Rembrandt
1942

François Genton : "Le Rembrandt de Steinhoff est bien plus sombre et violent que Le Rembrandt de Korda réalisé six ans plus tôt. C'est un caractère en formation dans une certaine tradition goethéenne, peu compatible avec la constance de l'affirmation de soi propre au mythe. Le film installe une forte portion d'antisémitisme et d'antiféminisme.

La manière dont Rembrandt justifie sa composition de La ronde de nuit diverge dans les films anglais et allemand : Charles Laughton dit qu'il voulait juste peindre une compagnie en branle ; plus ambitieux, Ewald Balser proclame la prééminence du tout sur la partie, conformément à une tradition holiste bien allemande : "Ce n'étaient pas les individus qui comptaient pour moi, c'était la totalité !". Il est évident que le film de Steinhoff repose sur une analogie entre le destin de Rembrandt et celui du peuple allemand: tenir malgré tout et faire confiance à la volonté qui nous gouverne. Rembrandt est aussi ce que les Allemands ont appelé un Durchhaltefilm, un film pour tenir.

Le mythe résiste au discours totalitaire. Bien loin de la sauvagerie agressive de la race des seigneurs, l'artiste maudit manifeste une attitude sacrificielle qui est ancrée dans la tradition judéo-chrétienne, par laquelle il s'oppose aux bourgeois satisfaits d'eux-mêmes et dénués du moindre talent. Structurellement l'artiste maudit ne parle que pour lui-même : on peut l'ériger, comme le fit Julius Langbehn, en potentiel éducateur des masses, en "empereur caché" mais il est bien peu susceptible de mobiliser la masse à l'instar du führer. Le 8 juin 1942, Goebbels confiait sa déception à son journal. Loin de montrer un peintre "démoniaque et génial", le film ne parvient pas à "percer les mystères de la puissance créatrice" et parlera aussi peu à la masse qu'aux gens cultivés." François Genton

 

 

Source :

François Genton. La biographie de peintre, un genre politique ? Les films Rembrandt d’Alexander Korda (1936) et de Hans Steinhoff (1942) p. 41 à 56 dans Biographies de peintres à l’écran. Patricia-Laure Thivat (dir.). Presses Universitaires de Rennes (novembre 2011). Collection : Le Spectaculaire Cinéma.

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Genre : Drame psychologique

Avec : Ewald Balser (Rembrandt), Hertha Feiler (Saskia van Rijn), Gisela Uhlen (Hendrickje Stoffels), Elisabeth Flickenschildt (Geertje Dierks), Theodor Loos (Jan Six). 1h39.

Thème : Le peintre au cinéma