Tsai Ming-liang

Né en 1957
19 films
   
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histoire du cinéma : résistance des corps

I -Mise en scène

Durant plus de trente ans, de Tous les coins du monde (1989) à Autumn days (2022), Lee Kang-sheng incarne différentes variations autour d'un même personnage, Hsiao-kang. Acteur principal de 18 des 19 films tournés par Tsai Ming-liang durant cette période. Lee Kang-sheng est d'abord un jeune révolté nonchalant dans Les rebelles du Dieu néon (1992) ou Vive l'amour (1994) puis père de famille (Les chiens errants, 2013), moine bouddhiste (Voyage en occident, 2014) avant d'aborder la vieillesse solitaire (Days, 2020). Lee Kang-sheng, muse et alter ego du cinéaste, lui permet ainsi d'explorer son rapport au monde qui passe d'abord par les sensations.

La complicité de l'acteur et du réalisateur dépasse ainsi celle de François Truffaut avec Jean-Pierre Léaud (7 films en 20 ans, de 1959 à 1979). Celui-ci fait une apparition dans Et là-bas, quelle heure est-il ? (2001) dans une séquence parisienne alors que, parallèlement, Lee Kang-sheng regarde un extrait des 400 coups en vidéo. Et, alors que Jean-Pierre Léaud connaît une vieillesse difficile, Tsai Ming-liang lui offre un rôle conséquent dans Visage (2009) permettant à l'acteur de connaître un second souffle. Dans La rivière (1994), Tsai Ming-liang confie le rôle de la cinéaste à Ann Hui, figure majeure de la nouvelle vague Hong-kongaise, de dix son aînée et ayant alors douze films à son actif.

Dans Goodbye, Dragon Inn (2003), Tsai Ming-liang rend hommage à Dragon Inn (1967), réalisé par King Hu, cinéaste né en Chine populaire qui tourna ses films entre Taïwan et Hong Kong. Il fut l'instigateur d'un renouveau du wu xia pan, un genre qui mélange arts martiaux et combats au sabre, en y introduisant un côté fantastique (sauts aériens disproportionnés, chorégraphies martiales millimétrées…).

Tsai Ming-liang connait ainsi parfaitement sa place au sein du cinéma mondial. Il vient en effet après la génération de la Nouvelle vague taïwanaise (Hou Hsiao-hsien, Edward Yang, Wan Jen) et, dans de longues scènes maniéristes, il est surtout attentif à la saisie des bruits (les plans durent rarement moins de 30 secondes, commencent souvent vidés de personnage mais, en revanche, ou serait-ce en conséquence, on plonge illico dans un environnement incroyablement sonore qui va du ronron indifférent et agaçant de la ville, d'un cinéma ou d'un appartement jusqu'au grincement de chaussures) des gestes (ouverture des robinets) ou des signes (un poil, une cigarette, un gâteau...).

Tsai Ming-liang pousse à l'extrême le cinéma moderne de l'exploration de sa propre intimité qui ne va pas sans une certaine difficulté à communiquer pleinement avec les autres. Les moments de fusion en sont d'autant plus troublants (d'un échange de caresses aux rapports sexuels les plus crus), alors que son cinéma plein d'une sagesse toute orientale exploite le thème de l'eau qui coule associée à la vie qui va. La structure de ses films est ainsi beaucoup moins complexe que chez Antonioni (Blow-up ou profession reporter par exemple).

 

II -Biographie

Chinois de Malaisie, Tsai Ming-liang vient étudier le cinéma à Taiwan puis débute sa carrière artistique comme producteur dans le milieu théâtral. Il travaille ensuite pour la télévision où il réalise deux moyens métrages Tous les coins du monde (1989) et Les garçons (1991) centrés sur les adolescents à Taipei, leurs problèmes, leur délinquance, leurs errances. Comme au début de la nouvelle vague taïwanaise, ses films sont produits par le studio officiel du Kuomintang, le Central Motion Pictures Corporation (CMPC).

En 1994, Tsai Ming-liang signe Vive l'amour, réflexion sur l'amour qui le révèle et lui apporte un Lion d'Or à Venise. Trois ans plus tard, le sulfureux drame La rivière, Prix Spécial du Jury à Berlin, confirme la singularité de son oeuvre, le film mettant en exergue de manière troublante l'incommunicabilité entre les êtres, thème qui sera récurrent chez le cinéaste. En 1998, il aborde le fantastique avec l'hypnotique The Hole, qui vient confirmer son statut de grand du cinéma asiatique.

