La cravate

Mathias Théry, Etienne Chaillou
2019

Avec : Bastien Régnier, Eric Richermoz, Florian Philippot, Franck de la Personne , Marine Le Pen. 1h37.

Assis dans un fauteuil, le jeune homme lit un récit de vie : le sien, celui d’un jeune militant du Front National. En voix off, les auteurs déroulent ce même fil narratif littéraire, l’illustrant d’images tournées à ses côtés : Bastien a vingt ans et milite depuis cinq ans dans le principal parti d’extrême-droite. Quand débute la campagne présidentielle, il est invité par son supérieur à s’engager davantage. Initié à l’art d’endosser le costume des politiciens, il se prend à rêver d’une carrière, mais de vieux démons resurgissent…

Si on en croit le dossier de presse, la motivation première de Mathias Théry provient d'une première rencontre avec Bastien Régnier pour un film documentaire télévisé sur des jeunes qui votent pour la première fois. Il pense alors que Bastien peut grimper dans la hiérarchie du FN et s'engage dans le film attiré autant que révulsé par la montée des partis nationalistes.

Filmé sur six mois, pendant les campagnes électorales de 2017, ce sont des enregistrements audio parallèles qui servent de base au discours off. Un an plus tard, Bastien est invité à lire, devant la caméra, le texte racontant son histoire et destiné à être la voix off du film.

La caméra ne capte presque rien de la réalité documentaire. Seul le discours off impose une lecture orientée par les a priori des réalisateurs. Ils ne s'en cachent d'ailleurs pas puisque, vers la fin du film, la bouche du narrateur apparait en surimpression derrière l'oreille de Bastien comme pour mieux lui souffler le discours qui le manipule. Il est en effet assez déplaisant de voir tout le film tourner autour du misérable petit secret qu'ils ont débusqué. A 13 ans, stressé par ses parents et ses professeurs, il pète les plombs dans son collège privé du Saint-Esprit, s'empare du fusil de chasse de son père et se prépare à un massacre...le temps de se rendre au collège où ses parents ont prévenu la police. Bastien sera placé un an en famille d’accueil et croisera alors des skinheads dont il subit plus que désire la rencontre.

Le droit à l'oubli que revendique Bastien dans un premier entretien sur cet épisode est bafoué par les réalisateurs qui sauront suffisamment insister auprès de ce gentil garçon pour en faire le cœur de leur démonstration ; le parti du Rassemblement National accueille des enfants frustrés en mal d'autorité auquel il donne un espoir.

Du coup, toute la stratégie du Rassemblement National montrée ici consiste à abuser de la faiblesse des innocents pour les transformer en serviteurs zélés de la cause qui leur permettra peut-être une ascension sociale. L'ambition de départ, montrer l'ascension d'un militant en cadre devient une démonstration par l'absurde. C'est parce que Bastien est trop pur qu'il ne monte pas les échelons au sein du parti. Pour prouver cela seule la voix off vient commenter les images d'un meeting où Bastien est moins dynamique que d'habitude : il aurait découvert quelques jours avant qu’il y a beaucoup d’opportunistes au FN, davantage intéressés par l’argent que par la politique. C'est vraiment lui faire injure que de le croire aussi naïf ! Il est bien plus simple de penser que Bastien se satisfait de son rôle de militant et n'a pas l'ambition que lui souhaiteraient les réalisateurs qui, je le crains, s'en vengent avec des révélations sur sa vie personnelle afin d'éviter au film d'être totalement creux.

Jean-Luc Lacuve, le 29 février 2020