Il la recueille chez lui quand elle est malade mais elle refuse toujours de l'épouser. Sa gouvernante, Ngoc, part avec elle pour la Chine. Elles tentent désespérément de remonter le Yangtsé alors que la saison ne s'y prête pas et prennent à leur bord le révérend Carpenter. Leur navire est pris par les courants. Son corps rejeté sur le rivage, Molly meurt.

analyseGrand tour est un grand voyage où, pendant que l'on s'abandonne à celui-ci, on n'oublie pas tout, comme les agences de voyages tendraient à nous le faire croire, mais où le passé revient à l'improviste, aléatoirement, évoqué par un signe anodin ou grandiose. C'est à une telle expérience que nous convie le film en nous embarquant dans deux voyages possibles, celui d'une fuite et celui d'une quête. 

La splendeur et l'aléatoire

A l'origine, il y a des images documentaires prises par Gomes et ses opérateurs lors d’un périple en Asie du Sud-Est, des plans sans scénario préconçu et un tournage en janvier et février 2020 interrompu par la pandémie de Covid-19B. Les instructions pour ce tournage documentaire étaient de choisir des images surprenantes, somptueuses ou originales. Ces images sont ensuite intégrées à une fiction, tournée en studio, inspirée de deux pages du roman A gentleman in the parlour (1930) de Somerset Maugham, non crédité au générique. La trame romanesque s’adapte alors aux images préexistantes pour un voyage sans cesse surprenant mélangeant le souvenir des films de Sternberg avec Marlene Dietrich, la déliquescence des empires coloniaux et, sur un autre versant, la beauté de chacun des pays. Tout est tourné en 16mm, à 90% en noir et blanc et 10% en couleur, essentiellement pour les scènes de nuit car la pellicule kodak noir et blanc ne possède qu'une sensibilité.

La scène d'ouverture en couleur nous invite à un voyage sur un manège circulaire qui n'a rien de mécanique puisque animé par un homme grimpant en haut de la roue pour s'y accrocher et l'entraîner vers le bas par son poids avant de lui redonner de l'élan en la poussant de ses mains en se contorsionnant au ras du sol pour ne pas être emporté par elle. Cette figure emblématique de l'élan et du danger, métaphorique du voyage, intervient une seconde fois vers le milieu du film. Cette figure du manège trouve aussi un écho avec le bal des scooters à Saigon au son du beau Danube bleue de Strauss, valse qui renvoie à l'approche de la station lunaire dans 2001 l'odyssée de l'espace.

La fuite et la quête

Le film s'auto-alimente d'une part par ses jeux d'oppositions : deux parties, l'homme et la femme, documentaire et fiction, couleur et noir et blanc, voix in et voix off. Le voyage de Molly évite les étapes de Manille et du Japon. Elle sait que l'Asian Grand Tour tel qu'il était pratiqué du XXe siècle consistait à partir d'une ville d'Asie de l'empire britannique, en Inde ou en ancienne Birmanie, pour se terminer au Japon ou, le plus souvent en Chine, destination vraisemblable d'Edward.

A mi-parcours, le récit repasse les plats et nous ramène en arrière en changeant son personnage principal, passant de l’homme en fuite et mélancolique, à la jeune femme d'autant plus obstinée qu'elle cache sous des dehors enjouées la certitude de sa mort prochaine. Les périples effectués par Edward Abbott et Molly sont narrés par diverses voix off, chacune avec sa musicalité propre, dans la langue du pays traversé avec des échos entre voix et image tels ces deux pandas suspendus aux arbres très fragiles alors que la voix off mentionne deux survivantes au naufrage avant que l'on ne découvre Molly agonisante. Les cultures emblématiques ou plus marginales de chacun des pays sont également données : marionnettes à Singapour ; kung-fu à Bangkok; divination à Saigon; musiciens de rue mendiants, les moines Komusos, au Japon ; karaoké à Shanghai ; surimpression de dragons chinois dans le Sichuan.

Jean-Luc Lacuve, le 8 décembre 2024.

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