Felicia, 17 ans, est enceinte. Elle décide de partir à la recherche du père de son enfant. Elle quitte donc l'Irlande pour l'Angleterre. Elle rencontre Hilditch, célibataire vieillissant et réservé, qui lui propose de l'héberger...

 

Hilditch s'inscrit dans la longue lignée des serial-killers victimes d'un traumatisme qui les pousse au meurtre. Pour Hilditch, la névrose consiste à ressembler obsessionnellement à sa mère qui vivait toujours en représentation sous l'œil d'une caméra, lisse, impeccable et maniérée. Obsédé par son image, il ne supporte pas plus les accrocs du passé (le foie qu'il a recraché à la télévision) que ceux bien plus graves du présent : quand les jeunes femmes qu'il a aidées le quitte, il les tue.

Cette fascination pour la représentation se traduit dans la réalisation par une attention toute particulière portée aux signes de la mise en scène. Dès le générique, long plan-séquence compliqué combinant panoramiques et travellings, les deux bandes noires du format cinémascope, que l'on ne retrouvera plus par la suite, et la musique hollywoodienne sirupeuse suggèrent la passion de Hilditch pour une vie dont il serait la vedette (sa mère étant reléguée sur un petit écran noir et blanc de télévision). Cette passion pour se trouver sous l'œil de la caméra s'incarne également dans la volonté de filmer les meurtres en vidéo, de se sentir concerné par un extrait de Salomé passant à la télévision, de se rappeler ses souvenirs au travers d'une sorte de vieille bande d'actualité jaunie et de figurer sa propre mort comme un écran noir de bande vidéo arrivée à son terme.

Tous ces signes sont absents du roman, où Hilditch est seulement victime d'une mère trop possessive. Ils sont donc la marque d'une véritable œuvre créatrice du cinéaste dans sa transposition du roman à l'écran, n'utilisant dans l'œuvre littéraire qu'une intrigue bien construite dans laquelle il s'ingénie à placer ses propres figures de style.

Ce qui suit est une proposition de démarche analytique pour des élèves de lycée. On pourra ainsi :

1 / relever tous les signes qui marquent un goût pour l'image de la part de Hilditch

2 / étudier ces signes en regard de la grammaire cinématographique (mouvements d'appareils, formats du cadre, effets d'identification dit "Kouletchov"…)

3/ vérifier qu'ils forment un ensemble cohérent susceptible d'expliquer le traumatisme de Hilditch et le conduire à recommencer sans cesse ses crimes.

4 / décrire les occurrences et le rôle du montage parallèle qui semble accorder plus d'importance au traumatisme de Félicia (nombreux flash-backs qui opposent les décors actuels froids à ceux du passé plus chauds) humainement difficile mais non névrotique qu'à celui de Hilditch.

5 / saisir ce que peux avoir de personnel la démarche d'un cinéaste vis à vis d'une adaptation littéraire

 

Etape 1 : repérage des signes de mise en scène

• Les signes extra-diégétiques
  La vision grand format du générique
  La mort vue comme une fin de bande vidéo
• Les signes diégétiques
  L'obsession de la vidéo (celles de sa mère en noir et blanc, celles qu'il filme en tuant ses victimes)
  La figurine du petit bonhomme blanc (personnage neutre surveillant)
  La télévision dans l'hôpital (l'identification à Salomé, manipulée par Hérodiade, sa mère)
  Les souvenirs (bandes vieillies de sa malencontreuse entrée dans le champ suivie du vol de l'argent, le spectacle de Salomé avec sa mère)

Etape 2 : le cinéma comme système de signes

• analyse du générique
  relever le nombre de plans de la première séquence
  Petite histoire des formats : du 4/3 au 16/9
• relever les autres grands mouvements d'appareils dans le film
  la première rencontre Hilditch-Félicia
  le passage sous le pont
• trois exemples de mouvements d'appareils complexes
  le panoramique à contresens dans Le crime de monsieur lange
  le travelling circulaire dans Vertigo
  le plan séquence inaugural de La soif du mal
• Processus d'identification
  comme chez Hitchcock on s'identifie au pire des criminels pour peu qu'il paraisse d'abord sympathique, rôle des acteurs : dans le roman Félicia n'est pas jolie. (Pourquoi s'embête-t-il avec elle ? Carmel, Rose ou n'importe quelle autre fille aurait tout plaqué pour sortir avec Johnny Lysaght. Elle n'est pas aussi jolie que ces filles là, elle n'a rien de spécial p.37, ch. 4)

Etape 3 : la mise en scène comme névrose

• Une vie en grand format
  Hilditch est hors de la réalité. il se réinvente une vie où il aurait le premier rôle comme sa mère dans le passé, toujours sous l'oeil de la caméra. Mais lui est obligé de se fabriquer sa "cuisine" meurtrière (voir les nombreux plans où meurtre et cuisine sont associés). Assis à sa table, il jouit aussi bien de la cuisine maternelle que de celle qu'il se fabrique.
• L'identification à Salomé
  Les deux plans identiques du coude replié sur le visage pour cacher l'horreur du réel prouvent l'identification d'Hilditch à Salomé. Sa mère lui souffle les meurtres de celles qui n'ont pas su l'aimer, celles qu'il a aidées et qui ont voulu partir. Hérodiade, seconde épouse d'Hérode Antipas (neveu et successeur d'Hérode le Grand, ordonnateur du massacre des innocents) était tombé amoureuse de saint Jean-Baptiste. Comme celui-ci ne répondait pas à son désir, elle lui fit couper la tête en soufflant à sa fille Salomé, pour prix de la danse par laquelle elle venait de charmer son père, la tête de saint Jean-Baptiste sur un plateau d'argent.

Etape 4 : étude du montage parallèle et des deux traumatismes

• Nombre de flash back
• Analyse des plans des décors froids de la citée de Hilditch
• Analyse des décors plus chauds de l'Irlande

 

Etape 5 : les détournements de sens propre au film

Dans le roman le vol de l'argent participe d'une stratégie meurtrière pour que Félicia revienne plus vite chez lui. Ici, il est associé au plaisir qu'il avait eu pour compenser la réprimande maternelle.

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Voir : analyse de photogrammes , Cinq exercices pédagogiques

Genre : Serial killers

(Felicia's Journey). D’après le roman de William Trevor. Interprètation : Bob Hoskins (Hilditch), Felicia (Elaine Cassidy), Arsinée Khanjian (Gala), Gerard McSorley (le père de Felicia). 1h56.