Django unchained

2012

Genre : Western

Avec : Jamie Foxx (Django), Christoph Waltz (Dr. King Schultz), Leonardo DiCaprio (Calvin Candie), Kerry Washington (Broomhilda), Samuel L. Jackson (Stephen), Don Johnson (Spencer "Big Daddy" Bennett), Walton Goggins (Billy Crash), Franco Nero (Amerigo Vessepi). 2h45.

Quelque part au Texas, 1858, deux ans avant la guerre de Sécession. Le Dr King Schultz, un dentiste ambulant, surgit de la nuit face à deux cavaliers, les frères Speck. Ceux-ci ramènent des esclaves récemment achetés à Greenville au Mississipi. Les cavaliers ne veulent pas, comme il le réclame, lui vendre Django qui l'intéresse pour avoir travaillé dans la plantation Carrucan et être capable de reconnaitre les frères Brittle qui y étaient contremaitres. Comme les frères Speck se font menaçants, Schultz, tue l'un deux et laisse l'autre, Ace, lui signer l'acte de vente de Django avant de livrer Ace à la vengeance des esclaves qu'il encourage à fuir.

Schultz et Django arrivent à Daughtrey où la population n'en croit pas ses yeux de voir un noir sur un cheval. Le barman refuse de servir un noir et Schultz le prie d'aller chercher le sheriff, et non le marshal. Le sheriff survient et Schultz l'abat en pleine rue à la stupéfaction des habitants. Schultz demande alors au barman d'aller chercher cette fois le marshal Tatum auquel il révèle qu'il est chasseur de primes et que leur shérif était recherché.

Schultz et Django poursuivent leur route vers Gatlinburg où Schultz sait trouver les trois frères Brittle et les identifier grâce à Django. Le soir, Django révèle qu'il est marié à Broomhilda von Shaft, une belle esclave de la plantation Carrucan avec qui il avait vainement essayé de fuir. Il raconte comment leur fuite avait été réprimée, comment ils avaient été fouettés par les frères Brittle et marqués au fer sur la joue si bien qu'elle en pouvait plus servir dans la maison. Il n'a qu'un désir, la retrouver. Schultz émigré allemand, est charmé des origines de Broomhilda. Il raconte à Django la légende de Brünhild et lui promet de lui donner un cheval et 25 dollars pour chaque frère Brittle qu'il l'aidera à tuer. Schultz demande à Django de jouer le rôle de son valet et lui permet, en contrepartie de s'habiller comme il l'entend. Et c'est vêtu d'un costume bleu roi digne du petit lord de Fontenoy que Django arrive chez Spencer "Big Daddy" Bennett à Gatlinburg.

Django ne tarde pas à découvrir les frères Brittle et, encore rempli du souvenir horrible de la façon dont ils avaient fouetté Broomhilda, il abat d'une rage froide Elvis et Roger Brittle. Schultz se charge de Big John. Là encore, Schultz convainc Spencer Bennett qu'ils sont dans leur bon droit et qu'il doit les laisser partir.

La nuit, Schultz se méfie et place de la dynamite à la place de l'argent qu'il cachait dans la fausse dent. Il a bien raison : Spencer Bennett attaque avec des membres du Klux-Klux-Klan. Ils dévalent la colline vers la carriole où sont censés dormir leurs futures victimes. Un peu plus tôt, ils s'étaient demandé s'ils devaient utiliser les sacs qui leur couvrent la tête. Il est maintenant trop tard pour bien voir, la carriole explose en tuant la majorité des assaillants. Schultz laisse Django tuer Bennet d'un coup de fusil bien ajusté.

Il lui propose ensuite de faire équipe avec lui jusqu'à la fin de l'hiver, de lui donner le tiers de ses primes pour ensuite partir avec lui délivrer Broomhilda. Django s'habille cette foi d'une gabardine adéquate. Schultz convainc difficilement Django de faire feu sur un chef de gang manifestement repenti qui laboure avec son fils. Mais, durant l'hiver, les deux chasseurs de prime accumulent les prises et Django devient un as de la gâchette.

