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Boule de suif

1946

Genre : Drame social

Avec : Micheline Presle (Elisabeth Rousset), Berthe Bovy (Madame Bonnet), Louis Salou (Lieutenant Fifi), Alfred Adam (Cornudet), Jean Brochard (Auguste Loiseau), Marcel Simon (Le comte Hubert de Bréville), Palau (Edmond Carré-Lamadon), Roger Karl (Le major-colonel Folsborg), Jim Gérald (Le capitaine Von Kerfenstein), Michel Salina (Otto Grossling), Denis d'Inès (Le curé d'Uville), Louise Conte (La comtesse de Bréville), Sinoël (Follenvie). 1h43.

1870. Rouen est occupée par les Prussiens. Dans la diligence de Dieppe : des bourgeois, des aristocrates, des religieuses, un républicain, une prostituée, Élisabeth Rousset, dite "Boule-de-Suif" qui subit le mépris général, ce qui ne l'empêche pas de partager ses provisions.

A quelques lieues de là, des officiers prussiens saccagent un château et l'on fusille des otages après une attaque de francs-tireurs. Au relais du soir, un officier remarque Boule-de-Suif qui lui refuse ses faveurs. Par représailles, toute la diligence est bloquée : l'insistance hypocrite des bourgeois, le silence des religieuses font céder la jeune femme.

Libérés, les voyageurs lui manifestent le même mépris.

Bientôt la diligence est arrêtée par une patrouille prussienne qui cherche des femmes pour une partie fine organisée par des officiers. Là, dans le château, les trois bourgeoises se conduisent comme des filles. Boule-de-Suif finit par poignarder son soupirant ivre et brutal et s'enfuit. Un prêtre la cache dans le clocher de son église où elle sonnera joyeusement les cloches pendant les obsèques de l'officier.

Comme Robert Wise, un an plus tôt dans Mademoiselle Fifi, Christian-Jacque adapte deux textes courts de Maupassant, Mademoiselle Fifi et Boule de suif.

Les deux nouvelles traitent du même sujet, la résistance à l'occupant, et sont assemblés afin de produire une intrigue qui dure le temps d'un long-métrage.

Pour Mathilde Labbé , Université Paris III :
"si leurs sujets sont proches, « Boule de suif » et « Mademoiselle Fifi » tiennent deux discours fort différents sur la guerre franco-prussienne. La première fait le récit d’une résistance impossible – un échec –, là où la seconde raconte avec enthousiasme un fait de gloire dont le narrateur tire une morale. Entre un récit déceptif et un apologue engagé, la couture est difficile. Entre le rire et la pitié, les deux films mettent en scène deux Boule de suif incompatibles. Christian-Jaque réalise une farce triste, quand Robert Wise tourne une tragédie grinçante.

Pour coudre ensemble les deux récits, les scénaristes ont chaque fois choisi de faire un seul et même personnage de Boule de suif et de Rachel, l’héroïne de « Mademoiselle Fifi». Cependant, ils ont réparti différemment les rôles entre personnages restants et personnages sortants au moment de la « couture ».

Dans le film de Wise, les personnages qui réapparaissent sont Boule de suif, Cornudet (qui devient résistant et affronte les Prussiens à Cleresville), l’abbé Chantavoine (qui recueillera Boule de suif après sa fuite à la fin de l’histoire), le lieutenant de l’auberge (qui sera aussi le lieutenant Von Eyrick) et Mademoiselle Fifi. Dans le film de Robert Wise, distribué au Royaume-Uni sous le titre The Silent Bell (La Cloche silencieuse), c’est une intrigue secondaire qui crée l’intertextualité entre les deux récits : le curé de Cleresville, qui refuse de sonner la cloche, est un ami de Boule de suif.

Chez Christian-jaque, l’officier de l’auberge ne réapparaît pas. Mademoiselle Fifi est un autre officier prussien, présenté au spectateur dès le début du film par l’alternance de séquences empruntées aux deux histoires. Au moment même où le comte de Bréville, parlant du château d’Uville où il se rend, déclare avec assurance qu’on « n’occupe pas un chef-d’œuvre », la caméra transporte le spectateur dans le château pour y montrer des officiers prussiens s’amusant à en détruire le mobilier raffiné. Henri Jeanson et Louis d’Hée ont choisi de transférer tous les passagers de la voiture dans le second récit. La diligence, forcée de s’arrêter à un barrage de francs-tireurs, croise le chemin des officiers de « Mademoiselle Fifi » à la recherche de femmes. Ce sont donc les passagères de la diligence qui sont conviées à l’orgie et non des prostituées. Ce transfert des femmes distinguées au rôle de prostituées malgré elles donne à l’histoire un ton d’ironie vengeresse et permet de nombreux effets comiques.

