En 1938, Guido et son ami Ferruccio viennent s’installer dans une petite ville de province. Guido, jeune homme plein de gaieté, rêve d'ouvrir une librairie, malgré les tracasseries de l'administration fasciste. Il tombe amoureux de Dora, institutrice étouffée par le conformisme familial et qui doit se fiancer à un jeune fonctionnaire. Guido devient serveur au restaurant avec son oncle, en attendant de tenir une librairie. Il enlève Dora le jour de ses fiançailles.
Fin 1944, six ans après l’enlèvement de Dora : Guido et Dora ont un petit garçon de 5-6 ans, Giosué, très intelligent. Quelques stigmates de la guerre sont visibles dans la ville : sacs de sable devant les monuments, présence de soldats. Les lois raciales sont entrées en vigueur et Guido est juif. Magasin juif est isncrit sur le rideau de fer de la librairie-papeterie et l’oncle de Guido a été agressé, son cheval a été peint en vert et on y a inscrit : "Achtung, cheval juif". Mais la vie semble toujours joyeuse et belle avec Guido. Le jour où la mère de Dora va voir son petit-fils pour la première fois, Guido, son oncle et Giosué sont arrêtés. Par amour pour eux, Dora, non-juive, exige de partir par le même train de déportation.
Dans le camps de la mort, Guido veut tout faire pour éviter l'horreur à son fils. Il invente une histoire pour lui : il s’agit en fait d’un grand jeu d’aventure. Les gagnants recevront le jouet préféré de Giosué, un char d’assaut. Guido va transformer pour Giosué tous les événements du camp en éléments du jeu : la harangue d’accueil du SS devient l’annonce des règles du jeu, la fonderie le lieu où l’on fabrique le char, le numéro tatoué leur numéro d’inscription, tous ceux qui disparaissent de la chambrée ont été éliminés du jeu. À l’occasion d’une visite de sélection, Guido retrouve un ancien client, le Dr Lessing, qu’il avait connu quand il était serveur, et qu’il aidait à résoudre devinettes et rébus. Grâce à lui, il est promu serveur pour un repas des familles des officiers du camp.
Bientôt, l’approche des soldats alliés provoque panique et fusillades dans le camp. Guido met Giosué à l’abri dans une cache. Déguisé en femme, il part à la recherche de Dora. Il ne la trouvera pas mais se fait arrêter et disparaît, sans doute fusillé derrière un mur. Le camp est libéré par les Américains. Gosué sort de sa cachette quand il n'y a plus de bruit comme lui avait dit son papa, et trouve son cadeau devant lui : un véritable char d'assaut gagné pour de vrai, grâce, croit-il, aux mille points accumulés dans le jeu. Fou de joie de cette victoire, il monte alors dedans et sur la route, il retrouve sa mère.
En portant le même numéro de matricule que le barbier juif du Dictateur, Benigni établit sa filiation avec Chaplin qui avait su rire du régime nazi dès 1942. Chaplin affirma néanmoins plus tard que s'il avait connu l'existence de la Shoah peut-être n'aurait-il pas choisi d'en rire. Benigni en prenant le risque de transplanter sur le terrain comique la tragédie la plus terrible du XXe siècle en amoindrit-il l'horreur ? En amoindrit-il les armes à fourbir contre sa résurgence toujours possible ? Comme parvient-il à émouvoir et à faire rire ?
Le rire permet à Guido d'affirmer son refus de se laisser abattre par la souffrance et d’affirmer l’invincibilité de son moi dut-il en mourir. Guido n'a peur de rien, le rire le préserve comme le cyanure préservait les combattants de La condition humaine d'abandonner leur dignité face à la mort sous la torture. Giosué, très intelligent est aussi à l'âge où l'on croit encore aux contes de fées et son père table de cette innocence pour le préserver de l'horreur. Il n'y a pas déni de la réalité pour l'enfant celle-ci viendra une fois sortie du camp. Son père y est mort, traumatisme également insupportable et c'est sa mère qui là sur la route va prendre le relais.