En 2001, Tsai Ming-liang réalise Et là-bas, quelle heure est-il ?, un drame à la fois poétique et burlesque qui donne une nouvelle dimension à son cinéma puis Goodbye, Dragon Inn (2003), un film poétique qui se démarque par sa grande tristesse. En 2005, le cinéaste démontre un nouvelle fois sa capacité à surprendre avec La saveur de la pastèque, comédie musicale torride et sulfureuse dans laquelle les Taïwanais se perdent dans le sexe et... la saveur de la pastèque. Viennent ensuite I don't want to sleep alone (2007), projections mentales d'un paralysé ; Visage (2009), épopée burlesque d'un jeune cinéaste homosexuel venant en France tourner un film produit par Fanny Ardent et ayant pour acteur principal Jean-Pierre Leaud, interprète d'Hérode et Laetitia Casta dans le rôle de Salomé. Les chiens errants (2013) obtient le Grand prix du jury au festival de Venise. L'expérience minimaliste des marcheurs du Voyage en occident (2014) se poursuit avec Sand (2018) et avec des acteurs qui finissent par dormir dans Ni de lian (2018). Avec Na ri xia wu (2015), Tsai Ming-liang converse pendant plus de deux heures avec son acteur-muse Lee Kang-sheng. The Deserted: VR (2017) est une histoire de fantômes en réalité virtuelle produit par le HTC Virtual Reality Content Centre. Avec (Days, 2020), Lee Kang-sheng aborde une vieillesse solitaire sans pathos et avec sensualité.

Bibliographie : Camille Nevers dans Les Cahiers du cinéma n°490, avril 1995.

 

FILMOGRAPHIE :

Courts-métrages :
2002 : Le pont n'est plus là. Avec : Kang-sheng Lee, Chen Hsiang-Chyl. 20'. Dans la frénésie et l'agitation des rues de Taïpei, capitale ultra-moderne de Taïwan, une jeune femme désorientée erre à la recherche d'un pont au-dessus d'une avenue encombrée par la circulation.
2004 : segment Aquarium du documentaire Bem-Vindo à São Paulo.
2007 : segment It's a Dream de Chacun son cinéma
2009 : Madam Butterfly (Hu die fu ren). Avec : Pearlly Chua. 35'. Une interprétation libre de l'opéra : une femme délaissée par son amant est propoulsée dans la cohue de la gare des bus de Kuala Lumpur.
2012 : segment Walker (Est-ce que Hong Kong est belle, étrangement belle ou bellement étrange ? 27') de Beautiful 2012 , No Form, Meng you, Jingang Jing.
2013 : segment Walking on Water de Nan fang lai xin. ; Xing Zai Shui Shang(30')
2015 : Wu wu mian (34'); Xiao Kang (2') ;Qiu Ri (24')
2019 : Light(18')
2021 : The Night (19') , Yuèliàng shù (34'), Wandering (34')
2022 : Autumn days (24' avec : Lee Kang-sheng, Teruyo Nogami)

Longs-métrages:

1989 Tous les coins du monde

 

Téléfilm. Avec : Lee Kang-sheng (Ah-tong). 1h14.

Portrait d'une famille de revendeurs de tickets de cinéma.

   
1991 Les garçons

 

(Xiao hai ). Avec : Lee Kang-sheng. 0h50.

Un jeune fait chanter un enfant. Ses parents doivent le payer.

   
1992 Les rebelles du dieu néon
(Qing shao nian nuo zha). Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-kang), Chen Chao-jung (Ah Tze), Jen Chang-bin (Ah Bing), Lu Yi-ching (La mère), Tien Miao (Le père), Wang Yu-wen (Ah Kuei). 1h46.

