(1938-1981)
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histoire du cinéma : Image cristal

Glauber Rocha fut l'enfant terrible du cinéma brésilien, le mythe le plus respecté du Cinema Novo et son porte-parole infatigable. C'est la parabole qui caractérise l'aspect expérimental, délirant et moderne de son oeuvre, parabole par laquelle il essaya de résoudre ses problèmes idéologiques et ses équivoques. Forces de mort de l'ordre décadent, de l'impérialisme du côté des oppresseurs et forces de vie, régénération, nouvelle étape historique, dignité à la recherche de force politique chez les opprimés. Reconnaissant Eisenstein, Buñuel, Visconti et Welles comme ses maîtres, Glauber Rocha créa pour cela son cinéma d'auteur et inventa son propre langage intégrant scènes documentaires à une expression de plus en plus baroque et opératique.

Toujours incompris et marginal dans son pays, Rocha ne connut jamais de succès commercial et fut même rejeté par certains critiques et intellectuels.

Né le 14 mars 1938, à Vitoria da Conquista, dans le sertao da Bahia, son éducation est religieuse, sa mère étant une presbytérienne pratiquante. Au lycée, il fait du théâtre ; puis s’inscrit en droit à l’université de Bahia, où il restera pendant trois ans. Il est encore adolescent lorsqu'il part à Salvador, abandonne des études de droit pour devenir journaliste. Journaliste au « Jornal da Bahia », il prend rapidement la tête du supplément littéraire. A l'âge de vingt ans, il utilise des rushes de Redençao de Roberto Pires pour monter son premier court métrage 0 Patio (1959), essai d'avant-garde sifflé par le public mais salué comme " une expérience riche, onirique et surréaliste" par un critique. Il se tourne vers le cinéma d’abord vers la production, puis vers la réalisation. A l’origine seulement producteur du film Barravento (1962), il prend finalement la tête du projet en tant que réalisateur, remplaçant au pied levé Luis Paufino. Le film fait bonne impression dans plusieurs festivals internationaux, et sera remarqué par Alberto Moravia en Italie.

En 1963, Glauber Rocha publie "Révision critique du cinéma brésilien", vrai manifeste du Cinema Novo où il affirme que la culture brésilienne est précaire et marginale, où il détruit les mythes et propose un nouveau cinéma. Pour lui, il suffit "d'une idée dans la tête et d'une caméra à la main". Il théorisera ensuite sa pensée dans deux écrits célèbres : L'esthétique de la faim (1965) et L'aventure de la création (1968), reproduits en langue française dans le numéro 340 de "La revue du Cinéma Image et Son".

Le dieu noir et le diable blond (1964), opéra épique baroque conduit par la musique de Villa-Lobos, primé au Festival du Cinéma Libre de Porreta en Italie, lance Glauber Rocha à travers le monde. Il imagine ensuite la représentation allégorique d'un coup d'État en Amérique Latine, similaire à celui du Brésil en 1964, dans Terre en transe (1967), ce qui lui crée des problèmes avec la censure. Fresque de la perplexité nationale, le film fut sifflé par le public mais obtint le prix Luis Buñuel au Festival de Cannes.

Cancer fut conçu en 1968, au moment le plus intense de l'agitation politique, de la mobilisation populaire contre le régime militaire. Entièrement improvisé en quatre jours, le film n'a pas d'intrigue et montre trois personnages qui discutent de la violence psychologique, sexuelle et raciale en vingt-sept plans-séquences. Antonio das Mortes (1969) constitue le sommet de la consécration mondiale de Rocha car le sujet créa polémique et lui vaut le prix de la mise en scène à Cannes. Portrait de l'injustice et de l'immoralité du pays, le film se fait remarquer pour son rythme lent et pour sa violence roccoco.

Rocha est alors le chef de fille du Cinema Novo qui poursuit les ambitions et les désirs révolutionnaires des nouvelles vagues française (Jean-Luc Godard, François Truffaut, Eric Rohmer...), italienne (Pier Paolo Pasolini), allemande (R. W.Fassbinder), japonaise (Nagisa Oshima, Shohei Imamura...), tchèque (Milos Forman, Vera Simkova,..), polonaise (Roman Polanski, Jerzy Skolimowki, ...) ou encore le “free cinema” anglais (Lindsay Anderson..) de la même période.

