J'accuse

2019

Genre : Biopic

Avec : Jean Dujardin (Georges Picquart), Louis Garrel (Alfred Dreyfus), Emmanuelle Seigner (Pauline Monnier), Grégory Gadebois (Henry), Hervé Pierre (Général Gonse), Wladimir Yordanoff (Général Mercier), Didier Sandre (Général Boisdeffre), Melvil Poupaud (Maître Labori), Eric Ruf (Sandherr), Mathieu Amalric (Bertillon), Laurent Stocker (Général de Pellieux), Vincent Perez (Maître Leblois), Michel Vuillermoz (Du Paty de Clam), Vincent Grass .(Général Billot), Denis Podalydès (Maître Demange). 2h12.

5 janvier 1895 : Dans la cour de l'École militaire de Paris, Le capitaine Dreyfus est dégradé. Le condamné crie son innocence. La foule insulte le juif. Les officiers ont les mêmes préjugés antisémites notamment le commandant Marie-Georges Picquart et son supérieur, le colonel Jean Sandherr, chef du bureau du renseignement, qui dissimule avec grand peine les tremblements aigus dont il est agité.

Marie-Georges Picquart va ensuite rendre compte à ses chefs des réactions face à cette dégradation publique. Le général Mercier, ministre de la guerre, le félicite pour le rôle qu'il a tenu dans cette affaire jusqu'à la condamnation par le tribunal d'Alfred Dreyfus, le 22 décembre 1894, à l’unanimité des juges, à la dégradation et à la déportation à perpétuité en Guyane pour haute trahison. Le général insiste même pour que Dreyfus soit envoyé sur L'île du diable où personne ne le verra plus et où il ne parlera à personne.

Face à ses amis, l'avocat Louis Leblois et sa femme, Martha, ainsi que sa maitresse, Pauline Monnier, Picquart se sent mal à l'aise. Il se souvient de l'attitude droite de Dreyfus quand, professeur de topographie à l'École supérieure de guerre, il était son élève.

Le 15 juillet 1895, le général Gonse annonce à Georges Picquart que la maladie de Jean Sandherr l'empêche de tenir son poste. Il est promu chef de la section de statistique (service de renseignement militaire) au grade de lieutenant-colonel, au détriment d’Henry, qui ambitionnait d’obtenir le poste. Picquart découvre le bâtiment du contre-espionnage français dans un état de délabrement inquiétant, transformé en un infâme tripot.

Méfiant et jaloux, Henry s'arrange pour que les documents récupérés par ses contacts, comme Marie Bastian, ne soient pas transmis à Picquart, jusqu'à que celui-ci lui en donne l'ordre express. Picquart se rend alors lui-même dans l'église où Marie Bastian dépose le contenu de la corbeille à papier diplomate allemand Schwartzkoppen.

En mars 1896, Picquart récupère ainsi un télégramme (le « petit bleu ») dans lequel le diplomate allemand Schwartzkoppen informe le commandant Esterhazy qu’il souhaite rompre ses relations avec lui, jugeant ses activités d’espionnage insuffisantes. Intrigué, Picquart obtient des échantillons de l'écriture d'Estherázy, et constate que l’écriture de ce dernier est la même que celle du bordereau de 1894. Picquart se souvient:

Fin septembre 1894, le fameux bordereau qui déclenche l'affaire Dreyfus est remis, déchiré par Marie Bastien à Henry. Adressé à l'attaché militaire Maximilian von Schwartzkoppen par un inconnu, et rédigé en français, ce document contient des informations relevant du secret défense. En octobre 1894, les soupçons se portent sur Dreyfus. Chargé de comparer l’écriture de Dreyfus et celle du bordereau, du Paty en conclut que les points communs suffisent à justifier une enquête approfondie. Les autorités militaires le nomment alors responsable de l’enquête officielle. Le 15 octobre, il convoque Dreyfus au ministère après avoir soigneusement préparé la rencontre. Prétextant une blessure à la main, il demande à Dreyfus d’écrire à sa place une lettre qui reprend des éléments du bordereau. Bien que Dreyfus refuse de se reconnaître comme l’auteur du bordereau, du Paty lui annonce son arrestation pour haute trahison et il lui offre une arme : en vain, parce que Dreyfus n’a pas l’intention de se suicider.