Hsiao-Kang passe son temps à traîner les rues de Tapeï à pied ou en mobylette. Un jour, alors qu'il circule exceptionnellement dans le taxi de son père, il remarque un jeune homme à moto. Ce dernier, agacé par les coups de klaxon de son père, casse le retroviseur de la voiture. Hsiao-Kang le retrouve quelque temps plus tard et le suit. Le jeune abandonne sa moto pour rentrer dans un hôtel. Kang-seng en profite pour détruire l'engin. Il laisse une signature sur le sol: "Le prince Ne Cha est passé." Plus tard, il tombe amoureux de Ah Tze, la fille que fréquente le voyou.

   
1994 Vive l'amour
(Aiqing wansui). Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-kang), Yang Kuei-mei (May), Chen Chao-jung (Ah-jung), . 1h58.

Hsiao-kang travaille dans les pompes funèbres. Il vend des niches de colombariums, destinées aux cendres des morts. Mei est agent immobilier. Elle vit seule dans un petit appartement. Ah Jung vend des vêtements pour femmes dans la rue, la nuit, en face d'un grand magasin. Par une nuit d'hiver, ils s'introduisent tous les trois dans un appartement vide, au coeur de Taïpei. Ils sont ensemble. Ils sont seuls...

   
1995 Wo xin renshi de pengyou

 

Téléfilm. 0h56.

Documentaire sur le sida à Taiwan. Conversation du directeur d'hopital avec deux malades dont l'identité est gardée secrète.

   
1997 La rivière
(He-Liu). Avec : Lee Kang-sheng, Tien Miao, Chen Chao-jung, Chen Shiang-chyi, Chang Long. 1h55.

Xiao-Kang, un jeune homme desoeuvré, accompagne une amie sur le tournage d'un film. La la réalisatrice filme une scène où un cadavre flotte dans un fleuve pollué. Mécontente du mannequin utilisée, elle demande au jeune homme de le remplacer. Il accepte. Le lendemain Xiao-Kang ressent de violentes douleurs dans la nuque et aux épaules. Aucun médecin ni guérisseur ne parvient à le soulager de son mal. Son père, qui hante en cachette les saunas gays de la ville, voit sa chambre inondée par une fuite d'eau qu'il n'arrive pas à endiguer. Le père et le fils vont alors se trouver confrontés à leur intimité la plus secrète…

   
1998 The hole
(Dong). Avec : Lee Kang-sheng (L'homme du dessus), Yang Kuei-Mei (La femme du dessous), Tien Miao (Un client), Lin Hui-Chin (Un voisin), Tong Hsiang-chu (Le plombier). 1h35.

A la veille de l'an 2000, dans une ville taïwanaise une épidémie oblige les gens à quitter la ville. Les effets de cette épidémie transforment les gens et leurs attitudes qui deviennent proches de celles des cafards .

   
2001 Et là-bas, quelle heure est-il ?

(Ni neibian jidian). Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-kang), Chen Hsiang-chyi (Hsiang-chyi), Jean-Pierre Léaud (L'homme), Tien Miao (le père), Cecilia Yip (La fille de Hong Kong). 1h56.

Hsiao-Kang est vendeur de montres dans les rues de Taipei. Quelques jours après la mort de son père, il fait la connaissance d'une jeune femme, Hsiang-Chyi, qui part le lendemain pour Paris. Hsiao-Kang, oppressé par le comportement de sa mère qui attend le retour de l'esprit de son mari défunt, se réfugie dans le souvenir de cette jeune femme et tente de se rapprocher d'elle en réglant toutes les montres et horloges de Taipei à l'heure de Paris. Là-bas, à Paris, Hsiang-Chyi connaît un séjour empli de vicissitudes qui semblent mystérieusement liées à Hsiao-Kang.

   
2003 Goodbye, Dragon Inn

(Bu san). Avec : Lee Kang-sheng (le projectionniste), Kiyonobu Mitamura (le touriste japonais), Chen Shiang-chyi (l'ouvreuse), Tien Miao ( le vieil homme) Kuei-Mei Yang (la femme spectateur). 1h20.

Dernière séance avant que cette salle de cinéma ferme ses portes pour toujours. Un jeune homme d'origine japonaise entre à l'intérieur du cinéma pour se protéger de la pluie.

   
2005 La saveur de la pastèque
(Tian bian yi duo yun) Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-kang), Chen Shiang-chyi (Shiang-chyi), Lu Yi-Ching, Yang Kuei-Mei. 1h54.