Tous ces courants sont passionnément animés par la volonté de faire rupture avec les conventions narratives et esthétiques du cinéma classique, et de politiser les films en les décloisonnnant notamment des schémas habituels de production. Dans ce contexte, l’ambition première de Glauber Rocha, qui postulait le cinéma comme “une interrogation personnelle formulée publiquement”, était la représentation de la domination, du populaire, selon un engagement fougueux : "Le cinéma politique ne veut rien dire s’il est produit par le moralisme, l’anarchie, l’opportunisme. Seul un misérable comme moi pourrait dire que l’art a un sens pour les misérables, et c’est pourquoi je n’ai pas honte de dire que mes films sont produits par la douleur, par la haine, par un amour frustré impossible, par l’incohérence du sous-développement." Ce cinéma authentiquement révolutionnaire, en lutte contre l’axe tout-puissant Hollywood-Cinecittà-Mosfilm, puise ainsi sa force et sa matière dans l’histoire et la culture populaire du Brésil avec une grande importance accordée aux chants et aux danses.

Glauber Rocha, journaliste, critique de cinéma, réalisateur, penseur, écrivain, agitateur culturel, polémique, controversé, est alors très célèbre partout en Europe et notamment en France, à la suite des événements de Mai 1968. Jean-Luc Godard l’invite à jouer dans son film Vent d'Est (1970) où il tient son propre rôle, celui d’un réalisateur impliqué politiquement pour l’Amérique Latine, et prônant une vision révolutionnaire et utopique du cinéma et de la politique d'Amérique Latine. Il joue dans O Rei dos Millagres de Joel Bercellos et Gianni Barcelloni.

Face à une situation politique brimant la liberté d'expression, Rocha s'exile ainsi ,devenant un metteur en scène tricontinental, tournant des films provocateurs, des sujets qui cherchaient toujours à analyser le colonialisme dans les pays sous-développés. Au Congo, il prépare Le lion a sept têtes (1970) au titre en cinq langues (Der leone have sept cabeças). Cette allégorie sur la libération encore à venir de l'Afrique, le renversement de l'impérialisme par le peuple armé du Tiers Monde est remuée par le bruit et la fureur du colonialisme, par l’humour, par un Jean-Pierre Léaud halluciné. En Espagne, et tourne Têtes coupées (1970), une métaphore bizarre sur le pouvoir et les cultures hispanoaméricaines. En Italie, il réalise Claro (1975), film sans scénario, improvisé du début à la fin, où il mêle les acteurs aux gens de la rue dans une Rome impériale et chrétienne, dénonçant le capitalisme et le néo-colonialisme. Le film est conçu avec la lumineuse Juliet Berto, improvisant avec Glauber, dans les années où ils vécurent ensemble à Rome, ensoleillée comme le Brésil.

En 1977, après un séjour aux Etats-Unis, il commence à tourner L’âge de la terre. En 1978, Glauber Rocha est candidat aux élections pour l’Etat de Bahia. La même année, il a un fils, Eryk Rocha, qui deviendra lui aussi réalisateur. L’âge de la terre, une version personnelle et kaléidoscopique du Brésil contemporain et de son évolution, traversée par un certain nombre d'archétypes qui habitaient déjà ses films précédents, est présenté au Festival International de Venise en 1980. Mais il déplaît à la critique ; Rocha fait un scandale, accuse Louis Malle qui reçoit le Lion d’Or pour Atlantic City, d’être un fasciste et un réalisateur de second plan ; il s’en prend aux directeurs du festival qui favoriserait selon lui le cinéma commercial.

Incompris, incohérent, haï, isolé, tourmenté, Glauber Rocha se perd dans son chemin plein de dégoûts, d'errances, de drogues, d'alcools, de prostituées. En 1981, alors qu’il est toujours en Europe, ses problèmes de santé deviennent de plus en plus graves et il est rapatrié à Rio de Janeiro. Quelques mois plus tard, ce poète marginal disparait prématurément à 42 ans, le 22 août 1981.

FILMOGRAPHIE :

Courts-métrages :
1959 : Pátio, A Cruz na Praça
1965 : Amazonas, Amazonas
1966 : Maranhão 66
1968 : 1968
1977 : Di Cavalcanti

Longs-métrages:

1962 Barravento

Avec : Antonio Pitanga (Firmino), Luiza Maranhão (Cota), Lucy de Carvalho (Naína), Aldo Teixeira (Aruã), Lidio Silva (Mestre). 1h18.

Dans l'État de Bahia, au Brésil, un homme noir instruit retourne dans son village de pêcheurs pour essayer de libérer les habitants de leur mysticisme, en particulier la religion Candomblé, qu'il considère comme un facteur d'oppression politique et sociale, avec des conséquences tragiques.

