La piste des géants

1930

Genre : Western

(The Big Trail), co-réalisé avec Louis R. Loeffler. Avec : John Wayne (Breck Coleman), Marguerite Churchill (Ruth Cameron), Elmer Brendel (Gussie), Tully Marshall (Zeke), Tyrone Power Sr. (Red Flack), David Rollins (Dave Cameron), Ian Keith (Bill Thorpe), Charles Stevens (Lopez), Ward Bond (Sid Bascom). 2h05.

Deux mauvais garçons sans scrupules, Red Flack et Lopez, ont été engagés pour convoyer une caravane d'émigrants du Missouri à l'Oregon. Breck Coleman, un trappeur qui connaît bien la région et entretient des relations amicales avec les Indiens, se joint aux émigrants. Breck soupçonne Flack et Lopez d'être les assassins d'un de ses amis trappeurs récemment détroussé.

Le long voyage commence. Breck se lie d'amitié avec Zeke et rencontre la jolie Ruth Cameron, que courtise Thorpe, un individu sans foi ni loi. Breck se révèle indispensable et plein de ressources : il évite des combats avec les Indiens, trouve de l'eau dans le désert, chasse et pêche avec efficacité. Sa rivalité avec Thorpe ne cesse de croître, ainsi que l'animosité de Red à son égard. Zeke sauve Breck en tuant Thorpe, qui avait tenté de l'assassiner.

Une fois la caravane arrivée à bon port, Breck se lance à la poursuite de Flack et de Lopez, qui se sont enfuis. Après des mois de recherches, il les retrouve. Lopez est mort gelé dans la neige. Quant à Flack, Breck le tue d'un jet de poignard. Il part rejoindre Ruth Cameron, qui l'attend dans une vallée fertile. 

Dès le milieu des année 30, l'Amérique ne croit plus au succès des gangsters et en fait des héros de tragédie. Les fantastiques années 20 inaugure ainsi la seconde phase du film de gangster, figure déchue du rêve américain. Un ancien soldat, James Cagney, fait de la contrebande d'alcool. Au faîte de sa réussite il est détruit par le crack boursier. Le dernier plan, un long travelling arrière, accentue le caractère tragique du personnage, il meurt sur le porche d'une église, soutenu par son amie dans la posture de La piéta.

Les fantastiques années 20

Dans une Amérique en proie à la crise et à la prohibition (1919-1933), le gangster apparaît au début des années 30 comme une alternative possible à la vie terne et miséreuse de nombreux spectateurs. Certes, les metteurs en scène prennent en général grand soin de les décrire comme des psychopathes : ainsi E.G. Robinson dans Little Cesar (Mervyn LeRoy, 1931) où James Cagney qui écrase un demi pamplemousse sur le visage de sa compagne dans L'ennemi public (William Wellman, 1931) et vire dans la folie totale dans L'enfer est à lui (Raoul Walsh, 1949) ou encore Paul Muni dans Scarface (Howard Hawks, 1932) décri comme incestueux, immature et irresponsable.

Pourtant, le déchaînement de la violence, dans une société rongée par le crise, est bien le souhait rentré d'une grande part de la population. En 1931, cinquante films de gangsters vont trouver leur public.

Les victimes d'une société hypocrite

En 1939, Eddie est d’abord une victime. Dès premières images de guerre à sa mort avec cette pietà sur les marches de l’église. C’est d’abord, dans les tranchées, avec George et Lloyd avec lesquels il fraternise mais qui porte en eux les développements futurs ; témoin cette scène dans laquelle Lloyd refuse de tirer sur un ennemi trop jeune (comme il refusera plus tard d’être complice de crimes), alors qu’avec une délectation visible, George (Bogart lui-même, en passe de triompher dans les films noirs) n’hésite pas : il sera le tueur et le traître sans états d’âme. Les rôles sont ainsi distribués, et ne varieront pas.

Eddy est victime d’une guerre prétendument pour la démocratie, victime ensuite d’une société qui ne veut plus voir ses soldats revenants et les condamne au chômage, victime enfin d’une prohibition absurde qui conduit les hommes à la clandestinité. Ce qui est mis en accusationpar Walsh c'est l’hypocrisie généralisée, la corruption et la violence qu’elles entraînent " Nous sommes finis", dit Panama réduite à chanter dans un bouge. Seul Lloyd l’honnête s’en tire, mais pour cela il faut qu’Eddie se sacrifie en une rédemption tardive.

Jean-Luc Lacuve, le 3 novembre 2019