Habemus papam

2011

Cannes 2011  : Compétition officielle Avec : Michel Piccoli (le Pape), Nanni Moretti (Le psychanalyste), Jerzy Stuhr (Le porte-parole), Renato Scarpa (Cardinal Gregori), Margherita Buy (La psychanalyste), Franco Graziosi (Cardinal Bollati), Camillo Milli (Cardinal Pescardona), Roberto Nobile (Cardinal Cevasco), Gianluca Gobbi (le garde suisse, doublure du pape), Ulrich von Dobschütz (Cardinal Brummer), Dario Cantarelli (L'acteur fou). 1h42.

Après la mort du Pape, le Conclave se réunit afin d'élire son successeur. Le choix semble devoir se faire entre les cardinaux Gregori, Aguila et Bikila. Mais les cardinaux, déjà plongés dans le noir dès leur entrée dans la chapelle Sixtine du fait d'une panne d'électricité, sont indecis et tous redoutent d'être élu. Les journalistes et les fideles attendent une fumée blanche, croient la voir, mais c'est une fumée noire qui sort. Plusieurs votes sont nécessaires. Soudain, c'est sur le cardinal Melville qu'une grande majorité de votes se portent. Encouragé par les cardinaux qui chantent, Melville accepte son élection. Il est habillé en pape, se dirige vers le balcon où la foule l'attend. Assis sur une chaise, il entend le cardinal Bollati annoncer aux fidèles enthousiastes "Habemus papam". C'est alors que le pape crie son impuissance à faire un pas de plus. La foule ne peut que contempler un grand vide noir entre les deux rideaux rouges du balcon alors que Bollati se retire piteusement.

Le cardinal Gregori et le porte-parole, Marcin Rajski, tentent vainement de l'amadouer. Rien n'y fait : le pape refuse d'apparaitre au balcon. Le porte-parole convoque alors le psychanalyste le plus célèbre de la ville pour débloquer la situation. Mais le psychanalyste ne peut parler seul au pape, toujours entouré de la curie. De plus, il n'a le droit de parler ni des rêves, ni de la sexualité de son patient qui par ailleurs n'a aucun doute sur sa foi.

Le psychanalyste renonce. Il indique au porte-parole que seul un psychanalyste ne sachant pas qui il a en face de lui et libre de l'interroger comme il le souhaite pourrait aider le pape. Il parle de son ex femme, la meilleure après lui, obsédée par la "carence de soin", explication qu'elle sert à tous ses patients comme cause de leurs troubles. Le porte-parole l'écoute... et l'enferme dans une chambre particulière : nul n'a le droit de sortir du Vatican tant que l'identité du pape n'est pas révélé à l'extérieur. Le soir, Gregori vient visiter les cardinaux dans leur cellule afin de leur souhaiter bonne nuit. Le pape crie sa douleur. Bollati, malgré ses médicaments, est aussi réveillé par des angoisses dans la nuit.

Au matin, trois cardinaux gourmands, qui s'apprêtaient à prendre leur petit déjeuner en ville, se font réprimander par le cardinal Gregori. Ils n'ont pas le droit de sortir tant que le pape ne s'est pas présenté publiquement au balcon. Le porte-parole décide de suivre les conseils du psychanalyste et de conduire le pape, incognito, dans le cabinet d'une psychanalyste en ville. Le pape, en sortant, explique au porte-parole consterné que la thérapie durera certainement plusieurs années. Il souhaite marcher...et disparait soudain aux yeux de ceux chargés de le suivre. le pape en habit de ville et incognito court dans les rues de Rome en repensant à ce que lui a dit la psychanalyste. Il s'agit de l'ex femme du premier puisqu'elle a immédiatement servi au pape l'explication d'un manque de soins affectif de la part de sa mère pour expliquer son état.

Le porte-parole n'avoue pas aux cardinaux avoir perdu le pape et les trompe, ainsi que la foule amassée place saint Pierre, en demandant à un garde-suisse de la corpulence du pape de passer, telle une ombre, derrière les rideaux de la chambre papale éclairée.

Les cardinaux sont rassurés par les fausses bonnes nouvelles du porte-parole qui leur fait croire que le pape va de mieux en mieux. Ils supportent, en jouant aux cartes, en lisant ou en faisant du sport, leur réclusion forcée.