Le camp d'extermination n'est pas précisément situé ce qui permet de ne pas attenter à la mémoire des survivants. L'horreur reste hors champ, tout juste, sortant du brouillard, une accumulation de cendres vient-elle évoquer les chambres à gaz. Le film peut ainsi bien se donner comme une fable, un conte moderne et non un film historique. Le narrateur l'avait annoncé d’entrée : "Cette histoire est simple, pourtant elle n’est pas facile à raconter. Comme un conte elle est douloureuse, comme une conte elle est pleine de merveilleux et de bonheur. Ainsi de la rencontre de Guido et Dora, dans uen splendide nature printanière : le premier se présente en "prince Guido » appelle la seconde "Princesse". Et c'est au sein de ce monde merveilleux que vont intervenir les puissances maléfiques de l'horreur nazi.
Jean-Luc Lacuve le 15/01/2005
La Vie est belle raconte l’histoire d’une famille de juifs toscans ou plutôt d’une famille “mixte” déportée dans un camp. Pourquoi vous êtes-vous intéressé à un sujet aussi différent de ceux de vos précédents films ?
Je ne me suis jamais demandé si cette idée était semblable ou différente de celles de mes autres films. J’ai seulement senti qu’elle me plaisait énormément, qu’elle me bouleversait. Je pourrais même dire que ce n’est pas moi qui suis allé chercher cette idée, mais que c’est elle qui est venue me chercher. Un jour je l’ai trouvée sur moi et depuis ce moment-là, elle ne m’a plus quitté… J’ai pensé à Trotski et à tout ce qu’il a enduré : enfermé dans un bunker à Mexico, il attendait les tueurs à gages de Staline, et pourtant, en regardant sa femme dans le jardin, il écrivait que, malgré tout, la vie est belle et digne d’être vécue. Le titre est venu de là… Rire nous sauve, voir l’autre côté des choses, le côté irréel et amusant, ou réussir à l’imaginer, nous aide à ne pas être réduits en miettes, à ne pas être écrasés comme des brindilles, à résister pour réussir à passer la nuit, même quand elle s’annonce très très longue. Dans ce sens, l’on peut faire rire sans blesser personne : l’humour juif est téméraire.
Vous saviez qu’il s’agissait d’un sujet délicat. Cela ne vous a pas freiné… Bien sûr que si. Quand on tombe amoureux on a toujours peur, et pour aimer il faut du courage. Quand cette idée s’est emparée de moi, comme une illumination, une révélation, j’ai immédiatement reculé. Une réaction de peur, comme pour me défendre. Mais je tenais à cette idée, qui m’empêchait même de dormir, et c’était un sentiment si fort que la peur a disparu. Je n’ai jamais songé à faire une reconstitution exacte. Prenons la première partie : l’Italie de 1938 n’est pas minutieusement reconstituée. Un historien crierait probablement au scandale… Il en est de même pour le camp. C’est une idée - au sens quasi platonicien - de camp, l’idée d’une antre du Mal, d’une antre du monstre. Comme dans un conte pour enfants.
Donc, “La Vie est belle” n’est pas une reconstitution historique mais une fable dans laquelle l’histoire entre comme un matériau ?
Il ne faut rien y chercher de réaliste. Il n’y a rien de plus puissant et de plus terrible que d’évoquer la terreur. Comme dit Edgar Poe, si, parvenu au bord du précipice, on ne regarde pas, l’horreur est incommensurable. Si on la montre, elle devient telle qu’on la montre. D’après ce que j’ai lu, vu et ressenti dans les témoignages des déportés, je me suis rendu compte que rien ne pouvait approcher la réalité de ce qui s’est passé. Comment montrer de façon réaliste ce que je n’ai même pas le courage de dire ? C’est si inconcevable qu’il est presque facile de faire croire que tout cela n’était qu’un jeu. Primo Levi en parle dans “Si c’est un homme”. Il décrit l’appel du matin dans le camp. Tous les détenus sont nus, immobiles., et Levi regarde autour de lui en se disant : “Et si ce n’était qu’une blague, tout ça ne peut pas être vrai…” C’est la question que se sont posés tous les survivants : comment cela a-t-il pu arriver ?
Fuir le réalisme, n’est-ce pas trahir la réalité ?
A chaque fois que l’on écrit, il s’opère une trahison. L’artiste trahit parce qu’il doit choisir un style, trier la réalité, éliminer des choses, suivre une narration. J’ai aussi pensé à cette belle phrase de Keats : “Ce n’est pas ce qui est vrai qui est beau, c’est ce qui est beau qui est vrai.” Quand une chose est belle, elle devient réelle. Si le film est réussi, et j’espère qu’il l’est, le camp devient vrai.
