L'homme qui n'a pas d'étoile

1955

Genre : Western

(Man Without a Star). Avec : Kirk Douglas (Dempsey Rae), Jeanne Crain (Reed Bowman), Claire Trevor (Idonee). 1h39.

Vers 1890. Dans une petite ville du Wyoming, Dempsey Rae et Jeff Simson, son protégé, sont engagés par Strap Davis pour travailler dans un ranch. Sous l'influence de Dempsey, Jeff apprend vite à se servir d'un pistolet.

Le ranch appartient à une femme séduisante, Reed Bowman, qui a l'intention d'engraisser 5 000 têtes de bétail sur les terres fertiles de la région. Cette décision n'enchante guère Dempsey : lorsqu'un éleveur se montre un peu trop gourmand, cela finit toujours par la pose de barbelés sur la prairie et par des bagarres.

Reed laisse ses vaches vagabonder sur les herbages du voisin, Cassidy, qui décide donc de poser des barbelés. Dampsey, jadis blessé par des barbelés, s'y oppose. Reed Bowman engage Steve Miles comme tueur à gages. Dempsey donne sa démission.

Mais Reed garde Jeff à son service comme garde du corps... Décidé à quitter la région, Dempsey se réfugie quelques jours chez Idonee, une femme de moeurs légères qui a élu domicile dans la ville voisine. Mais la bande de tueurs de Steve Miles fait irruption et lui inflige une sévère correction qui réveille ses instincts belliqueux.

Bientôt rejoint par Jeff qui vient lui dévoiler le plan de Miles, Dempsey évite que les vaches arrachent les barbelés. Il refuse une récompense et s'en va chercher l'aventure loin des barbelés : "Qui sait ? Qui sait" pour l'homme qui n'a pas d'étoile ?"

Sont présents ici les thèmes de prédilection du western : le duo féminin (la femme énergique et la prostituée), le duo masculin (cow-boy expérimenté et jeune paysan en quête de sensations), le retour d'un passé douloureux (les barbelés sur la prairie), et enfin, la fin d'un monde, celui de l'ouest sauvage (thème classique du western crépusculaire).

Deux femmes

Reed Bowman, la patronne du ranch, retrouve la sensualité des grandes héroïnes de Vidor, Ruby Gentry ou Pearl Chavez dans Duel au soleil. Elle est l'impitoyable patronne du grand ranch est venue de l'est avec sa salle de bain, grand élément de comédie dans le film. Elle mène les hommes à la baguette, engage des tueurs et utilise ses charmes comme instrument de management. Elle est l'incarnation de la civilisation en marche.

Jeanne Crain s'oppose à Claire Trévor qui joue Idonee un peu de la même façon que la même année Joan Crawford (Vienna) et Mercedes McCambridge (Emma Small) s'affrontaient dans Johnny Guitar (Nicholas Ray, 1955). Idonee reprend un personnage proche de la Dallas qu'elle interpretait dans La chevauchée fantastique (Ford, 1939). Elle est cette fois une prostituée qui a réussi et a su devenir une femme respectée.

Deux hommes

L'homme qui n'a pas d'étoile, ce n'est pas contrairement à ce que l'on pourrait penser, un tireur d'élite qui refuse la place de shérif mais un homme libre qui n'a aucune étoile dans le ciel pour le guider. Ddempsey le dit à Jeffe en contemplant le crépuscule. Jeff regarde l'étoile polaire pour guider le troupeau vers le au Nord, mais lui même ne seconfie qu'au pas du cheva quil conduit où bon lui semble, vers les garnds espace loin des barrières et des barbelés.

La composition de Kirk Douglas, tragique mais toujours empreinte d'ironie, est absolument époustouflante. Il est Dempsey Rae, tabassé en pleine rue par Steve Miles et ses hommes. Entravé, ensanglanté, humilié, il gît dans la poussière, image vivante de la détresse. Alors qu'il se redresse, son revolver traverse soudain le champ pour tomber devant lui. Il se retourne pour découvrir Idonee. Elle apparaît, forte et digne, dans une superbe contre-plongée. En lui lançant son revolver à la figure, elle lui rappelle ce qu'il est, un homme, "une espèce ancienne". Il est l'homme qui arrache sa chemise pour révéler ses cicatrices, celui des explosions régulières de violence qu'il tente de maîtriser. En fuite de lui-même, il tente de se perdre dans l'abjection avant de trouver la rédemption au service des autres.