De son côté, le pape rencontre un acteur fou dans l'hôtel où il réside et parvient à s'incruster dans la troupe impressionnée par sa connaissance de Tchekhov. Acteur raté n'ayant pas réussi à entrer au conservatoire dans sa jeunesse, il se sent enfin à sa place. Il donne de ses nouvelles au porte-parole mais refuse de rentrer.

Le psychanalyste pour soutenir le moral du pape et des cardinaux organise un match de volley dans la cour du vatican. Sa grille comporte les équipes Europe A et Europe B, Amérique du Nord, Amérique du sud, Asie, Afrique et Océanie. le cardinal Pescardona le convainc de ne aps faire jouer les gardes-suisses qui seraient certain de l'emporter. Les matches sont des matchs de poules pour que le tournoi dure plus longtemps mais les cardinaux refusent l'idée d'un match retour. Lorsque l'Océanie, équipe réduite à trois joueurs marque un point, tous se réjouissent.

Le porte-parole, après une ultime tentative auprès du pape, comprend qu'il ne rentrera pas tout seul. Il convoque les cardinaux qui abandonnent le volley à la grande consternation du psychanalyste. Le porte-parole rallie les cardinaux à sa proposition pour surmonter la crise. Seul Pescardona, qui comprend que cette voie ramènera le pape et empechera de jouer la demi-finale, vote contre.

Au théâtre, le pape assiste à la représentation de La mouette. Mais les portes grincent et les acteurs doivent s'interrompre. Les cardinaux investissent la salle, l'acteur fou récite tout le texte, la salle applaudit le pape. Reconnu pour ce qu'il est, un spectateur de théâtre, le pape accepte de suivre les cardinaux et apparait au balcon de Saint Pierre.

Mais son discours ne satisfait personne. Il n'est pas celui qu'il faut pour guider le peuple.

Les cinq thèmes abordés dans le film, la religion, le théâtre, les médias, la psychanalyse et le sport ont déjà été traités de nombreuses fois par Moretti. La religion dans La messe est finie (1985) où Moretti interprétait un prêtre qui, finalement, n'arrive pas à rendre service et part en Patagonie ; le théâtre dans Je suis un autarcique (1976) ; les médias dans Palombella Rossa (1989) et Le Caïman (2006), la psychanalyse dans La chambre du fils (2001). Le sport enfin est une constante dans l'œuvre de Moretti depuis la gymnastique et le football dans Je suis un autarcique , le football et la natation dans La messe est finie ou le water-polo dans Palombella Rossa.

Pourtant, jamais autant que dans ce film, ces thèmes n'ont concourus, ensemble, à un message plein d'humour et bienveillance sur ce que pourrait être aujourd'hui une nouvelle forme du pouvoir.

Quel besoin est-il d'un habemus papam ?

Moretti avait clôturé son Caïman, œuvre de combat politique contre Berlusconi par l'image de celui-ci, telle une ombre noire maléfique en premier plan assis dans sa voiture alors que se déclenchait derrière lui l'insurrection fasciste à laquelle il avait appelé après sa condamnation par les tribunaux.

Moretti interprétant Berlusconni dans deux photogrammes du dernier plan du Caïman

Pourtant Le Caïman n'a pas empêché l'élection de Berlusconi à la présidence du conseil italien. Moretti c'est donc mis en recherche, avec ce scenario singulier, d'une autre forme de réquisitoire contre le pouvoir politique. Au dernier plan du Caïman répond le plan le plus singulier d'Habemus Papam : au balcon de cathédrale Saint Pierre de Rome, cet espace vide et noir entre deux rideaux rouges après le retrait piteux du cardinal suite au cri primal du pape. Ce plan sera repris, en contre-plongée vu par une caméra de télévision depuis la place, lors d'une retransmission télévisée que le pape verra depuis sa chambre d'hôtel.

Après la terrible présence diabolique du chef dans Le Caïman répond ici le retrait, la démission de l'homme de pouvoir qui laisse sans guide le peuple désemparé. C'est ce thème majeur du refus du chef pour qu'émerge un pouvoir collectif, collaboratif et partagé que Moretti met en scène autour de ses cinq thématiques habituelles.


Le pouvoir de l'église et la mécanique médiatique.

Le pouvoir politique, thème majeur du film n'est pas abordé directement. Sont épinglés dans un bref extrait de radio les plus m'as-tu-vu, Sarkozy et Lula, mais Berlusconi est délaissé au profit du pouvoir de l'église, incarnation d'un pouvoir supraterrestre. Afin d'élever son propos à une hauteur dépassant l'anecdote, c'est ainsi au travers de la hiérarchie catholique et de son cérémonial que Moretti développe son attaque du pouvoir.

