La rivière d'argent

1948

Genre : Western

(Silver River). Avec : Errol Flynn (Mike McComb), Ann Sheridan (Georgia Moore), Thomas Mitchell (John Plato Beck), Bruce Bennett (Stanley Moore), Tom d' Andrea ("Pistol" Porter), Barton MacLane ("Banjo" Sweeney), Monte Blue ("Buck" Chevigee), Jonathan Hale (Spencer), Russell Hicks (Edwards), Arthur Space (Major Ross). 1h44.

Pour avoir brûlé un million de dollars qui risquait de tomber entre les mains des troupes sudistes lors de la bataille de Gettysburg (1863), le capitaine Mike McComb est cassé et chassé de l'armée à la fin de la guerre de Sécession. Son fidele second,"Pistol" Porter, est également renvoyé à la vie civile. Au major Ross qui tenta de le défendre  il déclare alors « Que d’injustices ! Pourtant je ne suis pas aigri mais reconnaissant. C’est une leçon : j’ai désobéi et on me chasse. J’obéirai dorénavant mais à mes lois. Dès maintenant, c’est moi qui mènerai la danse ! »

Toujours sur le campement militaire, McComb essaie pourtant encore de défendre les soldats qu'un aigrefin escroque dans une maison de jeu de fortune. Il en est expulsé sans ménagement. Il se venge alors en reprenant un uniforme de capitaine qui lui permet d'envoyer les soldats prendre possession de la maison de jeu... dont il s'empare d'une partie de l'argent et du matériel dont il compte tirer profit pour ouvrir sa propre maison de jeu.

Désormais sur un navire remontant le Missouri, McComb se dirige vers le Kansas pour installer sa maison de jeu. Sweeney, sachant le jeu illégal dans le Missouri s'est fait délivrer un ordre pour confisquer le matériel de McComb. Il vient  lui demander de remettre son matériel mais  McComb menace de l'abattre, même dans le dos, s'il intervient avant que le navire n'entre dans le Kansas. La frontière est bientôt franchie et McComb fait la connaissance de Georgia Moore qui profite du temps du voyage pour faire la quête au profit des soldats blessés. Séduit par son caractère et sa beauté, McComb lui remet l'argent gagné au poker. Il déchante pourtant bientôt lorsque Georgia prend la tête de tous les chariots de la ville portuaire pour conduire le matériel de la mine d'argent de son mari à Silver City à quinze jours de route. McComb discute alors avec Jacques Spencer, le chef de convoi et passe du temps à perdre au jeu du fer à cheval pour mieux l'inciter à jouer au poker... où il perd l'ensemble de ses chariots, désormais proprieté de McComb. Il laisse Georgia, furieuse, rejoindre Silver City avec Sweeney, non moins furieux, en diligence.

McComb est désormais à la tête d'une florissante maison de jeux et expulse Sweeney qui prétendait faire la loi en ville. Stanley Moore, propriétaire d'une des principales mines d'argent de la région veut lui racheter les chariot pour transporter son matériel. Comme, il n'a pas de liquidités McComb demande 6 000 actions de sa mine. Il engage alors l'avocat Plato Peck, philosophe et alcoolique, comme conseiller juridique. McComb se lance dans les affaires. Comme la mine de Stanley a besoin de se développer pour  extraire plus d'argent, il le finance contre un tiers des actions de la mine.

Les mineurs ne sont payés qu'en bons à valoir sur les résultats futurs des mines. Cette "monnaie" ne les satisfait pas et la révolte gronde. McComb réunit les prioritaires, dont le plus important, Buck Chevigee. Disposant de liquidités grâce à sa maison de jeu, il leur propose de créer une banque qui récupérera les bons des mineurs qu'il échangera contre des dollars toute en empochant une commission de 10%. Le président Grant en visite officielle le charge de transmettre son message aux propriétaires des environs : il faut accélérer la production d'argent pour que les Etats-Unis soient solvables vis-à-vis de l'étranger.

McComb approuve le projet de Stanley Moore d'aller prospecter un nouveau filon en se gardant de lui révéler qu'il vient d'apprendre que ses alentours sont infestés d'indiens en guerre. Beck, qui a compris ce meurtre déguisé, se saoule pour lui dire qu'il se comporte comme le roi David envoyant sciemment à mort le mari de Bethsabée qu'il convoite. Il l'enjoint de prévenir Moore immédiatement. Quand McComb au matin veut avertir Moore, il est top tard. Il part à sa recherche et ne ramène que son cadavre.