Le film de Christian-Jaque se termine par des scènes héroïques et dramatisées qui tranchent avec le comique du début et relativise in fine le cynisme de Maupassant en masquant sous une version plus facilement compréhensible, plus aisément recevable des histoires originales.

Qu’il s’agisse du film de Robert Wise ou de celui de Christian-Jaque, la transformation visuelle la plus évidente est celle du personnage d’Elizabeth Rousset. La Boule de suif de Maupassant est « petite, ronde de partout, grasse à lard, avec des doigts bouffis, étranglés aux phalanges, pareils à des chapelets de courtes saucisses, avec une peau luisante et tendue, une gorge énorme qui saillait sous sa robe ». Micheline Presle et Simone Simon, au contraire, sont minces et séduisantes . Le film de Christian-Jaque justifie la transformation de Boule de suif par une réplique au début du voyage en diligence : « Elle a gardé son nom mais elle a perdu sa graisse. » Chez Robert Wise, cette transformation superficielle est intégrée dans un processus plus large d’euphémisation du personnage. Elizabeth Rousset, qui n’est jamais appelée « Boule de suif » dans le film, est une jeune lingère de Rouen, et non une prostituée, dont le seul crime est de ne pas vouloir dîner avec les Prussiens – c’est donc ce que lui demande l’officier en poste à l’auberge. De même que Boule de suif maigrit en apparaissant à l’écran, Cornudet perd la barbe que Maupassant lui avait donnée, et qu’il faisait tremper dans les bocks de bière. Quant au personnage de l’aubergiste Follenvie, Christian-Jaque et Robert Wise en ont chacun conservé un trait qui servait leur propos. Robert Wise le représente donc grand et gros en supprimant l’allusion à sa maladie, tandis que Christian-Jaque en fait un petit homme mais garde au personnage son asthme comme ressort comique.

Le comique, dans le film de Christian-Jaque, repose en grande partie sur des effets de répétition et sur la mécanisation des comportements. Le premier dîner à l’auberge est mis en scène comme un dîner d’automates. Chacun des personnages, à son tour, se penche vers son assiette pour avaler une bouchée dans un mouvement pendulaire et stéréotypé, comme si l’activité de se nourrir concentrait toute l’attention des convives. Ces derniers ne lèvent la tête que pour lancer chacun à leur tour une pique à Lisa : elle finit par céder à leurs insinuations et monte chez l’officier. Les jeux de scène systématiques, comme celui du repas, celui de Loiseau, toujours effrayé par des coups de canon supposés, ou celui de Follenvie mimant sa propre maladie, l’asthme, participent à la mécanisation des personnages dans un univers inquiétant, à peine humain. Le comique de situation est aussi un ressort du film, qui joue sur un renversement des rôles : les femmes respectables sont prises pour des prostituées dans le dîner final. Madame Carré-Lamadon fait alors une allusion mélancolique au temps où elle apprenait le piano « à la maison », et l’officier prussien pense qu’elle parle d’une maison de passe. Enfin, le personnage de « Lisa » offre quelques scènes de comique grinçant lorsqu’elle essaie naïvement de gagner l’amitié des autres voyageurs. Les mots « volent » et la comédie devient grivoise lorsque Loiseau, dans la diligence, improvise des calembours sur la cuisse de poulet que Lisa lui tend. Après avoir évoqué l’idée de manger Lisa comme dans la chanson du petit navire, et en particulier la cuisse, il se reprend pour glisser que cette cuisse doit être « trop légère ». Dans le film de Robert Wise, au contraire, tout est fait, au départ, pour créer une ambiance tragique. La présence de la statue de Jeanne d’Arc à Rouen, la prière que le prêtre fait à ses pieds et la variation sur la Marseillaise qui accompagne ces images renvoient au sacré et font de Jeanne d’Arc une figure tutélaire à laquelle la jeune Elisabeth s’identifie peu à peu. Lorsqu’elle apparaît, à la fin du film, regardant du haut du clocher le cortège funèbre du Prussien qu’elle a tué, elle semble avoir atteint le statut d’héroïne nationale à l’instar de Jeanne d’Arc et être devenue à son tour une figure mythique de la Résistance."

Mathilde Labbé , Université Paris III

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