La religion elle-même n'est pas attaquée. Aucun propos anticlérical n'est tenu. Certains croient, d'autres non, mais le dialogue entre eux est possible et courtois. Mieux même, Moretti semble valider la grâce qui préside à l'élection du pape. Le choix de Melville apparait bien comme décidé par Dieu lui-même.

Même l'église y apparait comme une classe politique bien plus sympathique que nos politiciens, tous assoiffés de pouvoir. Les cardinaux sont décrits comme de grands enfants inconscients des responsabilités qui sont les leurs. En proie à de profondes angoisses plus ou moins conscientes, les cardinaux sont terrorisés à l'idée d'assumer le pouvoir. Leur comportement enfantin est souligné plusieurs fois. Un cardinal tente de tricher sur son voisin qui a déjà inscrit un nom. Les cardinaux dansent en frappant dans leurs mains lorsque le garde-suisse diffuse de la musique à partir de sa chaine stéréo. Ils ne sont alors pas très loin des moines décrits par Rossellini dans Les Fioretti. Les cardinaux font des mines réjouies en adressant un salut au pape qu'ils croient derrière ses rideaux et sont tout content lorsque le pape s'apprête à parler. Les seuls à être gentiment moqués ce sont les fidèles, dont un groupe est toujours cueilli dans le même plan rapproché, prêts à acclamer n'importe quel pape pour n'importe quel discours.

L'attaque contre les médias est toute aussi primesautière. Ainsi de ce journaliste tentant une interview en pleine cérémonie officielle ou ne sachant reconnaitre la couleur de la fumée. Le porte-parole apparait comme le garant d'un ordre désincarné, d'un fonctionnement mécanique. Le système médiatique révèle sa vacuité lorsque le théologien doit avouer ne pas savoir quelle signification du retrait du pape après son élection on peut bien tirer du fait qu'il soit le premier des fidèles tout aussi bien que le dernier.

La psychanalyse et le théâtre

La psychanalyse semble ici être violemment attaquée. Ni le meilleur psychanalyste ni la seconde meilleure psychanalyste ne parviennent à expliquer ou modifier l'aphasie du pape. Etre "les meilleurs" ne suffit pas où alors si l'on accepte trois séances par semaine pendant plusieurs années. De plus, la parole de la psychanalyste se révèle particulièrement creuse avec sa formule de la carence de soins qu'elle ressert à tous ses patient. Ici, le pape aurait ressenti dans son enfance un déficit d'attention maternelle... Ce dont il se moquera bien en se régalant d'un beignet chez le pâtissier.

Pourtant l'écoute qu'ils ont offerte, l'un et l'autre au pape, a permis d'éclairer deux points essentiels. Le pape a accepté son élection parce qu'il s'est senti entouré par le chant des cardinaux et que sont alors venus à lui en pensée tous ses proches. Une fois le chant terminé, tous ceux qu'il sentait à côté de lui se sont retirés. Se sentant solitaire, le pape n'a plus réussi à accepter sa charge. De même, c'est en discutant avec la psychanalyste que le pape se souvient de son désir d'être acteur qu'il avait jusque-là enfoui après son échec au conservatoire.

Moretti fait peu de cas de la parole "pleine", explicative, détenue par ceux qui se sont auto désignés comme les meilleurs (la consanguinité est telle que sa femme n'a pu retrouver qu'un psychanalyste comme nouvel petit ami), la psychanalyse n'en demeure pas moins un processus valide pour faire surgir ce qui a été oublié et traumatisant. Médicaments, somnifères et anxiolytiques puissants, n'empêchent pas le cardinal Bollati d'être réveillé par ses angoisses. On notera enfin que les pulsions de gourmandise sont particulièrement moquées chez les prêtres, incapables de canaliser autrement leurs désirs : gourmandise carnassière des trois cardinaux et goinfrerie du garde suisse, doublure du pape.