Quelques temps plus tard, McComb qui s'est fait construire un palais dans le désert, donne une grande réception en compagnie de Georgia qu'il a épousé. Beck, complètement ivre, l'insulte de nouveau devant tout le monde. C'est à partir de ce moment que pour McComb les ennuis commencent. Un consortium, le Groupe de l'Ouest, s'est crée pour le ruiner, suscitant des retraits en masse dans ses banques tout en mettant les mineurs au chômage. McComb décide de vendre un maximum de ses biens pour sauver sa banque mais son entêtement suicidaire déplaît à Georgia qui le quitte.

Beck brigue maintenant le poste de sénateur. Il déclare à McComb que, défenseur du peuple avant tout, il luttera aussi bien contre lui que contre le groupe de l'ouest. Les mineurs envahissent la banque, inquiet pour leur argent. McComb ordonne qu'on les paie et accepte ainsi sa banqueroute.

Alors qu'il prononce un discours électoral dans une tribune en plein air, Beck est abattu par les hommes de Sweeney, à la solde du Groupe de l'Ouest. McComb promet à sa femme de s'employer à réaliser les denieres volontés de Beck qu'ils ont recueillis de celui-ci mourant : remettre tout le monde au travail. McComb avec les mineurs en masse se bat contre les hommes de Sweeney. Il lui évite le lynchage pour le remettre aux autorités. McComb avoue à sa femme qu'il a perdu là une belle occasion de se débarrasser de Sweeney en le tuant. Elle lui répond en riant qu'il ne changera jamais

La rivière d'argent marque la septième et dernière collaboration d’Errol Flynn avec son deuxième réalisateur de prédilection après Michael Curtiz : Raoul Walsh, avec qui il avait déjà tourné dans La charge fantastique (1941), Sabotage à Berlin (1942), Gentleman Jim (1942), Du sang sur la neige (1943), Saboteur sans gloire (1944), Aventures en Birmanie (1945).

L'exceptionnel pouvoir de séduction de Flynn, malgré un vieillissement prématuré du à ses excès de boisson, accentue la complexité de son personnage. La Rivière d’argent dresse en effet le portrait d’un antihéros cynique et arriviste.  Le film est ainsi moins un western au sens strict (les transparences sont d'ailleurs très maladroites) qu’un conte moral sur les excès du capitalisme sauvage quand il s'oppose à l'intérêt collectif.

Mike McComb, chassé de l’armée décide de n’obéir qu’à ses propres règles et devient un homme d’affaires sans scrupule. Il est prêt à tuer un homme dans le dos, à mettre en coupe réglée la ville dont il possède la salle de jeu et bientôt la banque et à mettre au chômage les mineurs, victimes d'un conflit dans lequel ils n'ont aucune part.

Une dimension tragique est aussi à l'oeuvre lorsque McComb épouse la femme du rival qu’il avait conduit à la mort, tel le roi David amoureux de Bethsabée comme le rappelle Plato Beck. L'amour entre Mike et Georgia, très atypique dans le cinéma hollywoodien est pourtant bien réel en dépit du chemin tortueux qui les y conduit. Georgia pardonne le meurter par omission de Mike quand elle finit par le comprendre à son retrour à Silver city et ne le quitte que parce qu'il s'entête dans un combat perdu d'avance. Elle sera à l'origine de sa rédemption lorsqu'ils décident tout deux de suivre la voie tracée par Plato Beck : la défense de l'intérêt collectif du pays.

La dimension politique du film, les effets pervers et les limites de l’individualisme et du carriérisme encouragés par le système américain, n’occulte pas le lyrisme et l’énergie habituels de Walsh qui a peut-être vu Citizen Kane (Orson Welles, 1941). McComb aurait pu devenir Citizen McComb, se faisant construire un palais de marbre en plein désert et abandonné ensuite par tous. Le personnage principal expérimente les limites de sa misanthropie et de sa cupidité pour finalement, grâce à l'amour, transcender son mépris pour la société et comprendre l’importance de ses responsabilités morales devant la communauté.

Jean-Luc Lacuve, le 3 novembre 2019.

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