4 B : Les signes parmi nous

1998

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0h38

Ce dernier épisode des Histoire(s)commence, comme tous les autres, par deux dédicaces. Mais ici la dédicace "Pour Anne-Marie Miéville Et pour moi-même" ramène les Histoire(s) à l'histoire personnelle de Jean-Luc Godard et ferme la boucle de l'autobiographie.

Les Signes parmi nous s'ouvrent sur le thème de l'amour et de la fidélité, avec une double destination, à la fois envers Anne-Marie Miéville dont on vient de voir le nom et envers le cinéma. Reprenant le parallèle qu'il avait établi entre la femme et le cinéma dans Fatale Beauté, des scènes d'amour et des portraits d'actrices (Marylin Monroe, Romy Schneider) sont mis en rapport. Comme la femme, le cinéma ("l'autre cinéma") est impossible à décrire : "C'était autre chose. Il n'y a pas d'autre mot pour cela. Cela ne s'inscrit pas dans les phrases", puis la part invisible du cinéma est comparée à la matière fantôme de la voie lactée. Ce mystère du cinéma est accompagné chez Godard d'une nouvelle interrogation : "Où et pourquoi commencer un plan, et où et pourquoi le finir ?", et on peut maintenant affirmer que le doute est un leitmotiv dans les Histoire(s). Il est souvent question dans les autres épisodes de "film impossible", de "plan irréalisable".

Lorsqu'arrive enfin le titre de l'épisode, Les Signes parmi nous, on comprend que Jean-Luc Godard se concentre sur la signification du cinéma, "une saturation de signes magnifique". Comme il l'explique lui-même à propos de cet épisode, "le cinéma est un signe, et ses signes sont parmi nous. C'est le seul qui nous ait fait signe. Les autres, ce sont des ordres. Le cinéma, c'est un signe à interpréter, à jouer, il faut vivre avec" 1.

Il souligne la puissance de transmission, par le cinéma, des histoires (cette fois-ci stories, et non History) : il parle alors d'un colporteur qui racontait des histoires dans un village : comme les habitants du village avec le colporteur, le public a une relation ambiguë avec la fiction au cinéma, qu'il souhaite vraie tout en la sachant fausse.

Les Signes parmi nous apparaissent comme un bilan des Histoire(s), reprenant tous les thèmes développés précédemment et donnant certaines "clés" de lecture. Les Histoire(s) du cinéma s'articulant entre les petites histoires et la grande Histoire, Jean-Luc Godard poursuit l'épisode par le thème de la mémoire de l'Histoire. Il cite certaines grandes références qui se sont prononcées sur l'Histoire : Jean-Paul Sartre, André Malraux, Fernand Braudel et Charles Péguy ("Clio"). Et tandis que la voix d'Anne-Marie Miéville nous dit : "Nous vivons dans un système où l'on peut tout faire, excepté l'histoire de ce qui se fait. On peut tout achever, excepté l'histoire de cet achèvement", Jean-Luc Godard réaffirme le principe fondateur des Histoire(s) du cinéma : "Rapprocher les choses qui n'ont encore jamais été rapprochées et ne semblaient pas disposées à l'être" (une peinture de Jérôme Bosch et un texte de Charles Péguy, Israël et la Palestine, Eisenstein et Docteur Mabuse).

La dernière partie de l'épisode est malgré tout un bilan toujours négatif sur la France ("les équipes tournantes des mêmes incapables, malhonnêtes") et sur sa position de cinéaste français ("Le privilège est pour moi de filmer et de vivre en France en tant qu'artiste. Rien de tel qu'un pays qui descend chaque jour d'un degré dans la voie de son inexorable destin"). De ce déclin l'art seul peut être salvateur. Les Histoire(s) du cinéma réunissent les rares formes d'art capables de sauver le monde de la catastrophe, auxquelles Jean-Luc Godard rend un hommage ultime : certains écrivains (Arthur Rimbaud, Georges Bataille, Maurice Blanchot, Emily Dickinson) et le cinéma, qui seul "ne craignait rien des autres ni de lui-même".

L'épisode se clôt par un portrait de Godard photographié jeune, s'appropriant un texte de Borges, comme pour en faire le bilan de sa vie : "Si un homme traversait le paradis en songe, qu'il reçût une fleur comme preuve de son passage et qu'à son réveil il trouvât cette fleur dans ses mains, que dire alors ? J'étais cet homme."

1 Entretien avec Alain Bergala en 1997 ("Une boucle bouclée", Jean-Luc Godard par Jean-Luc Godard, Paris, éditions Cahiers du Cinéma, 1998, tome 2, p. 16).