La beauté des choses

1995

Thème : Erotisme

(Lust Och Fägring Stor). Avec : Johan Widerberg (Stig), Marika Lagercrantz (Viola), Tomas Von Brömssen (Kjell), Karin Huldt (Lisbet), Nina Gunke (Mère de Stig), Kenneth Milldoff (Père de Stig), Bjorn Kjellman (Sigge), Frida Lindholm (Olga). 2h05.

1943. Alors que ses camarades sont très occupés à parler de sexualité, un trouble s'installe entre Stig, jeune lycéen et son professeur Viola. Stig est attiré par cette femme belle et mature, Viola aime chez Stig sa jeunesse et son innocence. Ils deviennent vite amants. Mais Stig rencontre fortuitement Kjell, le mari de Viola, représentant de commerce, alcoolique et fantasque. Une étrange relation d’amitié va naître entre eux...

La beauté des choses est une initiation adolescente difficile. L'érotisme en est la force principale mais elle est contrariée par le mensonge puis la haine vécue avec l'être aimé, la douleur de perdre un frère et celle de la séparation avec une fille qui l'aime sincèrement. Au final pourtant, Stig conservera le goût de l'art, initié à la musique par Kjell, et de la connaissance, volant les dictionnaires de l'école catholique dont il est indument chassé.

Une éducation érotique

Si, comme tout ses camarades, Stig est travaillé par les interrogations sexuelles, c'est sur le mode trivial du langage masculin : longueur du sexe qui exclu les juifs, hors concours ; durée de l'acte sexuel ; différence entre orgie et partouze. Rien à voir avec le choc émotionnel ressenti par Stig à la vue de la jambe de Viola, de sa nuque, de ses baisers sous les combles, de son effeuillage chez elle et de l'amour dans les draps blancs. Ainsi, comme dans Le diable au corps (Claude Autant-Lara, 1947) ou Un été 42 (Robert Mulligan, 1971) l'érotisme fait passer d'un coup de l'enfance à l'adolescence.

Mais Stig est confronté rapidement à un choix adulte. Trop mature pour se sentir désormais à l'aise dans son costume de groom qu'il est obligé de porter comme vendeur d'esquimaux, il aspire aussi à sortir de la clandestinité amoureuse et du partage de Viola à laquelle il demande de divorcer de Kjell. La pusillanimité de Viola, qui profite de la gentillesse et de la grandeur d'âme de Kjell, finit de le détourner d'elle. Il lui préfère sa camarade Lisbet avec qui le sexe est à la fois plus pur et espiègle (première rencontre amoureuse dans l'espace fermée des emboitements ne bois du cheval d'arçons). Mais cet amour pur, Lisbet y mettra fin en découvrant l'attachement sexuel continu entre Stig et Viola ; laissant Stig de nouveau seul.

Viola, devant la menace d'être abandonnée, s'en prend en effet à son amant et le fait redoubler, prétextant qu'il est trop souvent absent alors qu'elle l'avait incité à se se reposer après l'amour. Stig se révolte face à cette trahison mais alors qu'il aurait l'occasion de faire éclater un scandale public lors de la remise des prix de fin d'année dont il est exclu, il préfère aller voler les dictionnaires encyclopédiques de l'école catholique qu'il veut désormais quitter

Une éducation artistique et intellectuelle

On retrouve en effet beaucoup de Widerberg dans La Beauté des choses. Kjell est un représentant de commerce alcoolique, tout comme le père que joue Keve Hjelm dans Le quartier du corbeau. Kjell adore la musique classique, un amour qu’il transmet à Stig, le jeune garçon. C’est une thématique connue chez Widerberg ; dans Le Péché suédois, c’est le garçon bourgeois qui fait écouter de la musique classique à la fille sans éducation ; dans Adalen 31 (1969), c’est la femme du directeur de l’usine qui apprend à Kjell, le fils d’ouvrier, à apprécier la peinture des impressionnistes.

Widerberg est un rebelle, issu d’un milieu très modeste. Il était autodidacte et avait trouvé tout seul le chemin vers l’art, la littérature et la musique. Son rêve était que la classe ouvrière s’élève, pas seulement matériellement mais qu’elle arrive également à avoir accès à la culture. La première scène érotique du film à d'ailleurs lieu dans la salle de classe lorsque Stig cherche un mot dans le dictionnaire, "médiocre" dont deux définitions sont données d'abord par Viola puis par lui : "d'aptitude modérée, se dit dune personne aux compétences moyenne" ; ce qu'il ne veut pas être et "travail sans valeur particulière"... ce que n'est évidemment pas le film de Widerberg.