C'est le printemps et les deux hommes sont prêts à rejoindre Greenville où ils apprennent que Broomhilda est achetée par Calvin Candie, la 4eme fortune du Mississipi. Schultz pense qu'il ne peut pas lui demander d'acheter simplement Broomhilda et élabore un plan plus complexe. Il se fera passer pour un adepte du mandingo, combat à mort entre esclaves. Django sera son homme de confiance, spécialiste de ces combats. C'est ainsi que par l'intermédiaire de Moguy, l'avocat de Candie, Schultz et Django vont chez Amerigo Vessepi, un riche propriétaire qui fait combattre son esclave contre celui de Calvin, Samson. Ce dernier se révèle le plus fort. Après avoir broyé le bras de son adversaire et lui avoir crevé les yeux sur l'ordre de Candie, il l'achève d'un coup de marteau. Le plan de Schultz consiste à se faire inviter à Candiland en proposant à Candie de lui acheter pour 12 000 dollars un champion de mandingo.

Le plan réussit et Django et Schultz suivent la carriole de Candie et de ses hommes qui les emmènent à Candiland. Django prend rapidement l'ascendant sur Schultz et défie Billy Crash, l'un des hommes de candie. Sur le chemin ils font halte là où d'Artagnan, un esclave en fuite, vient d'être repris par les gardes de candie. Comme d'Artagnan ne veut plus combattre et que Django a fait renoncer à Schultz à le racheter, Candie lâche ses chiens sur lui qui le mettent en pièce.

Dans l'immense plantation du puissant Calvin Candie, ils font la connaissance de Clara la sœur de Candie et surtout de Stephen, un esclave qui sert Candie et a toute sa confiance. C'est lui qui fait échouer la vente d'Eskimo Joe et celle de Broomhilda aux conditions souhaitée par Schultz. Celui-ci doit débourser les 12000 dollars. Mais Candie exige une dernière condition : que la vente soit scellée par une poignée de main. Schultz dégoûté par les images indélébiles de la mise en pièce de d'Artagnan et par le petit numéro de Candie sur la servitude des noirs inscrits dans leur crâne ne peut l'accepter. Il se dirige vers candie et le tue. Il est immédiatement abattu alors que Django parvient à s'échapper de la pièce. Il tue la multitude d'hommes venu l'arrêter mais doit se rendre s'il ne veut pas que Broomhilda soit tuée.

La condamnation la plus terrible lui est alors faite finir ses jours dans une mine de charbon. Django parvient néanmoins à convaincre ses geôliers de le libérer en les alléchant avec le magot qu'ils tireront de l'assassinat de dangereux bandits cachés à Candiland. A peine libéré Django tue ses anciens geôliers trop naïfs et fonce vers Candiland. Il retrouve Broomhilda, tue tous les blancs restants et fait exploser le domaine avant de fuir avec sa bien-aimée.

Django unchained est un chef-d'œuvre de violence opératique. Certains reprochent à Tarantino de se complaire dans des situations historiques où la violence est justifiée, ce qui permettrait au spectateur contemporain d'en jouir sans mauvaise conscience. En se plaçant du côté d'un noir victime de l'esclavage, il pourrait ainsi justifier de montrer les pires atrocités. L'argument n'est pas faux. Mais c'est la démesure, l'aspect mythique de la mise en scène qui bloque toute possibilité pour le spectateur de retranscrire cette violence dans sa réalité. Il jouit de chacune de ces irruptions de violence, surpris par les chemins sans cesse nouveaux qu'elle emprunte. La violence, magnifiée par l'écriture, développe ainsi son pouvoir cathartique.

Pour la mettre en scène, Tarantino va jusqu'à falsifier l'histoire. Dans un contexte documentaire réaliste, les derniers temps de l'esclave aux Etats-Unis, il construit le premier héros noir libérateur du western. Tarantino confirme sa place de grand artiste maniériste, celui de la crise de l'image-action, qui en fait une sorte de Michel-Ange du cinéma.

Un héros qui fait face au double registre de la violence

Tarantino met en scène deux types de violence, l'une raisonnable, même si parfois injustifiée, incarnée par Schultz et l'autre, plus terrible par nature, pulsionnelle et incontrôlable, incarnée par Calvin Candie.

Pour Schultz, la violence se déclenche après un moment de virtuosité dialoguée. se situant dans une mise en place statique dont elle surgit comme une conclusion. Elle vient conclure une situation dont il a montré les apories. Schultz utilise parole et violence avec le même cynisme raisonnable : il sait que l'une comme l'autre conduiront à la mort. Ainsi lors de la transaction impossible avec les frères Speck ("Vous me visez réellement ou vous vous laissez entrainer par la dramaturgie du geste"), lors du meurtre du faux shérif qui suit l'explication du métier de chasseur de prime. Ce n'est que lorsqu'elle est la moins justifiée qu'elle est filmée de loin. Ainsi lorsque le père est tué devant son fils. En revanche, elle est montrée de manière sinon réaliste du moins impitoyablement cruelle lorsque les combats surviennent, lors de l'exécution des frères Brittle ou lors du massacre dans la maison puis de l'explosion de celle-ci.