   
1964 Le dieu noir et le diable blond

(Deus e o diabo na terra do sol). Avec : Yoná Magalhães (Rosa), Geraldo Del Rey (Manuel), Milton Rosa (Morales). 2h00.

Le Sertao est une région désertique du Nord-Est du Brésil qui s'étend jusqu'à l'océan. C'est là que vivent, péniblement, Manuel et sa femme Rosa, paysans pauvres que pressure Morales, le grand propriétaire. Humilié, Manuel tue Morales et doit fuir avec Rosa...

   
1967 Terre en transe

(Terra em transe). Avec : Jardel Filho (Paulo Martins), Paulo Autran (Porfirio Diaz), José Lewgoy (Felipe Vieira). 1h43.

A Eldorado, pays imaginaire d'Amérique du Sud, Paulo Martins, à l'agonie, revoit sa vie et, revit dans une représentation allégorique le Coup d'État de 1964 au Brésil. Pour lui, le conflit social résultait d'un héritage colonial qui mêla plusieurs cultures, religions et partis. Intellectuel et militant, il hésitait entre les différentes forces politiques d'Eldorado qui se disputaient son appui...

   
1969 Antonio das Mortes

(O dragao da maldade contra a santo guerreiro). Avec : Maurício do Valle (Antonio das Mortes), Odete Lara (Laura). 1h40.

Antonio das Mortes est un ancien tueur de Cangaceiros. Le colonel Horacio, riche propriétaire terrien, le convoque pour se débarrasser de Coirana, un pauvre agitateur qui se prend pour un grand Cangaceiro.

   
1970 Le lion a sept têtes

(Der leone have sept cabeças). Avec : Baiack (Zumbi), Aldo Bixio (Le mercenaire), Giulio Brogi (Pablo), Hugo Carvana (Le Portuguais). 1h43.

Allégorie sur la libération encore à venir de l'Afrique, le renversement de l'impérialisme par le peuple armé du Tiers Monde

   
1970 Têtes coupées

(Cabezas cortadas). Avec : Francisco Rabal (Díaz), Marta May (Soledad), Rosa Maria Penna (Dulcinéa), Emma Cohen (La danseuse gitane), Luis Ciges (Le mendiant aveugle). 1h34.

Dans son château, quelque part dans le Tiers Monde, Diaz délire. Il rêve de la puissance qu'il avait dans Eldorado, tandis qu'il opprimait les Indiens, les travailleurs et les paysans. Il est conscient de la menace de ses anciennes victimes représentent pour lui aujourd'hui. Il est fasciné et effrayé par un berger faiseur de miracles. Diaz trouve une paysanne, symbole de pureté, et prépare une cérémonie dans son château qui ressemble à son propre enterrement.

   
1972 Câncer

Avec : Odete Lara, Hugo Carvana, Antonio Pitanga, Rogério Duarte, Hélio Oiticica, Eduardo Coutinho, José Medeiros . 1h26.

Conçu en 1968, au moment le plus intense de l'agitation politique, de la mobilisation populaire contre le régime militaire. Entièrement improvisé en quatre jours, le film n'a pas d'intrigue et montre trois personnages qui discutent de la violence psychologique, sexuelle et raciale en vingt-sept plans-séquences.

   
1973 Histoire du Brésil

 

(História do Brasil co-réal.: Marcos Medeiros). 2h46
   
1975 Claro

Avec : Juliet Berto, Mackay, El Cachorro, Jirges Ristum, Tony Scott Tony Scott, Luis Waldon . 1h51

film sans scénario, improvisé du début à la fin, où les acteurs se mêlent aux gens de la rue dans une Rome impériale et chrétienne, dénonçant le capitalisme et le néo-colonialisme.

   
1979 Jorge Amado no Cinema

 

Documentaire. Avec : Jorge Amado, Zélia Gattai (Eux-mêmes). 0h50.
   
1980 L'âge de la terre

(A idadeda terra). Avec : Maurício do Valle (Brahms), Jece Valadão (Le Christ indien), Antonio Pitanga (le Christ noir). 2h20.

Une projection symbolique et personnelle du Brésil contemporain. Le personnage principal, John Brahms, sorte d'Antéchrist annonce l'Apocalypse : "Ma mission est de détruire la Terre, cette planète petite et pauvre", clame-t-il. Face à lui, on retrouve quatre cavaliers aux allures de Christ, représentatifs de la diversité des races et des cultures : l'Indien, le Militaire, le Guérillero et le Nègre, ce dernier missionnaire d'une nouvelle espérance pour le Tiers-Monde…