Comment qualifier le personnage que vous incarnez dans le film ?
Dans le film, je suis antifasciste, non seulement au fond de mon coeur, mais aussi physiquement : dans ma façon d’apparaître, on comprend que je ne peux pas être fasciste, parce que mes sourcils, mes incisives, mon ventre sont antifascistes ! Je représente la liberté totale, la générosité. Et également l’enfance.
Vous avez lu de nombreuses oeuvres de la littérature yiddish. Guido ne se rapproche-t-il pas de la figure du “schlemiel” ?
Non. J’ai eu la chance de côtoyer la littérature juive à travers Shalom Aleichem, ou Isaac Bashevis Singer, longtemps mon auteur préféré. Mon film “Le petit diable” était un peu inspiré de Singer : le petit diable, comme disait le personnage joué par Walter Matthau, était un dibbouk, un diablotin farceur… Mais là, je voulais créer un juif qu’on ne puisse pas identifier à des signes précis, mais qui soit comme moi. Je voulais que le spectateur se demande : “Pourquoi est-ce qu’ils ont pris Benigni ?”, comme si on pouvait m’attraper moi aussi. Celui que j’ai créé est un juif intégré, assimilé, qui vit sa vie, qui ne s’occupe pas de politique, qui fait son travail, et dont la vie est tout d’un coup brisée par une hache, comme c’est arrivé dans la réalité. Un personnage avec lequel tout le monde puisse s’identifier.
Comment est née l’idée du père protégeant son fils ?
Quoi de plus beau, quoi de plus émouvant, qu’une histoire d’amour avec un enfant ? A la base, il y a le principe d’éviter le traumatisme aux enfants, de protéger la pureté. Le sentiment le plus ancien, le plus grand et le plus profond que les hommes puissent posséder. Mais il y a aussi le fait que les enfants doivent savoir, et dans le film, comme dans un conte, c’est comme si l’enfant vivait à travers mon regard. Quand je meurs, c’est comme s’il savait tout. Pour le personnage de Giosuè, j’ai choisi l’âge que Conrad définit comme celui de la “ligne d’ombre de l’enfance”, l’âge où l’on comprend tout mais où on peut aussi croire qu’il s’agit d’un jeu. Giosuè a probablement tout compris… Après avoir écrit le scénario, j’ai lu un livre qui s’appelle “L’Enfant de Buchenwald”, et qui raconte une histoire très semblable. Ce qui m’a effrayé, c’est que la réalité est parfois surprenante, et quand on invente les situations les plus abominables, on découvre qu’elles ont existé.
Comment vous êtes-vous documenté auprès des associations juives, comme le CEDEC de Milan ? Quel a été l’apport des historiens avec lesquels vous avez travaillé, comme Marcello Pezzetti, et aussi des anciens déportés qui sont cités au générique ?
Leur apport a été enthousiasmant et émouvant. Au début j’avais très peur que les gens soient méfiants. Me présenter, dire: “Je suis Roberto Benigni, je veux faire un film sur les camps d’extermination…” - c’est d’ailleurs ce qui s’est passé ! J’ajoutais tout de suite : “C’est un film, un artiste doit prendre des libertés”. Ils m’ont mis en garde : ils m’ont dit, par exemple, qu’un enfant ne pouvait pas survivre dans un camp d’extermination. Mais, d’un autre côté, ils ont aussi compris que je voulais qu’ils ne se sentent pas blessés par le film. Et je crois qu’ils ont senti dans mon désir de raconter cette histoire une telle puissance, un tel amour qu’il leur était difficile de me dire non. Des rescapés sont venus sur le tournage et Marcello Pezzetti, qui est un historien de la déportation, a veillé à ce qu’il n’y ait pas d’erreurs trop grossières. Mais soyons clairs, si j’avais mis un nom où une référence précise à un camp italien, allemand ou polonais, c’est à ce moment-là, d’un point de vue historique, qu’on aurait pu me dire : “Non, ce n’était pas comme ça”.
Plusieurs déportés ont expliqué que dans les camps l’humour les avait aidés à survivre. Dans vos recherches, en avez-vous parlé avec des survivants ?
