La vie privée de Sherlock Holmes

1970

Genre : Policier

(The private life of Sherlock Holmes). Avec : Robert Stephens (Sherlock Holmes), Colin Blakely (Docteur Watson), Christopher Lee (Mycroft Holmes) Geneviève Page (Gabrielle Valladon), Irene Handl, Stanley Holloway. 2h05.

Sherlock Holmes s'ennuie : cela fait plusieurs semaines qu'il n'a pas eu d'affaire à éclaircir. Son ami Watson essaie par tous les moyens de le divertir. Ils acceptent une invitation aux Ballets Russes, mais quelle n'est pas la stupeur de Holmes quand il découvre qu'il a été convié pour faire un enfant à la première ballerine !

Un soir, un cocher dépose au domicile de Holmes une femme qu'il vient de sauver de la noyade : Gabrielle Valadon prétend qu'on a voulu l'assassiner. Elle est à la recherche de son mari, un ingénieur, qui a disparu. L'adresse indiquée sur les lettres de M. Valadon ne mène qu'à une maison vide... Les investigations de Holmes le conduisent en Écosse, et malgré les menaces de son frère, Mycroft, membre du gouvernement, il arrive à Inverness, sur le Loch Ness, accompagné de Watson et de Gabrielle.

C'est là que se trouve le nœud de l'affaire. Alors qu'ils se promènent sur le lac, leur barque est renversée par un monstre. Nullement découragé par cette effrayante aventure, Holmes retourne au Loch-Ness la nuit suivante et réussit à pister l'animal : il s'agit d'un sous-marin expérimental ! Après la découverte de l'engin, Gabrielle est démasquée par Mycroft : elle est une espionne allemande qui se servait de Holmes pour voler les plans de l'invention. Holmes et Watson rentrent à Londres, alors que Gabrielle est reconduite à la frontière.

Scène clé : tout juste arrivés à Inverness, Sherlock, Gabrielle et Watson parcourent la magnifique campagne écossaise pendant que se déploie la musique lyrique de Miklos Rosza. Celle-ci est pourtant fréquemment recouverte par de discordants sons de cornemuses échappés des châteaux visités.

Message essentiel :L'intelligence ironique et l'humour froid, qualités propres à Billy Wilder sont aussi celles du héros de Conan Doyle. Il était logique que leur rencontre ait lieu. Sans être l'adaptation d'une aventure de Sherlock Holmes, cette vie privée s'inspire de la saga du grand détective avec une fidélité aussi affectueuse que narquoise

Wilder s'est pourtant rarement montré aussi pessimiste. Se replaçant dans le contexte historique de son enfance dominé par la suprématie viennoise et la lutte des empires, il semble nous dire que la beauté des décors et de la reconstitution historique (signés Alexandre Trauner) sont la seule jouissance possible. Il retrouve peut-être ainsi le tempérament de Gutav Klimt qui, juste avant guerre, s'éloigne d'une avant-garde qu'il trouve sclérosée pour se consacrer à la peinture intimiste ou de paysage.

Rosiers sous les arbres, Gustav Klimt ,1905 Huile sur toile, 110 x 110 Musée d'Orsay, Paris

 

La Dame au boa de Plumes, Gustav Klimt ,1898 Huile sur toile, 75x 75 cm Historisches Museum der Stadt, Vienne

L'intelligence ne sert en tous les cas à rien car percevoir les signes du mal ne l'empêchera pas d'arriver. Le monde s'embrasera bientôt dans la première guerre mondiale suite à l'assassinat de l'archiduc, héritier de l'Autriche Hongrie (allusion discrète aux anarchistes poseurs de bombe dans la deuxième séquence) et les machines de guerres modernes seront construites aussi bien par les Allemands que par les Anglais.

Sherlock Holmes est un détective qui ne cherche pas à rétablir le bon droit de la société mais un privé en quête d'une jouissance toute personnelle. Celle-ci passe par la rencontre d'un adversaire à sa taille qui lui permette d'affûter son intelligence. En l'absence de ce challenge, Sherlock joue du violon ou sombre dans la drogue.

Sherlock Holmes, comme plus tard Ichabod Crane dans Sleepy Hollow, est affublé d'un cerveau qui tourne à vide, accumulant indices et déductions sans jamais parvenir à la plénitude d'une vérité ou d'un accord avec le monde. (A cinq ans, en observant attentivement la maison des voisins, Sherlock avait déduit que les enfants n'étaient pas apportés par la cigogne mais par la sage-femme…dans sa sacoche)

La première séquence du film découvrant les effets personnels de Holmes (plaque du 221 bis Baker Street, casquette, menottes mais aussi partition musicale et seringue pour héroïne) rend parfaitement compte de ce personnage paré d'atours mais dépourvu de corps.

La seconde séquence, burlesque, où Sherlock refuse la proposition d'être père en évoquant une homosexualité manifestement fausse, confirme cette mise à distance de toute forme de sexualité.

>Reste alors à sombrer dans la drogue … avant qu'intervienne enfin l'héroïne

Les indices vont alors se multiplier (les chiffres dans la main, la boite aux lettres avec ses traces de patins à glace, les canaris, la pompe à air, les nains..) qui seront autant de prétextes à partir en voyage et à visiter des lieux nouveaux. Les moments d'harmonie et de bonheur du film sont bien sur dans cette quête. Mais celle-ci ne produit pas de vérité. La veuve éplorée n'était qu'une espionne allemande et le submersible, refusé par la reine, est abandonné aux espions pour leur servir de cercueil.

L'amour ne se "concrétisera" qu'au moment de l'éloignement, le "auf vidersehen" en morse de l'ombrelle.

L'absence de violence de Holmes et son échec le rangent du côté des victimes : les canaris, les femmes et les nains et l'oppose à la massivité de Watson, à la rigidité de son frère Mycroft et à l'inflexibilité des japonais qui fusilleront Lady von Offmansthal.