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The message

2024

Genre : Drame social

(El mensaje). Avec : Avec Mara Bestelli (Myriam), Anika Bootz (Anika), Marcelo Subiotto (Roger) et Betania Cappato. 1h31.

Sur les routes poussiéreuses de l’arrière-pays argentin, un vieux camping-car bringuebalant transporte un trio singulier : Myriam, une femme pragmatique aux tenues colorées, Roger, un homme taiseux au passé mystérieux, et Anika, une jeune fille renfermée. Fuyant la pauvreté urbaine, cette famille recomposée subsiste grâce à un commerce étrange : le don supposé d’Anika pour communiquer avec les animaux, vivants ou morts. Entre arnaque spirituelle et véritable connexion surnaturelle, ils sillonnent les villages, offrant aux habitants une chance de renouer avec leurs compagnons bêtes, tout en cherchant eux-mêmes un sens à leur errance.

Le film s’ouvre sur une image d’un champ de maïs d’où émerge Anika. Cheveux bruns, allure commune, elle semble porter le poids d’un secret trop grand pour elle. À proximité, le quatrième personnage du film attend : le camping-car, véritable QG de cette entreprise familiale de l’étrange. La dynamique du groupe s’installe rapidement, rodée par la nécessité. Myriam officie comme une mère de substitution, gérant la logistique et les clients via des messages vocaux sur smartphone. Roger, autre figure paternelle de substitution, tient les comptes et encaisse l’argent. Anika, elle, est l’exécutante, l’oracle fragile. Le film nous plonge dans leur quotidien avec un naturalisme saisissant, fruit d’un tournage commando d’une dizaine de jours.

La première « consultation » donne le ton : un homme, tenant une tortue dans la nuit, cherche des réponses. Anika écoute, traduit, ou peut-être invente. La frontière entre le charlatanisme et le mystique est poreuse. Après un passage maladroit mais fructueux dans une émission de télévision locale, la demande explose. Les téléphones sonnent, et la famille s’enfonce plus loin dans une Argentine précarisée, faite de lotissements inachevés et de nature indifférente.

La question du prétendu don d’Anika s’étiole au fur et à mesure du voyage au profit d’un questionnement sur la relation entre cette jeune fille et l’ensemble des non-humains qui l’entourent. Ce qui compte, c’est la communion. Dans l’exiguïté du véhicule, où la douche ne fonctionne pas et où l’intimité est un luxe absent, des liens profonds se tissent. On découvre par bribes le passé de Roger : un étui de violon révélant des photos de clowns et de jongleurs, vestiges d’une vie de cirque abandonnée.

La visite éclair d’Anika à sa mère, la fille de Myriam, renforce l’étrangeté de ces relations intrafamiliales. Un ensemble de non-dits, de phrases laissées en suspens permettant de protéger des remises en question trop intenses. Un ensemble de fracture que le groupe cherche à éviter plutôt que de panser.

Cependant, le film culmine non pas sur une révélation fracassante, mais sur une acceptation. Anika perd ses dents de lait, grandit, et continue de délivrer ses messages, jusqu’à une scène finale entre la jeune fille et Myriam. Anika par l’intermédiaire d’un oiseau cherche détendre les liens entre les différents membres de la famille. Les prétendues dons d’Anika initiant la détente.

Il semble impossible de ne pas lire The Message à travers le prisme de l’ère Milei (élu en 2023, le film s’inscrit dans cette post-campagne de 2022-2025). Le camping-car, symbole de liberté dans l’imaginaire américain, devient ici le symbole du déclassement et de la précarité imposée par une économie "à la tronçonneuse". Roger, l’ancien clown devenu comptable de la survie, incarne ce renoncement culturel face à l’urgence économique. Cependant, Fund ne réalise pas un film misérabiliste. Au contraire, il propose une forme de résistance par la tendresse. Dans un monde où la relation à la nature et à l’animal est devenue distante, voire "fantastique", le film rétablit une connexion primordiale.

La médiation interespèce devient un prétexte pour parler de la communauté des vivants. Iván Fund adopte une approche que l’on pourrait dire de naturalisme poétique. Un naturalisme poétique construit par une image explorant une gamme infinie de gris. Loin des contrastes expressionnistes tranchés, l’image de The Message, supervisée par le directeur de la photographie Gustavo Schiaffino explore une photographie diaphane, où le soleil perce à travers les nuages avec une "beauté sensorielle", agit comme le révélateur des relations humaines. Tout est affaire de modulation émotionnelle. Fund refuse de psychologiser à outrance. Les personnages conservent leur "roit au mystère". Roger, maître-économe de ses mots, use d’un silence plein de sens où oscille la complicité tacite et le besoin de se protéger. Iván Fund fait le choix d’accompagner ses personnages plus que les définir. Cette méthode confère au film une certaine authenticité; on ne regarde pas des acteurs jouer, on observe des survivants vivre.

Nino Nativelle, le 24 novembre 2025

Sources complémentaires :

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