Connaissance des choses et érotisme

Un film testamentaire

Dernier film de Bo Widerberg qui sera fauché par un cancer en 1997, La beauté des choses est certainement le film qui lui tenait le plus à cœur. Tourné à Malmö, sa ville natale du sud de la Suède, il repose sur un scénario qu'il écrivit lui-même L’histoire se déroule dans le passé ramenant les souvenirs qu'il pouvait éprouver à 13 ans. Il avait des tourné à Malmö pendant l’été 1963, son deuxième film, Le Quartier du corbeau, qui se déroule en 1936, quand Widerberg avait 6 ans qui est souvent le préféré de ses admirateurs cinéphiles suedois. Le souvenir de de sa jeunesse imprègne La Beauté des choses. L’explosion du sous-marin Ulven (un nom qui veut dire « le loup » en suédois) eut réellement lieu. Ce drame a secoué toute la Suède l’année des 13 ans de Bo Widerberg. Le film français Le diable au corps, de 1947, dans lequel un lycéen vit une histoire d’amour avec une femme mariée plus âgée que lui, avait bouleversé Bo Widerberg qui avait 18 ans à la sortie du film en Suède. Il avait également acheté et lu le livre.

Comme d’habitude avec Widerberg, aucune scène ne fut tournée en studio. Tous les intérieurs sont tournés dans de vrais appartements. Certaines scènes sont tournées dans le collège où Widerberg avait lui-même fait ses études. Déjà dans le titre du film se cache une certaine nostalgie. Le titre suédois est le vers d’un psaume que les enfants chantent pour les fêtes de fin d’année, au mois de juin, dans les écoles suédoises. Widerberg a utilisé la mélodie de ce psaume dans plusieurs de ses films.

Widerberg a longtemps attendu avant de pouvoir réaliser La beauté des choses, qui raconte une histoire d’amour entre un lycéen et sa professeure mariée. Widerberg travaillait sur ce scénario depuis les années 80 mais attendit que son fils soit suffisamment âgé pour le tourner. Mais deux problèmes ont retardé le tournage. Au début des années 90, Johan était une star recherchée pour les rôles d’enfant en Suède. Mais en 1988, il avait coupé les ponts avec son père. Widerberg venait d’abandonner sa famille pour une nouvelle femme ; Michaela Jolin, l’actrice principale du film Victoria que Widerberg avait réalisé en 1979. La séparation avait été très douloureuse et Johan ne voulait plus revoir son père. Le deuxième problème était que Johan n’était pas le seul à ne plus vouloir travailler avec Bo Widerberg. Il était alors de notoriété publique qu’être le producteur de Widerberg, était très compliqué. Widerberg détestait les plannings, car il craignait que ceux-ci n’éteignent sa flamme créatrice. Ses films prenaient en général beaucoup de retard, ce qui coûtait cher. Après Le chemin du serpent en 1986, plus aucun producteur en Suède n’était prêt à produire un film de Bo Widerberg. Tout se débloqua au début des années 90, quand Widerberg rencontra le producteur danois Per Holst. Celui-ci avait gagné la Palme d’or et un Oscar avec Pelle le Conquérant (avec Jörgen Persson, qui avait l’habitude de travailler dans l’équipe de Widerberg, en tant que chef opérateur). Holst était un grand admirateur de Widerberg, et comme il avait l’habitude de mettre en place des coproductions avec la grande maison de production danoise Egmont, La beauté des choses devint le film le plus cher de Widerberg depuis Un flic sur le toit en 1976.

En 1994, quand il fut certain que le film allait se faire, cela faisait six ans que Widerberg essayait de recontacter son fils Johan. Finalement, ils se rencontrèrent pour dîner, et la soirée se termina avec de grands verres de gin. C’était la bonne méthode : Johan finit par accepter le rôle. C’était l’une des choses les plus importantes de ce projet de film, pour Widerberg : les retrouvailles avec son fils.

Le film fut ovationné par les critiques et obtint un large succès auprès du public. Il remporta l’Ours d’argent au festival de Berlin et une nomination aux Oscars comme meilleur film étranger. Après les nominations du Quartier du corbeau et d’Adalen 31, c’était une troisième occasion pour Widerberg de tenter de gagner un Oscar, mais cette fois encore, la statuette tant désirée lui échappa. Per Holst et Bo Widerberg avaient démarré une nouvelle collaboration quand, au début de l’année 1997, Widerberg apprit qu'il avait un cancer à l’estomac. Il disparut le 1er mai 1997, un peu plus d’un an après avoir assisté à la cérémonie des Oscars à Hollywood.

Jean-Luc Lacuve, le 30 janvier 2020

Descriptions de la genèse et de la réception du film reprises du texte de Mårten Blomkvist, biographe de Bo Widerberg, avec la traduction du suédois de Maria Sjöberg sur le dossier de presse réalisé par Malavida