Le film change de registre à l'arrivée dans Candiland. La violence brillante, cynique, cultivée et raisonnable de Schultz laisse place à une violence pulsionnelle, incontrôlable et gratuite. Schultz, dégoûté par les images indélébiles de la mise en pièce de d'Artagnan et par le petit numéro de Candie sur la servitude des noirs inscrits dans leur crâne, court vers le suicide en refusant de serrer la main de Candie. Django échappera de justesse à la torture que s'apprête à commettre Billy Crash.

Django, parce qu'il l'a déjà éprouvée physiquement, supporte mieux cette violence que Schultz. Les éclairs de la violence passée, sur lui-même et Broomhilda, lui étaient revenus aussi dans des flashes mentaux avec le même désir pulsionnel d'en finir. Mais cette violence s'était détournée à son profit en meurtre des frères Brittle. Lucide, Django repousse aussi bien la violence raisonnable de Schultz, auquel il reproche de l'avoir obligé à tuer le fermier, que celle des esclavagistes. Il sait devoir se salir les mains pour retrouver celle qu'il aime et dont l'image ne cesse de l'accompagner. Les apparitions de Broomhilda dans le lac fumant sous la neige ou en robe jaune dans la plantation, les pas de danse du cheval accomplis pour elle marquent une quête dont l'espoir ne se perd jamais. Django se salit les mains mais reste la tête propre. Ce n'est pas le James Stewart des films d'Anthony Mann. Le héros reste moralement épargné par la violence qui l'accompagne.

La construction d'un héros noir de la cause noire

La falsification de l'histoire à l'œuvre dans Inglourious Basterds est prolongée ici par l'invention d'un héros noir capable de porter la libération des noirs de l'esclavage. Le carton, "1858, deux ans avant la guerre de Sécession" lie directement l'histoire racontée ici et la guerre de Sécession qui abolira l'esclavage.

Mais ce ne seront pas ici les nordistes qui porteront le feu mais le nouveau Prométhée de la cause noire qu'est Django. La maison détruite explosant dans un brasier pourrait évoquer le feu volée par Prométhée aux dieux : Django unchained et Prometheus unbound, même combat.

Autre sous-texte littéraire qui donne une épaisseur légendaire à Django : la légende de Brünhild racontée par un allemand qui va permettre à Django de devenir un héros. Dans cette nouvelle légende des Nibelungen, Schultz joue le rôle de Sigmund, le père de Siegfried.

Le grand air du mythe prend ainsi la place de la petite musique de la cinéphilie que Tarantino distille par quelques plans repris du Django réalisé par Corbucci en 1966 : le plan de la femme à sa fenêtre avec les rues boueuses ou le côté grotesque des masques du Klux-Klux-Klan. Il n'y eut jamais de gladiateurs modernes au temps de l'esclavage se battant jusqu'à la mort. Tarantino s'inspire de Mandingo (Richard Fleischer, 1975) où un esclave du nom de Mede est entraîné par son propriétaire pour se battre à mort dans un combat de boxe-catch où tout est permis. Mais plus encore que du film de Fleischer, Tarantino s'inspire de sa suite, Drum (L'enfer des mandingos), de Steve Carver qui sortira un an plus tard. Ce film de blaxploitation popularisera le thème des combats "sportifs" des noirs au temps de l'esclavage. Le terme "mandingo" lui-même désigne un groupe ethnique d'Afrique de l'ouest qui parle les "Manding languages". Au rang des référence cinématographiques, on notera aussi les apparitions de Franco Nero, de Jonah Hill et de Tarantino en cow-boy béta et imprudent (il finit dynamité).

Schultz avait rappelé à Calvin Candie que d'Artagnan est un personnage d'Alexandre Dumas est que celui-ci était noir. Ce qui est plus ou moins vrai puisqu'il était le fils de Thomas-Alexandre Davy de la Pailleterie, mulâtre de Saint-Domingue, premier général ayant des origines afro-antillaises de l'armée française. Tarantino, en construisant un personnage digne du héros de Dumas, mériterait bien lui-même quelques gouttes de sang noir pour magnifier ainsi la légende d'un peuple.

Jean-Luc Lacuve, le 19/01/2013