(Johnny got his gun). Avec : Timothy Bottoms (Joe Bonham), Kathy Fields (Kareen), Marsha Hunt (la mère de Joe), Jason Robards (Le père de Joe), Donald Sutherland (Le Christ), Eduard Franz (le colonel Tillery), Diane Varsi (L'infirmière). 1h51.
1971

Joe Bonham est un jeune Américain plein d’enthousiasme qui décide de s’engager pour aller combattre sur le front pendant la Première Guerre mondiale. Au cours d’une mission de reconnaissance, il est gravement blessé par un obus et perd la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat. On lui ampute ensuite les quatre membres alors qu’on croit qu’il n’est plus conscient.

Joe reprend connaissance, il est allongé sur un lit d'hôpital. Peu à peu, il tente de localiser les vibrations qu'il perçoit autour de lui et réalise qu'il est sourd, qu'aucun membre ne répond plus à ses désirs et qu'il ne possède plus d'organe sensoriel.

En apparence Joe est, en effet, réduit à l'état larvaire : il n'est plus qu'un corps sans membres totalement enrubanné. Sa survie est un miracle. Seul son cerveau n'a pas été atteint et il revoit en songe son départ pour la guerre, sa première et dernière nuit avec Kareen. Joe devance l'appel de six mois et s'engage dans l'armée américaine impliquée dans le premier conflit mondial. Le dernier jour de la guerre, il est très gravement blessé par un obus.

Tous les médecins le considèrent incapable de raisonner et ne prolongent sa vie que pour aider la science à progresser. Lui voudrait faire admettre qu'il vit, qu'il pense, mais ne possède plus aucun moyen de communiquer avec l'extérieur.

Une infirmière plus sensible que les autres parvient à établir un dialogue en traçant des lettres sur sa poitrine. Joe lui répond en morse grâce à sa tête qu'il bascule en avant. D'étranges sentiments naissent entre les deux êtres. Joe demande à être exhibé dans les foires comme un monstre mais on le lui refuse. Il supplie alors l'infirmière de mettre un terme à ses souffrances mais elle échoue dans sa tentative et Joe est condamné à vivre en restant un secret pour le monde.

Trumbo signa avec Johnny got his gun sa seule réalisation, adaptant un roman qu'il avait lui-même écrit en 1938 alors que la guerre se prépare en Europe. Trente-deux ans plus tard, il produit une œuvre moins engagée contre toute forme de guerre qu'était le livre mais qu'il veut toujours aussi sensible en recourant aux moyens du cinéma.

Du roman au film

Le titre est vraisemblablement conçu comme une réponse à la chanson propagandiste Over there, de Henry Burr and the Peerless Quartet, diffusée en 1917 dans le but d'encourager l'engagement des citoyens américains lors du premier conflit mondial et dont les premières paroles sont : "Johnny get your gun, get your gun, get your gun". Le livre fut publié pour la première fois le 3 septembre 1939, soit deux jours après le début de la Seconde Guerre mondiale, et devint célèbre par son caractère ouvertement antimilitariste. Il montrait la violence et l'absurdité de la guerre dans un contexte où l'Amérique rechignait fortement à s'impliquer dans le conflit. Après l'épuisement des exemplaires en librairie, sa réédition ne survint qu'à la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1945. Dans sa préface de 1959, Trumbo précise que le livre fut de nouveau épuisé pendant la guerre de Corée et qu'il résista à la tentation de retoucher à son livre alors que tant de choses avaient changé depuis 1938.

En 1964, Dalton Trumbo et Luis Bunuel travaillent à une adaptation du roman au cinéma mais le producteur mexicain fait faillite et le projet est abandonné. Il n'est toutefois pas nécessaire de créditer l'auteur de La voie lactée de la scène avec le Christ qui se trouve bien dans le roman, juste avant l'arrivée de la nouvelle infirmière de jour.

Dans sa préface du 3 janvier 1970, Trumbo souligne que les chiffres ont déshumanisés même la guerre la Vietnam. Néanmoins il y aurait trois fois plus de mutilés à 100% que durant la seconde guerre mondiale. L'urgence de produire un film lui apparait donc clairement. Après avoir essuyé plusieurs refus des grands studios, Trumbo rencontre un producteur indépendant, Simon Lazarus, qui décide de prendre le risque de le financer. Lorsque le film sort en 1971, il connaît un formidable retentissement critique et public et remporte le Prix Spécial du Jury au Festival de Cannes.