Lors du procès de décembre 1894, les tests graphologiques interprétés par Alphonse Bertillon sont les seules "preuves" à charge. Celui-ci fournit un rapport soutenu par la thèse, qu’il vient de créer à l’occasion, de "l’autoforgerie" et qui prétend expliquer que Dreyfus a rédigé la note en imitant sa propre écriture mais en y introduisant volontairement des différences. Appelé à témoigner lors du procès à huis clos de Dreyfus en conseil de guerre, Henry accable le suspect : "Le traître que nous recherchions, c’est lui ! Je le jure !"

Fin mars 1896. Alors persuadé que le commandant Esterhazy est le vrai coupable, Picquart fait surveiller l'ambassade pour avoir des preuves et confie sa filature à un agent de la sûreté. Il voit finalement Esterhazy sortir un papier à la main. Le général Billot, ministre de la guerre, l'informe qu'Esterhazy a fait deux demandes pour revenir à l'état major et ainsi probablement mettre la main sur des secrets d'importance qu'il pourra revendre.

Le colonel Jean Sandherr meurt et Picquart récupère les clés d'un coffre dans lequel il découvre le fameux rapport secret qu'il avait lui-même porté au juge chargé du procès de Dreyfus. Il est consterné par ce qu'il y trouve : un montage d'éléments de deux lettres, retouchées et imitées, qui tendait à prouver que le militaire et diplomate italien Alessandro Panizzardi, s’adressant à Schwartzkoppen, décrivait Dreyfus comme un traître à la France : il demande à son correspondant de ne pas révéler qu’il était en relation avec « ce juif ».

Picquart s'en ouvre au général Gonse qui lui ordonne de ne pas parler de l'affaire. De même Les autorités militaires placées sous le commandement du général Auguste Mercier ordonnent que l'affaire soit étouffée

En janvier 1897, Picquart est transféré en Tunisie au 4e régiment de tirailleurs algériens. Craignant pour sa vie, Picquart décide de rentrer en France. Des fuites auprès des députés de gauche conduisent à relancer l'Affaire. Il rencontre Clemenceau, Zola et se déclare prêt à être arrêté car les autorités militaires feront tout pour nier leur implication. Picquart est traduit en 1898 devant un conseil d'enquête qui le réforme pour faute grave.

13 janvier 1898 : Zola publie J'accuse, dans L'Aurore. Le colonel Picquart est condamné à soixante jours de forteresse et incarcéré au mont Valérien.

En février 1898, le procès d’Émile Zola devant la Cour d'assises de la Seine aboutit à sa condamnation à la peine maximale pour diffamation, soit un an de prison ferme et 3 000 francs d’amende. Picquart dénonce le vide du dossier secret et ses soupçons vis à vis de Henry. Celui-ci le provoque en duel. Picquart le blesse au bras.

Le 26 février 1898, accusé d'avoir fabriqué la preuve contre Ferdinand Walsin Esterhazy, Picquart est emprisonné pendant près d'un an. Sa liaison avec Pauline est dévoilée et la contraint au divorce.

Le 30 août 1898, le colonel Henry ayant avoué son forfait, il est emprisonné au fort du Mont Valérien. Le lendemain, il est retrouvé mort dans sa cellule, la gorge ouverte de deux coups de rasoir.

En juin 1899: Alfred Dreyfus quitte l'île du Diable et Picquart obtient un non-lieu. Le 7 août 1899, le procès d'Alfred Dreyfus est ouvert devant le Conseil de guerre de la Xe région militaire de Rennes. 14 août, l'avocat Fernand Labori est victime d'une tentative d'assassinat. Le 8 septembre : Edgar Demange plaide seul car Fernand Labori a renoncé à sa plaidoirie dans l'intérêt de Dreyfus. Alfred Dreyfus est à nouveau condamné, à dix ans de réclusion, mais cette fois, avec « circonstances atténuantes ».

Picquart rencontre Pauline Monnier et lui affirme que Dreyfus devrait refuser la grâce que lui promet le président de la République. Il reste techniquement coupable et devra attendre plus longtemps sa réhabilitation que s'il reste en prison. Pauline a divorcé. Elle refuse le mariage que finit par lui proposer Marie-Georges. Elle dit préférer qu'ils restent libres chacun.

Des cartons informent qu'Alfred Dreyfus est réhabilité en juillet 1906. Picquart est réhabilité le même jour que Dreyfus et nommé général de brigade. Il devient ministre de la Guerre trois mois plus tard dans le premier gouvernement de Clemenceau

En 1907, Dreyfus demande audience à Picquart pour obtenir que ses cinq années de prisons soient prises en compte dans son ancienneté et lui donne le grade qu'il aurait dû avoir. Picquart refuse pour, dit-il, éviter de nouveaux troubles. Il s'en excuse auprès de Dreyfus reconnaissant que c'est grâce à lui qu'il est devenu ministre. Dreyfus lui répond sobrement que ce n'est que parce qu'il a fait son devoir

Un carton nous informe que les deux hommes ne se reverront plus.

