Les tontons flingueurs

1963

Avec : Lino Ventura (Fernand Naudin), Bernard Blier (Raoul Volfoni), Francis Blanche (Maître Folace), Claude Rich (Antoine Delafoy), Pierre Bertin (Adolphe Amédée Delafoy), Robert Dalban (Jean), Jean Lefebvre (Paul Volfoni), Horst Frank (Théo), Charles Regnier (Tomate), Mac Ronay (Bastien), Venantino Venantini (Pascal), Sabine Sinjen (Patricia), Jacques Dumesnil (Louis le Mexicain). 1h45.

Fernand Naudin, ex-truand rangé, est appelé d'urgence par un des anciens "frères d'armes" qui lui a gardé toute sa confiance : surnommé "le Mexicain", ce dernier est mourant et veut charger Fernand non seulement de ses affaires mais aussi de veiller sur sa fille Patricia. Héritage très lourd, car les affaires en question sont plutôt louches - un tripot, une distillerie clandestine et une maison close ! - et convoitées par toute la bande qui secondait le Mexicain (notamment Théo et les frères Volfoni, Raoul et Paul) ; quant à Patricia, c'est une écervelée qui ne pense qu'à Antoine - un jeune snob tout aussi superficiel...

Dans la difficile besogne qui consiste à mettre tout ce beau monde au pas, Fernand est heureusement aidé par Maître Folage - le notaire qui administre les biens du Mexicain - ainsi que par Pascal, son fidèle garde du corps, et par Jean, son non moins fidèle majordome qui surveille les frasques de Patricia tout en apprenant l'anglais...

Mais à force de coups bien placés, de pièges bien tendus et de torts bien redressés, Fernand se tire à merveille de ce double rôle de caïd et de père noble ! Cependant, il ne regagnera pas tout de suite sa tranquille province, car il lui faut encore organiser le mariage de Patricia et d'Antoine - lesquels ont juré de ne plus faire de bêtises ! Et c'est finalement à coté de l'église où se déroule la cérémonie que va avoir lieu le tout dernier et gigantesque règlement de comptes avec Raoul, Théo et les autres !

Michel Audiard trouvait la scène de la cuisine inutile et elle faillit bien ne jamais exister. C’est Georges Lautner qui l’a rétablie en hommage à Key Largo (John Huston, 1948), film noir dans lequel on voit des gangsters accoudés à un bar évoquer avec nostalgie le bon temps de la prohibition. Les acteurs ayant remplacé les boissons neutres du tournage par de vrais alcools, les scènes devinrent de plus en plus réalistes ce qui explique aussi le nombre de prises de vues nécessaires à cette scène.

Outre le sel des répliques d'Audiard (« Il chante, puis crac, un bourre-pif. Mais il est complètement fou, ce mec ! Mais moi, les dingues, je les soigne. Je m’en vais lui faire une ordonnance… et une sévère. Je vais lui montrer qui c’est, Raoul. Aux quatre coins de Paris, on va le retrouver éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop, je correctionne plus, je dynamite, je disperse, je ventile ! »), l'un des ressorts comiques du film tient dans les astuces utilisées pour masquer à Patricia et son ami Antoine (Claude Rich), ainsi qu'au père de ce dernier, la véritable situation.

Avec Michel Audiard aux dialogues, Georges Lautner transpose à l’écran un roman de la Série noire d’Albert Simonin : Grisbi or not grisbi. Il s’agit de la suite des aventures de Max le Menteur, dont l’histoire commence en 1953 avec Touchez pas au grisbi ! adapté par Jacques Becker. Combiner au cinéma le comique truculent de la langue verte (l'argot) et l'ambiance d'un roman noir, comme l'était celui d'Albert Simonin, relève de l'impossible. Ainsi, de grandes libertés ont dû être prises avec l'œuvre originale (notamment par Simonin lui-même puisqu'il a travaillé à l'adaptation cinématographique). Si la trame principale de ce troisième volet des aventures de Max le Menteur est conservée — la succession du Mexicain, la lutte avec les Volfoni —, les personnages de Maître Folace ou de la jeune Patricia et de son fiancé Antoine n'appartiennent qu'au film. Dans le même ordre d'idées, l'affrontement entre Max et les Volfoni est sanglant dans le roman de Simonin, et traité sous l'angle comique dans le film de Lautner. Mais l'esprit du style rédactionnel, c'est-à-dire un livre entièrement écrit en argot, se retrouve dans les dialogues concoctés par Michel Audiard. Parmi les adaptations de la trilogie simonienne seul Touchez pas au grisbi conserve le ton du film noir, tandis que Le Cave se rebiffe (Gilles Grangier, 1961) est réalisé dans un esprit toutefois un peu moins truculant que Les tontons flingueurs.

Michel Audiard aurait préféré comme titre Le terminus des prétentieux, expression que l’on retrouve dans une réplique de Raoul Volfoni : "Il entendra chanter les anges, le gugusse de Montauban. Je vais le renvoyer tout droit à la maison mère, au terminus des prétentieux !" Mais ses partenaires le jugèrent trop pompeux. Le titre Le terminus des prétentieux apparaîtra en manière de clin d’œil sur un fronton de cinéma dans un film ultérieur de Lautner, Flic ou voyou (1979).

Jean Gabin fut un temps pressenti pour tenir le rôle de Fernand Naudin. Il posa cependant de telles exigences (il souhaitait imposer son équipe de techniciens) qu’il ne fut pas retenu, au grand soulagement de Michel Audiard avec lequel il était momentanément fâché à l’époque. Le choix se porta un temps sur Paul Meurisse, mais celui-ci déclina le rôle pour raisons de santé. Il apparaît toutefois quelques secondes dans la scène finale. À l'origine, Lino Ventura ne se voyait pas tenir ce rôle du fait de l'aspect comique des personnages, convaincu qu'il ne serait pas crédible dans ce genre de composition.

Georges Lautner n’a utilisé qu’un seul thème musical, réalisé par Michel Magne et interprété dans différents styles musicaux (baroque, rock, valse, etc.), y compris le fameux piano-banjo à chaque bourre-pif de Fernand. Ce thème est restreint aux quatre notes du bourdon de Notre-Dame (dont l'enchaînement n'est pas sans rappeler les premières notes du refrain de Tout va très bien Madame la Marquise, fox-trot populaire et humoristique) et même la sonate présentée dans le film comme étant de Corelli est l'œuvre de Michel Magne qui s'en est toujours amusé.

Le film fut éreinté par la critique et en particulier par Henry Chapier ("Vous pavoisez haut... mais vous visez bas)". Il ne fut pas un énorme succès populaire dès sa sortie en salle puisqu’il ne déplaça que quatre cent cinquante mille spectateurs en six mois dans Paris et sa périphérie, ce qui n’a rien d’exceptionnel. Mais sa réputation n’a fait que croître au fil des années et il est depuis passé quinze fois à la télévision et s’est vendu à deux cent cinquante mille exemplaires lors de sa sortie en DVD en 2002

Source : Wikipedia