La sécheresse est telle à Taïwan que la population est invitée à remplacer l'eau par le jus de pastèque. Elle, c'est en volant l'eau des toilettes publiques qu'elle subsiste. Lui, c'est en montant sur les toits, la nuit tombée, qu'il tente de se rafraîchir en se baignant dans les citernes d'eau de pluie....

   
2007 I don't want to sleep alone
(Hei yan quan) Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-kang), Norman Atun (Rawang), Chen Shiang-chyi (Chyi), Pearlly Chua (la patronne). 1h55.

Kuala Lumpur. Un sans-abri, Hsiao-kang, est attaqué un soir dans la rue. Ses agresseurs lui prennent tout ce qu’il a et le laissent pour mort. Des travailleurs bangladeshi le trouvent et le transportent chez eux. Il est alors pris en charge par l’un d’eux, Rawang, qui le soigne sur le vieux matelas qu’il vient de récupérer.

   
2009 Visage
Avec : Lee Kang-sheng (Hsiao-Kang) Fanny Ardant (la productrice), Laetitia Casta (Salomé), Jean-Pierre Léaud (Antoine). 2h21.

Un réalisateur Taïwanais tourne l'histoire du mythe de Salomé au Musée du Louvre. Bien qu'il ne sache ni l'anglais ni le français, il tient absolument à confier le rôle du roi Hérode au comédien Jean-Pierre Léaud. Pour donner à ce film quelque chance, la production confie le rôle de Salomé à une top-modèle de renommée internationale. Mais dès le début du tournage, les problèmes s'accumulent...

   
2013 Les chiens errants
(Jiao you). Avec : Lee Kang-sheng, Lee Yi-Cheng, Lee Yi-Chieh. 2h18.

Un père et ses deux enfants vivent en marge de Taipei, entre les bois et les rivières de la banlieue et les rues pluvieuses de la capitale. Le jour, le père gagne chichement sa vie en faisant l’homme sandwich pour des appartements de luxe pendant que son fils et sa fille hantent les centres commerciaux à la recherche d’échantillons gratuits de nourriture....

   
2014 Le voyage en occident
Documentaire. Avec : Lee Kang-sheng (Le moine), Denis Lavant (Dragon). 0h52.

Un moine bouddhiste traverse la ville agitée de Marseille à pas extrêmement lents, reprenant des marches rituelles bouddhistes vieilles de plusieurs siècles.

   
2015 Na ri xia wu

Avec : Lee Kang-sheng, Tsai Ming-liang. 2h17.

Conversation entre Tsai Ming-liang et l'acteur réalisateur Lee Kang-shen.

   
2017 The Deserted: VR

Avec : Chen Shiang-chyi, Lee Kang-sheng, Lu Yi-Ching, Yin Ivy. 0h55.

Une histoire de fantômes en réalité virtuelle produit par le HTC Virtual Reality Content Centre

   
2018 Sand

Avec : Lee Kang-sheng. 0h52.

Poursuivant sa série des marcheurs après Le voyage en occident (2014), Tsai capture à nouveau Lee Kang-sheng qui marche lentement avec 16 longs plans au parc d'accueil des visiteurs de Zhuangwei Sand-Dune à Taïwan, dans le cadre de l'exposition organisée par Tsai.

   
2018 Your face

(Ni de lian). Avec : Lee Kang-sheng, Tsai Ming-liang. 1h16.

Composé d'une série de portraits d'individus pour la plupart anonymes (les passionnés de Tsai reconnaîtront sans aucun doute sa muse de longue date, Lee Kang-sheng), le film minimise le texte et réduit le contexte au strict minimum. À leur place, la beauté et les imperfections de chaque visage occupent le devant de la scène. Accompagnés de la bande-son de Ryuichi Sakamoto, les sujets de Tsai parlent, regardent et, à un moment donné, dorment. La caméra enregistre tranquillement le poids de l'histoire personnelle et l'expérience accumulée au de travers chaque pore et chaque crevasse. Le visage humain devient un sujet d'intrigue dramatique.

   
2020 Days
(Rizi). Avec : Lee Kang-sheng (Kang), Anong Houngheuangsy (Non). 2h07.

Kang vit seul dans une grande maison, Non dans un petit appartement en ville. Ils se rencontrent, puis se séparent, leurs jours s'écoulant comme avant.