Il y avait jusqu'à présent deux grands récits au sujet de l'affaire Dreyfus. Le premier est celui de la dignité de Dreyfus dans les souffrances qui lui ont été imposées depuis son premier procès en 1894 avant qu'il soit gracié en 1899 et réhabilité en 1906. Le second grand récit est la lutte pour la vérité et la justice menée par Emile Zola contre les militaires et les politiciens de la 3e république et qui portera Clémenceau au pouvoir. Roman Polanski met cette fois au centre du récit, un personnage jusque là secondaire, le colonel Picquart, dont l'engagement pour la cause de la vérité fut risqué et finalement gagnant. Au sein, d'une narration qui s'appuie sur le solide travail du romancier anglais Robert Harris, Polanski dessine les traits d'un homme qui, se sentant humilié d'être mis de côté d'une carrière glorieuse, se met au service de la vérité comme son ultime chance de grandeur. Les décors architecturaux, le casting et le récit en flashes-back seront ses principaux moyens de mise en scène pour tenir ce propos

Par quoi Picquart est-il guidé ?

D'après Wikipedia, jusqu'en 1896, lorsqu'il est impliqué dans l'affaire Dreyfus, Picquart est l'objet d'appréciations des plus élogieuses de la part de la hiérarchie militaire : "aimable et sympathique", intelligence "supérieure", éducation "parfaite" et culture "très étendue". C'est bien pour ces qualités que, dans le film de Polanski, le général Gonse le nomme chef de la section de statistique (service de renseignement militaire) au grade de lieutenant-colonel. Ce grade jamais atteint encore par un militaire à cet âge, Picquart l'obtient au détriment d’Henry, qui ambitionnait d’obtenir le poste.... mais qui avait le tort d'avoir épousé la fille d'un aubergiste et n'avait pas la prestance suffisante pour être à  la tête du renseignement militaire.

Fils d'une musicienne, Picquart est un amoureux des arts et des lettres qui va au théâtre, au concert et aux expositions de peinture. Il donne ainsi rendez-vous au chef de la sureté au département des sculptures grecques du Louvre et devant, la copie romaine d'une statue grecque perdue, lui fait la leçon pour différencier un faux d'une copie. Picquart fréquentait aussi le salon musical du frère de Georges Clemenceau, Paul, fréquenté par Maurice Ravel, Paul Painlevé et Gustav Mahler dont il était l'ami. Une scène du film le représente ainsi dans un tel salon, entouré de personnalités, dont l'une jouée par Polanski, lors d'une interprétation du quatuor pour piano et cordes n° 2 de Gabriel Fauré.

Si Picquart apprécie sa promotion, il n'en est pas moins dégouté par l'état de délabrement du bâtiment. Polanski insiste particulièrement sur ce qui ne pourrait être qu'un détail apparent de l'histoire : un bâtiment presque abandonné en plongée; un gardien toujours assoupi et dans un état de santé encore pire que le bâtiment ;  des policiers braillards au rez-de-chaussée et des bureaux ternes et sombres : Picquart essaie vainement, deux fois, d'ouvrir la fenêtre de son bureau.

La grandeur, Picquart la retrouve dans l'église où Marie Bastian dépose le contenu de la corbeille de l'attaché militaire d'Allemagne. Cette longue séquence d'attente n'a en effet qu'une utilité dramatique anecdotique. Elle ne justifierait pas une telle longueur si, par la lumière qui inonde l'église, elle n'avait aussi pour but d'exprimer le caractère sacré que Picquart peut enfin trouver dans son métier et que, désormais, il n'abandonnera plus.

Il est peut-être un peu excessif de trouver dans les plans sur deux bâtiments, l'un délabré, l'autre inondé de lumière, le noyau intime de ce qui allait conduire à réparer l'une des plus grandes erreurs judiciaires. Pourtant, c'est bien le sentiment profond d'un homme qui, pour Polanski, est le moteur de l'histoire. C'est en effet aussi ce que suggère le choix du casting et une construction dramatique en flashes-back.

