L'adieu à la nuit

2019

Avec : Catherine Deneuve (Muriel), Kacey Mottet Klein (Alex), Oulaya Amamra (Lila), Stéphane Bak (Bilal), Kamel Labroudi (Fouad), Mohamed Djouhri (Youssef), Amer Alwan (Le prédicateur), Jacques Nolot (Le logeur de Lila). 1h43.

Vendredi 20 mars 2015, 1er jour du printemps. Muriel dirige avec son associé, Youssef, un centre équestre entouré d’une belle cerisaie qu'un sanglier vient parfois déranger. Une éclipse totale de soleil obscurcit le jour. Muriel reçoit, pour quelques jours de vacances, son petit-fils, Alex, qui lui a dit partir s’installer au Canada avec sa petite amie, Lila, aide-soignante et familière du centre. Une fois sur place, le jeune homme montre des signes d’impatience et de repli. Voulant lui apporter des fruits, Muriel le découvre en prière et Alex lui avoue être converti depuis quelques mois à l'islam. De fait de venu radicalisé, il manigance un départ secret pour la Syrie, en trio avec Lila, qui doit devenir sa femme, et leur jeune imam, Bilal, dans l’espoir d’y vivre et d’y combattre en accord avec leur foi.

Samedi 21 mars 2015, 2e jour du printemps. Pour mener à bien leur projet de départ, il manque encore 6000 euros à Leila et Alex. Ce dernier subtilise le chéquier de Muriel et imitant la signature de sa grand-mère tente d'obtenir l'argent de la banque mais un délai de 48 heures lui est imposé.

Dimanche 22 mars 2015, 3e jour du printemps. Chez Muriel, les amis sont réunis pour fêter une coupe obtenue par un jeune garçon, familier du centre équestre. Pendant ce temps Leila, Alex et Bilal reçoivent les enseignements d'un imam dans un coin reculé de la campagne. A la fin de la fête, Youssef annonce à Muriel qu'elle a été volée de 6 000 euros et que c'est certainement Alex qui a fait le coup. Muriel le vérifie. Elle recherche alors la lettre que lui avait envoyée un repenti pour une demande d'embauche comme saisonnier. Youssef ayant appris qu'il était fiché S avait refusé. Muriel lui téléphone et va voir Fouad. Muriel invite Alex à manger des champignons et l'enferme dans les écuries.

Lundi 23 mars 2015, 4e jour du printemps : Alex est enfermé. Fouad arrive à la gare où l'attend Muriel qui l'emmène voir Alex. Fouad tente de gagner la confiance d'Alex en ouvrant la porte et en lui montrant qu'il est plus fort que lui. Mais il ne se méfie pas suffisamment et reçoit un coup de pelle qui l'assomme. Alex s'échappe et rejoint Leila et Bilal à l'hôtel. Ils dorment ensemble à l'hôtel. Muriel raccompagne Fouad chez lui. Il lui déclare que tout est perdu

Mardi 24 mars 2015, 5e jour du printemps: Alex, Leila et Bilal prennent le chemin de l'aéroport. Ils sont arrêtés au dernier péage autoroutier. C'est Muriel qui avait prévenu le commissariat. Bilal et Leila avaient déjà été repérés comme radicalisés. Muriel plaide sans y croire pour éviter l'incarcération d'Alex.

Un mois après : Muriel est dans une maison de repos où elle est soignée pour une grave dépression. Youssef vient la sortir. Dans la cerisaie, Fouad vient lui dire bonjour. Il la remercie d'avoir déposé en sa faveur ce qui lui permet de circuler désormais sans entrave. Il lui conseille, d'écrire à son petit-fils. Youssef pense qu'elle ne peut sortir de son apathie mais, à sa grande surprise, Muriel prend enfin la parole et déclare qu'elle va suivre le conseil de Fouad.  Ils se sourient.

La coexistence de l'ombre et de la lumière, envisagée en lien avec l'histoire, est le sujet majeur du cinéma d'André Téchiné. Cette présence de l'ombre et du danger qui fait ressentir de manière plus intense chacun des moments de vie se trouve par exemple dans Les roseaux sauvages (les bords du fleuve et la guerre d'Algérie), Les égarés (la maison dans les bois et l'exode de 40), Les témoins (l'opéra des Noces de Figaro et le sida) ou La fille du RER (le jardin du  pavillon de banlieue et le RER bruyant et inquiétant). C'est ainsi sans doute moins ici les mensonges de Daesh qui intéressent Téchiné que l'observation par la grand-mère du couple rayonnant de son petit-fils et de son amie pris dans les filets d'un destin qu'elle sait mortifère.

Un thème apparent

André Téchiné s'est appuyé sur le recueil d’entretiens Les Français jihadistes (Les Arènes, 2014) du journaliste David Thomson. Il y a peut-être puisé quelques-unes des raisons qui motivent le désir de djihad d'Alex : échec à un examen, fragilité psychologique suite au décès accidentel de la mère, imputé au père parti vivre aux iles avec une nouvelle famille, addiction à Internet ou aux jeux vidéo, rejet de la société matérialiste qui fait tout pour les enfants (joies du poney-club) mais ne donne que des attentions hypocrites aux vieilles personnes.

Mais c'est la soif d'idéal qui domine, le désir de partir faire la guerre en Syrie pour donner un sens à sa vie : celle d'être héroïque sans désir d'être du côté des vainqueurs mais de se comporter avec courage au risque de la mort. Tout juste est-il évoqué une vie de jouisseurs mystiques irraisonnables, capables d'autojustifier mensonges, vols et meurtres comme on en voit un aperçu avec l'arrangement avec la religion auquel consent Lila pour encaisser les chèques volés à Muriel.

Face à cette détermination, le discours, les arguments sont impuissants ; un coup de pelle y met heureusement fin. Mais c'est convaincue qu'il n'y a pas d'autre solution que la mise sous les verrous pour éviter le naufrage idéologique ou la mort que Muriel se décide à dénoncer son petit-fils au commissaire.

Une mise en scène cosmique

La dénonciation elle-même n'est pas montrée car celle-ci aurait sans doute été trop laide. Cette laideur qui entraîne un mois durant Muriel dans la dépression. On aurait été éloigné de la mise à distance d'une situation générale pour en extirper un plan, un moment, une situation génératrice d'émotion. C'est en effet l'élection d'un plan qui est le moteur de la mise en scène de Téchiné, celui des retrouvailles sous l'arbre au bord du lac; celui des chevauchées en scooter pour Lila, à cheval pour Alex; celui de l'attente vaillante chaque nuit du sanglier comme celui de la fin de l'éclipse.

Le film se résout grâce à un nouveau fils, Fouad, qui redonne l'envie du combat et fait de la thématique de "Et la vie continue" le plus beau du cinéma de Téchiné. Un cinéma classique qui confronte des personnages toujours à la recherche du soleil, de la droiture aux  aléas de l'histoire. Une vision bien plus cosmique que celle exigée par la thématique plus prosaïquement de la radicalisation dont La Désintégration (Philippe Faucon, 2011) ou Le ciel attendra (Marie-Castille Mention-Schaar, 2016) nous ont donné de beaux exemples.

Jean-Luc Lacuve, le 5 mai 2019