La nuit américaine

1973

Avec : Jean-Pierre Léaud (Alphonse), Jacqueline Bisset (Julie), Jean-Pierre Aumont (Alexandre), Dani (Liliane), Alexandra Stewart (Stacey), Valentina Cortese (Severine), Jean Champion (Bertrand), François Truffaut (Ferrand), Nike Arrighi (Odile), Nathalie Baye (Joelle), David Markham (Dr Nelson), Bernard Menez (Bernard), Gaston Joly (Lajoie), Zenaide Rossi (Madame Lajoie). 1h55.

Aux studios de la Victorine, à Nice, une équipe est réunie pour le tournage d'un film intitulé Je vous présente Paméla : Alphonse (qui incarne un jeune homme retournant dans sa famille avec sa femme anglaise Pamela), a procuré à sa petite amie, Liliane, un emploi de script-girl stagiaire; Séverine (qui joue la mère du jeune homme) est troublée à l'idée que l'acteur qui doit être son mari dans le film est un de ces anciens amants, Alexandre, un séducteur quinquagénaire. Les problèmes s'accumulent pour Ferrand, le metteur en scène : le laboratoire a abîmé une scène de foule; Séverine, qui s'est mise à boire, rate une scène; Stacey, une autre actrice, s'avère être enceinte.

Bertrand, le producteur, se tourmente à propos de la récente dépression nerveuse de Julie Baker, l'actrice hollywoodienne qui doit jouer Pamela et qui vient d'arriver, accompagnée de son nouveau mari, le Dr Michael Nelson. Le tournage commence. Alphonse, que Liliane a quitté pour un cascadeur anglais, est abattu et menace d'abandonner définitivement le cinéma. Pour le faire revenir sur sa décision, Julie passe la nuit avec lui. Le lendemain, Alphonse va tout raconter au Dr Nelson. Julie s'affole, Alphonse disparaît et le tournage ne reprend que lorsque le Dr Nelson est parvenu à réconcilier sa femme avec le jeune homme.

Alexandre trouve une mort tragique dans un accident automobile. Le scénario doit être modifié et la dernière scène au cours de laquelle Alphonse doit tirer à coups de revolver sur son père, est tournée avec une doublure. Le tournage de Je vous présente Paméla se termine. L'équipe se sépare au milieu des adieux et des projets.

La nuit américaine une technique permettant de tourner une scène de nuit en plein jour. C'est à dire de l'art de faire du vrai avec du faux, de produire des effets illusoires. Comme toujours chez Trufaut, on aura donc deux histoires : l'une lumineuse qui raconte la grande aventure du cinéma et l'autre plus tragique et souterraine qui souligne l'extrême solitude du créateur.

Truffaut en Ferrand se filme tendu vers la réussite du film en montrant tout le travail qu'il faut faire pour en arriver là : le dialogue écrit sur le mur parce que l'actrice alcoolique ne sait pas son texte, la pluie artificielle, le chat qui ne veut pas boire le reste du petit déjeuner, les caprices de la star qui exige le beurre en motte, le butane alimentant le feu de cheminée, l'usage du porte-voix pour faire accélérer un passant ou en ralentir un autre.

Selon Michel Chion, la musique emprunte son style à la fois à Bach et à Vivaldi, montage rapide de détails techniques de tournages rythmés par la musique de Delarue, un chœur tragique.

Ferrand rêve toutes les nuits d'un petit garçon marchant, étrangement avec une canne, dans des scènes crépusculaires désaturées à la limite du noir et blanc. Il s'approche d'un cinéma pour y dérober les photos de Citizen Kane comme dans Les 400 coups, Antoine Doinel dérobait celles de Monika.

Ferrand déclare à Alphonse que, comme lui, il ne pourra être heureux que dans l'exercice de son métier et c'est pourquoi il faut s'y adonner. Curieusement Truffaut ne fait pas du metteur en scène un artiste mais un honnête artisan, un professionnel. Ce n'est donc pas un autoportrait bien qu'il l'interprète lui-même… mais avec un sonotone pour marquer la différence. Il ne retient que le côté lisse de sa personnalité, son aspect consensuel tonique, de grand amoureux du cinéma.

Truffaut déclare que la surdité est symbolique du fait que Ferrand est hors la réalité, enfermé dans son univers cinématographique. Truffaut ne plaide pas pour l'autonomie de l'art pas même pour sa supériorité, en dépit de ce qu'affirme Ferrand pour qui le travail est le plus important et les films plus harmonieux. Un des personnages cite ainsi Le carrosse d'or et La règle du jeu de Renoir où il est montré au contraire que l'art et la vie c'est la même chose.

La nuit américaine est tournée aux studios de la Victorine de Nice au moment où ceux-ci connaissent de graves difficultés mais sont encore voués au cinéma. Ensuite ils seront investis par la publicité, par la télévision ou l'audiovisuel. Truffaut déclarait volontiers avoir pensé à Chantons sous la pluie, Huit et demi, Le Schpountz et Les ensorcelés.

Le film dans le film raconte le tournage d'un film au scénario caractéristique des films commerciaux des années 50 (Le beau-père et la bru tombent amoureux l'un de l'autre). Casting hétérogène Jean-Pierre Aumont et Valentina Cortese sur le déclin en 1972 sont censés être des stars sur le tournage de Je vous présente Paméla. En revanche, la jeune chanteuse Dani, extérieure au milieu du cinéma en 1972, joue au premier degré le rôle de la stagiaire maîtresse de Jean-Pierre Léaud, le vilain petit canard ne se sentant pas intégré au milieu du cinéma qui d'ailleurs, de son coté le rejette. Jacqueline Bisset est la star nécessaire à la coproduction internationale de La nuit américaine ; Et Truffaut lui donne exactement ce rôle dans le film : une femme rendue fragile par les désirs qui s'accumulent autour d'elle.

Décrire modestement mais avec une fascination bienveillante le monde factice du cinéma, "une unanimité de façade, un univers de faux-semblants où on passe son temps à s'embrasser, car il faut montrer qu'on s'aime comme dira l'un des personnages du film "(Antoine de Baecque, Serge Toubiana François Truffaut, 1996).

Seule la femme du régisseur, toujours recroquevillée dans un coin du décor ose démythifier ces relations truquées où chacun en fait trop par peur du vide existentiel qui l'oppresse dès que s'éteignent les sunlights des plateaux :

"Qu'est-ce que c'est que ce cinéma ? S'écrie-t-elle. Qu'est-ce que c'est que ce métier où tout le monde couche avec tout le monde ? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment. Mais qu'est-ce que c'est ? Vous trouvez ça normal ? Mais votre cinéma, votre cinéma, moi je trouve ça irrespirable. Je le méprise, le cinéma. "


Source : Un studio se penche sur son passé : La nuit américaine de François Truffaut par René Prédal dans CinémAction n°124. Le cinéma au miroir du cinéma. 2007.