Des acteurs et des trognes

Le choix de Jean Dujardin pour le rôle de Picquart est particulièrement éclairant. Loin d'être un saint laïque, Picquart apparaît comme un homme aux potentiels divers qui aurait aussi bien fait un général sans état d'âme qu'un politique. Cette ambigüité, ces destins possibles sont aussi le fait de l'acteur Jean Dujardin, capable de tous les rôles. Il est par ailleurs le seul personnage doté d'une vie amoureuse avec la belle et intelligente Pauline, interprétée par Emmanuelle Seigner, la compagne de Polanski. Sur ce versant privé, ils font preuve d'une même liberté de choix au sein des contraintes sociales de leur époque.

De la très longue lettre ouverte de Zola, Polanski ne retient que  la fin; la célèbre anaphore des "J'accuse" :

"J’accuse le lieutenant-colonel du Paty de Clam d’avoir été l’ouvrier diabolique de l’erreur judiciaire, en inconscient, je veux le croire, et d’avoir ensuite défendu son œuvre néfaste, depuis trois ans, par les machinations les plus saugrenues et les plus coupables. J’accuse le général Mercier de s’être rendu complice, tout au moins par faiblesse d’esprit, d’une des plus grandes iniquités du siècle. J’accuse le général Billot d’avoir eu entre les mains les preuves certaines de l’innocence de Dreyfus et de les avoir étouffées, de s’être rendu coupable de ce crime de lèse-humanité et de lèse-justice, dans un but politique et pour sauver l’état-major compromis. J’accuse le général de Boisdeffre et le général Gonse de s’être rendus complices du même crime, l’un sans doute par passion cléricale, l’autre peut-être par cet esprit de corps qui fait des bureaux de la guerre l’arche sainte, inattaquable. J’accuse le général de Pellieux et le commandant Ravary d’avoir fait une enquête scélérate, j’entends par là une enquête de la plus monstrueuse partialité, dont nous avons, dans le rapport du second, un impérissable monument de naïve audace. J’accuse les trois experts en écritures, les sieurs Belhomme, Varinard et Couard, d’avoir fait des rapports mensongers et frauduleux, à moins qu’un examen médical ne les déclare atteints d’une maladie de la vue et du jugement".

Polanski se permet de remplacer les experts en écriture cités par Zola par le seul Bertillon qui fut effectivement le plus redoutable. Mais c'est surtout pour lui l'occasion de faire des plans accusateurs successifs sur les personnages. C'est moins le texte de Zola que l'on entend que les trognes militaires éberluées que l'on retient avec une mention particulière pour le général Billot dans sa baignoire! Une grande partie de l'intérêt du film réside en effet dans le choix de sociétaire de la comédie française dont le jeu théâtral dramatise le piège qui se referme autour de Dreyfus un peu comme Dumont l'avait fait dans Jeanne.

Les flashes-back pour remettre l'histoire au présent

La dramaturgie du film, très scrupuleuse vis-à-vis des faits historiques, est rythmée par des flashes-back. Au déroulement scolaire des faits, Polanski substitue le souvenir des faits. Ils adviennent alors comme des révélations intimes déclenchant l'action. Ainsi du procès dont Picquart se rappelait de la démonstration de Bertillon et l'illégalité du dossier secret. Ces faits, vécus comme banals à l'époque, sont alors revécus comme des faits inadmissibles. De même, les tortures infligées à Dreyfus que Picquart, ne trouvant pas le sommeil, visualise avec des lettres retenues par la censure de Dreyfus adressées à sa femme, Lucie.

Cette interprétation de l'histoire au sein des émotions d'un personnage est plus sensible, que celle que propose Polanski de manière plus traditionnelle. Ainsi l'atmosphère violemment antisémite est-elle rendue de manière un peu conventionnelle. Lors de la dégradation des cris fusent et lors du second procès les inscriptions anti-juives sur les vitres et l'autodafé donnent un peu l'impression de reprendre des images déjà vues de l'hystérie qui s'est emparée de l'Allemagne lors de la nuit de cristal.

L'épilogue glaçant vient plus heureusement confirmer que Picquart recherchait la grandeur au travers de la poursuite de la vérité. Devenu ministre, Picquart n'a que faire des justes revendications de Dreyfus quant à sa progression de carrière. Il est redevenu un militaire aux ordres du pouvoir.

Que Polanski privilégie l'intime comme moteur de l'histoire rend d'autant plus dommageable qu'il soit incapable, personnellement, de s'exprimer aux sujet des violences qu'il a commis après des femmes et dont elles subissent l'injustice depuis si longtemps.

Jean-Luc Lacuve, le 24 novembre 2019

Source : LE COURS DE L'HISTOIRE par Xavier Mauduit. L'histoire sur grand écran (1/4) : "J'accuse !" de Roman Polanski, qu’en pensent les historiennes et les historiens ?