Le théâtre de Tchékhov, théâtre empli de personnages qui ont renoncé ou renoncent a particulièrement marqué le pape qui connait par cœur les répliques de La Mouette. Il rêve de jouer Dorn, le médecin de campagne, mais en est sans cesse écarté, et ce malgré le dérangement mental de l'acteur de la pièce car tous voient bien qu'il est mauvais acteur (c'est probablement là que Piccoli est le plus savoureux), recalé au conservatoir. Melville, pour tout le reste, tel le personnage de Bartleby dans la nouvelle éponyme, est condamne à répéter "je préférerais ne pas" tant il se sent en inadéquation avec le monde. Le théâtre, lieu d'échange et d'écoute entre acteurs, est ici particulièrement malmené pris entre la folie de l'acteur principal qui s'agite pour faire tout, tout seul, et la menace du pouvoir dans cette scène terrifiante où cardinaux et gardes-suisses investissent le théâtre.

Le volley-ball, métaphore de la fièvre collective, contre la violence du pouvoir

Le psychanalyste qui, sans vraiment convaincre, s'est imposé parmi les cardinaux par sa lecture de la dépression dans la Bible, par sa ruse au jeu de cartes et son commentaire des paris sportifs, leur propose d'occuper leur temps de réclusion forcée en faisant une partie de volley afin de soutenir le pape par leur démonstration d'énergie.

Face à la complexité du monde théâtral ou politique, le sport est le lieu des gestes décisifs (le penalty à la fin de Palombella Rossa permettrait à l'équipe de gagner le championnat) ou d'un accord avec le monde (le match de football avec des figurines dans Je suis un autarcique, l'enfant dans la piscine de La messe est finie). L'échec de Don Giulio à jouer au football avec les enfants dans La messe est finie est prémonitoire de son échec final.

Le waterpolo et le football étaient aussi des sports collectifs mais guidés précédemment par une envie de gagner qui ne mettait pas en évidence la valeur du groupe. Ici, toute prétention chauvine est évacuée: il n'y aura pas d'équipe d'Italie. Ici, même la force des équipes n'a pas à être égale : l'Océanie devra faire avec ses trois joueurs. L'important est de donner une dimension mondiale, au sport que l'on est train de pratiquer. Ainsi seront constituées des équipes par continent. Enfin et surtout, il s'agit d'un sport aérien, par nature collectif, puisque les passes y sont prépondérantes.

Moretti magnifie par des ralentis les gestes des joueurs, leur investissent qu'il soit réussi (les contres des cardinaux africains) ou ratés (le renvoi au point préparé par la cardinal de l'équipe Europe B qui rate la balle d'un bon mètre). Les sœurs exultent lors des quelques points superbement marqués.

Ce grand moment de passion vécue ensemble est hélas stoppé par le retour du porte-parole qui décide d'une stratégie aussi intelligente et mystérieuse que d'une redoutable douce violence pour faire revenir le pape au Vatican. Cette décision est expliquée hors champ sonore et visuel et le psychanalyste en est tellement ébahi qu'il laisse tomber son ballon alors que le cardinal Pescardona, le seul qui tenait à jouer les demi-finales, est le seul à voter contre sachant qu'elle a toutes les chances de fonctionner.

Combinant psychanalyse et théâtralité cette stratégie consiste à reconnaitre le pape pour ce qu'il est en profondeur, un spectateur de théâtre assis au balcon, de l'applaudir dans ce rôle et, une fois la névrose levée, ne lui laisser d'autre choix que de revenir faire l'acteur au balcon de saint pierre. Le pouvoir politique ne s'embarrasse pas de dérégler le spectacle de théâtre et d'agir avec une violence certes symbolique mais glaçante avec ces gardes-suisses ouvrant brusquement les rideaux derrière chacune des loges. Si la stratégie a fonctionnée en surface, elle n'a pourtant pas modifié l'âme du pape qui prononce un discours de renoncement d'autant plus définitif qu'il ne démissionne pas laissant chacun des fidèles sans chef pour longtemps.

Au sein de cette démonstration de l'inefficacité du pouvoir individuel du chef, surgissent quelques scènes de pures réconciliations avec le monde. Ainsi cette ballade le soir dans le tram romain où le pape annone son discours devant des passagers intrigués ou en proie à une rupture amoureuse. Ainsi la chanson de la chaine stéréo redécouverte "live" avec la chanteuse réelle dans la rue par le pape. Ainsi la rencontre du pape avec les jeunes de la rue attendant de lui un message surplombant qu'il est incapable de leur donner.

Ces simples scènes disent la beauté du monde lorsqu'il est guidé par la surprise, la découverte et la communion des sentiments non dictés par les décisions et la violence du pouvoir.

Jean-Luc Lacuve le 11/09/2011