J’ai vu un documentaire intitulé “Memoria”, auquel a participé Marcello Pezzetti, et il y a dedans des témoignages qui sont très amusants. Le peuple juif a quasiment inventé l’humour. Ça fait partie de leur ADN ! Mais, bien que je sois un comique, dans le film il n’y a plus d’humour à partir du moment où j’entre dans le camp. A ce moment-là, le film devient tragique.
Le film est clairement construit en deux parties. Et la première a pour fonction d’installer le climat de conte de fées, de montrer que Guido est un personnage poétique qui peut reconstruire la réalité…
C’est l’histoire des personnages qui est divisée en deux, mais pas le film. Dans la deuxième partie, mon personnage et celui de Nicoletta Braschi sont exactement les mêmes que dans la première partie, mais ils se trouvent dans une situation extrême : celle d’un camp d’extermination, ils réagissent donc en conséquence. Mais le film est aussi et surtout cela : l’histoire d’une famille heureuse qui soudain, en n’ayant commis aucune faute et sans aucune raison, est jetée dans l’horreur. Tout comme malheureusement cela arrivait à l’époque.
Le film est aussi une histoire d’amour…
Oui, Guido meurt parce qu’il part à la recherche de sa femme. Et l’amour pour sa femme est très fort dans le personnage : il parle sans cesse d’elle, voudrait la revoir. Comme dans “Maus”, de Spiegelman, cette bande dessinée où les juifs sont des souris et les allemands des chats. Un chef-d’œuvre absolu, une œuvre à mettre au rang des grands romans. Dans “Maus”, le personnage cherche toujours sa femme, c’est une histoire d’amour extraordinaire.
La Vie est belle rappelle aussi que les persécutions contre les juifs n’ont pas eu lieu uniquement avec l’arrivée des Allemands, mais qu’en Italie elles existaient avant. Il semble qu’il y ait en Italie une occultation de ce passé antisémite et raciste. Le film est-il aussi une réaction à ce tabou de l’histoire italienne ?
Les historiens ont là-dessus des avis divergents. Le fascisme était une chose épouvantable. Mais il est facile de le dire après coup : moi, je voulais aussi le présenter comme une clownerie, un cirque stupide. Il n’y a pas de haine dans mon personnage. Mais quand Guido arrive chez son oncle, et croise les trois voyous, ceux qui vont ensuite peindre le cheval en vert, il est clair que c’est à cause d’eux, de leurs “plaisanteries” que Guido sera déporté. Quand le fascisme a permis, comme il l’a fait à Trieste, à Florence, dans de nombreuses villes, de faire des razzias dans les bars, de casser les vitrines et de frapper impunément les juifs, c’était les étudiants qui faisaient ça. Ils pissaient sur les tables, ils faisaient ce qu’ils voulaient dans tous les lieux où il y avait des juifs et ils n’étaient pas punis. Ce n’était pas permis par la loi, mais par le gouvernement. On disait à l’époque : “Ils s’amusent, ce n’est rien”. Mais c’est justement ce genre de choses qui effraye le plus parce que cela conduit à la barbarie.
Le film est un appel à se souvenir de cette escalade ?
Avant tout, le film est un film. Si ensuite ceux qui l’ont vu se demandent comment tout cela a pu arriver, ce serait magnifique. Nous ne devons pas oublier, mais je ne voudrais pas que cela devienne un simple slogan. Qui a dit que ces horreurs ne sont propres qu’au nazisme ? Elles peuvent toujours se reproduire. Elles se sont répétées récemment, par exemple en Bosnie. Il faut regarder le visage que prend aujourd’hui ce qu’on appelait autrefois le nazisme.
Quel accueil a eu le film en Italie, parmi les juifs et les anciens déportés ?J’avais très peur. Nous avons fait une avant-première pour la communauté juive de Milan, devant tous les rescapés et les anciens déportés. Et pour un comique qui est habitué à voir les gens s’esclaffer quand la lumière s’allume, de voir tous ces gens dans le silence total, qui pleuraient et qui venaient m’embrasser, ça m’a donné à moi aussi envie de pleurer. C’était un moment très fort, je n’ai jamais eu ce type de réaction à aucun de mes films. La chose qui m’a le plus ému c’est qu’une famille de juifs italiens a planté en Israël des arbres en mon honneur et en celui de Nicoletta Braschi.