Un film de cinéma plus sensible qu'antimilitariste.

Si l'action se situe durant la première guerre mondiale, il s'agissait en 1939 d'un plaidoyer antimilitariste violent et presque insurrectionnel contre l'entrée en guerre des Etats-Unis. Le livre se termine ainsi par un dernier appel de Johnny :

"Nous sommes des hommes de paix nous sommes des hommes abonnés au travail et nous ne voulons pas qu'on nous cherche querelle. Si vous détruisez notre paix, si vous prenez notre travail, si vous essayez de nous dresser les uns contre les autres, nous saurons ce qui nous reste à faire. Si vous nous dites que nous devons sauver la démocratie dans le monde, nous vous prendrons au mot et, par Dieu et par le Christ, nous tiendrons parole. Nous nous servirons des fusils que vous voulez nous mettre de force entre les mains. Nous nous en servirons pour défendre notre vie. Et le danger qui menace notre existence ne se trouve pas de l'autre côté de la ligne de front, établie sans notre consentement. Le danger se situe à l'intérieur de nos propres frontières ici même à la minute présente nous nous en sommes aperçus et nous sommes payés pour le savoir. Mettez-nous des fusils dans les mains et nous nous en servirons (..) Faites des projets de guerre vous les maitres du monde, faites des projets de guerre montrez-nous le chemin et nous prendrons nos fusils."

En 1971, il s'agit de nouveau d'un plaidoyer pacifiste dirigé cette fois contre la guerre du Viêt-Nam, mais le passage sur le refus de se battre pour sauver la démocratie est enlevé pour en rester, de manière plus générale, au seul refus des guerres inutiles. Le film est ainsi moins, comme il fut pris à l'époque, un réquisitoire contre l'absurdité de toutes les guerres que l'expérience de ce qu'est souvent la guerre : une tragédie.

Voir Johnny got his gun aujourd'hui demeure une expérience inoubliable parce que d'une certaine manière, le spectateur, immobile dans son fauteuil et dans le noir, peut d'autant plus ressentir la voix off de Joe. La bande son est par ailleurs toujours magistrale depuis les bruits des tambours qui rythment les images d'archives auxquels se superpose l'approche de l'obus dans le trou où s'est réfugié Joe. La version française, larmoyante et artificielle, est à fuir.

Le propos principal du film, qui est celui de tout film de guerre, celui de la perte de l'innocence. La guerre est irrémédiablement tragique et conduit à la perte des espoirs portés par les jeunes vies des soldats.

Le film perd un peu son spectateur dans les thématiques annexes qui sont dans le roman : la sagesse des pères et de l'impuissance divine et celle, nouvelle, de l'acharnement thérapeutique. Dans le roman, Joe demandait à être exhibé dans un cirque sur les places publiques pour que son cas serve à faire réfléchir les jeunes hommes. Son plaidoyer final est une façon de résister à la monté de la drogue une fois qu'on lui ait sèchement répondu que sa demande n'est pas prévue par le règlement. Dans le film, la demande de mort est nouvelle et plus encore le fait qu'elle soit refusée, manifestement au grand dam du réalisateur. Trumbo laisse toutefois entrevoir la fragilité psychologique de la jeune infirmière et le terrible carcan moral de l'époque qui rend inflexible l'institution militaire.

Les éléments réunis dans les scènes au passé influent sur le devenir tragique de Joe au présent mais prennent finalement trop d'importance puisque ce sont chacun des retours au présent qui sont les moments les plus forts du film. Ayant pris conscience de tout ce qu'il a perdu, Joe ne peut que demander à mourir.

Trumbo utilise avec brio l'arsenal des moyens cinématographiques. Il utilise le split screen dès le générique. Celui-ci a été popularisé trois ans plus tôt par Richard Fleischer dans L'étrangleur de Boston puis Norman Jewison dans L'affaire Thomas Crown. Le noir et blanc s'impose après le succès du Jour le plus long (1962) mais s'inscrit dans la continuité des images d'archives présentée lors du générique. Les flashes-back sont en couleur. Trumbo reprend le procédé de son ami Otto Preminger dans Bonjour Tristesse (1958) où le présent, terne, est en noir et blanc et les souvenirs, plus sensuels, en couleur.

Jean-Luc Lacuve le 12/06/2014.

 

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Johnny s'en va t'en guerre
Genre: Film de guerre
Thème: Guerre de 14-18