Il a du mal à entrer dans le monde civilisé, à renoncer à sa liberté de sauvage pour une place dans la communauté. Rae est le cousin du Tom Doniphon L'homme qui tua Liberty Valance (John Ford). Comme lui, il sait que son temps est passé, il accepte de se sacrifier en s'engageant à sa façon, violente et libre, pour faire triompher le progrès, un progrès tiède, tranquille et peu enthousiasmant à ses yeux, mais un progrès réel qui voit le triomphe du droit sur la loi de la force, qu'elle soit physique (Steve Miles le tueur à gage), ou économique (avec la belle Reed Bowman). Il passe le témoin à son jeune protégé et lui laisse l'avenir. La fin du film le voit repartir à cheval, solitaire, comme on dit dans Il était une fois dans l'Ouest : « Rien ne peut nous intéresser ni la terre, ni la fortune, ni la femme ». Rae s'éloigne vers un pays qui n'existe déjà plus mais il est du moins en paix avec lui-même.

Il est aussi témoin d'un changement, regardant arriver les nouveaux propriétaires avec curiosité et incrédulité (scène de la salle de bain), mais surtout, derrière les apparences, avec appréhension. Comme s'il souhaitait que ces changements n'aient aucun effet, qu'il puisse glisser sur les événements comme il l'a toujours fait. L'attitude parfois clownesque de Kirk Douglas n'est pas un exercice de cabotinage mais plutôt une armure qu'il se construit contre les modifications profondes d'une société en voie de modernisation rapide

Western crépusculaire

Borden Chase écrit le film après avoir travaillé sur Duel au soleil (King Vidor, 1946), La rivière rouge (Howard Hawks, 1948) ou Les affameurs (Anthony Mann, 1952). Man without a star, c'est une histoire de vaches, donc un vrai western. Deux clans s'affrontent. Les gros éleveurs veulent faire paître leurs troupeaux librement en « open range » puisque les pâturages, propriété de l'État, sont censés être utilisables par tous. Les petits propriétaires sont contraints de protéger certaines portions avec des barbelés et d'utiliser leurs armes quand les gros troupeaux menacent de tout raser.

King Vidor trouve là à exprimer la dimension tragique d'hommes et femmes aux caractères plus grands que nature, entiers, aux ambitions démesurées, aux passions sans limites, à la force morale inébranlable. Les grands studios hollywoodiens sont néanmoins à cette époque en pleine mutation. Les acteurs stars s'émancipent et deviennent producteurs. De fait le film est à l'initiative de Kirk Douglas, hyperactif, qui repère quelques semaines de libres entre deux tournages. En 1954, Vidor est tout à la fois un réalisateur toujours prestigieux mais en fin de carrière et se préoccupe surtout de son adaptation de Guerre et paix qu'il tournera l'année suivante. Douglas, lui, c'est la nouvelle génération débordante d'énergie. Entre les deux hommes, le travail sera électrique. Douglas est pressé par le temps et veut réussir un bon western de série à petit budget. Vidor, sans doute nostalgique des fastes de Duel au soleil, entend prendre son temps. A l'arrivée, Vidor reniera plus ou moins le film tandis que Douglas en revendiquera la paternité.

Sources : Analyses de Vincent Jourdan sur Inisfree et sur lumiere.org

-Pour conduire le troupeau, tu prends une étoile et tu la suis.
- Il faut être sur que c’est la bonne. Je crois que je ne saurais jamais prendre la bonne étoile
- Mais si, tu verras, chacun de nous doit suivre  une étoile
- Et vous qu’elle est la votre ?
- Moi ? Je n’ai jamais réussi à en choisir une pour moi. Je crois que je suis comme le bétail qui va au nord en flairant l’herbe
_ Qu’est ce qui vous attire au nord ? Est ce qu’il n’y a plus d'herbe au Texas ?
- Il y en a des tas petit,   hautes et fines et si grasses, des rives du Pecos jusqu’à celles du Sabine. Et puis ils ont mis des fils de fer. Avant c’était des prairies libres et à perte de vue aussi loin que tu pouvais faire aller ton cheval ou faire marcher le bétail, il n’y avait rien pour t’arrêter et rien pour t’enfermer
- C’est pour ça que vous êtes parti ?
- Oui et voila de nouveau leurs barbelés devant moi.