I wish, nos voeux secrets

2011

Thème : Famille

14e festival du film asiatique de Deauville 2012 (Kiseki). Avec : Koki Maeda (Koichi), Ohshirô Maeda (Ryunosuke), Nene Otsuka (la mère), Joe Odagiri (Le père), Ryôga Hayashi, Cara Uchida, Kanna Hashimoto, Rento Isobe, Hoshinosuke Yoshinaga. 2h09.

Kagoshima, 7h30 du matin, sur l'île de Kyushu. Koichi, 12 ans, essuie sur ses meubles la poussière de cendres qui retombe du volcan Sakurajima, tout proche. Sa grand-mère demande à sa fille si elle imite bien le serpent.

La musique s'élève quand Koichi part retrouver ses copains sur le chemin de l'école. Koichi est bien d'accord avec Mlle Sachi, la jolie documentaliste : pourquoi avoir placé l'école si haut, au sommet de la colline ?

En classe, le jeune professeur est fort mécontent des travaux de ses élèves qui n'ont guère parlé dans leur dissertation de leur futur métier. Il leur demande maintenant de parler de leur père, ou de leur mère si c'est celle-ci qui les élève. Mais les jeunes élèves s'insurgent : n'est-ce pas une atteinte à la vie privée ? Surtout pour Koichi qui, depuis le divorce de ses parents, vit seul avec sa mère, revenue chez ses parents alors que son jeune frère, Ryunosuke, est resté vivre avec son père, musicien, à Fukuoka au nord de l'île. Le professeur assure Koichi de toute sa sympathie, ce que celui-ci trouve aussi lourd qu'inutile.

En dépit de leurs vies différentes, les deux frères se parlent souvent au téléphone. Ils se téléphonent ainsi de leur piscine respective. Ryunosuke ne regrette pas la séparation car ses parents se disputaient tout le temps. Il aime à se nourrir de boulettes de poulpes qu'il s'en va acheter au marchand du coin. Le grand frère, plus nostalgique, rentre seul en bus. Le soir, il rêve de la famille réunie dans le parc... mais il est soudain dérangée par une immense corne de plâtre.

Ryunosuke, le matin, soigne ses plantes et mange une tomate. Il réveille son père guitariste, nettoie la maison des détritus qu'il met dans une poubelle et conseille à son père de se rendormir pendant que lui-même court vers l'école. Dans celle-ci, la jeune Megumi rêve de devenir actrice mais, puisqu'il y a déjà une jeune prodige dans sa classe, cela ne lui barre-t-il pas la route ?

A Kagoshima, le grand-père est un retraité solidaire qui rêve de redonner vie aux commerces du quartier. Dans le cours de chimie, Koichi, stupéfait, apprend de deux de ses camarades que l'énergie générée par le croisement de deux trains sur la ligne nouvelle de TGV peut faire qu'un désir se réalise. Avec ses deux amis, Makoto et, Takumi, il se rend au centre de documentation et découvre que les trains se croiseront à Mizunata dans le département de Kumamoto. La documentaliste les surprend et leur conseille gentiment de goûter au tartare de cheval, la spécialité du coin. En rentrant, ils voient disparaitre une grand-mère après le passage de deux trains ce qui semble ainsi confirmer la puissance magique de ces croisements.

A Fukuoka, Ryunosuke fait ses devoirs dans la salle de répétition où se préparent son père et ses amis musiciens. Il demande à son père ce qu'est un audit : "c'est inutile donc je supprime" résume celui-ci en s'en attristant car "il doit rester de l'inutile". "Oui, mais de l'inutile tout seul, ce n'est pas bon" fait lucidement remarquer Ryunosuke en rappelant à son père que sa femme le menaçait toujours de le soumettre à un audit public. Cela n'empêche pas Ryunosuke d'encourager chaleureusement son père et les musiciens puis de vendre les disques du groupe à la caisse du concert.

A Kagoshima, le grand-père le soir se plaint de n'avoir à offrir que de la mauvaise bière. Sa femme reproche aux hommes de faire pipi à côté. Le grand-père expose son projet pour sauver la galerie marchande du quartier : faire "le karukan du TGV" décliné sur le modèle de gâteau de riz qu'un grand magasin du centre ville à popularisé sous le nom de fondant fondant.

Les deux frères se téléphonent. Koichi demande à son frère de surveiller le père alors que lui même surveille sa mère. Il craint ce que sa grand-mère a appelé un "retour de flammes" lorsqu'elle a appris que sa fille allait retrouver un ancien condisciple. La grand-mère s'inquiète des légumes que ferait pousser Ryunosuke sous la conduite de son père ; serait-ce du pavot ?

Koichi, dans sa chambre peint le badaboum, l'éruption du volcan, qui obligerait la famille à déménager et à rejoindre le père à Fukoama. La mère a finalement accepté un emploi de caissière. Koichi accompagne son grand-père au magasin de karukans. Ils le goûtent dans une grande roue et, au retour, achètent les ingrédients nécessaires, des ignames et du sucre cristal.

Makoto, Takumi et Koichi exposent leurs souhaits : être champion de baseball, épouser Mlle Sachi, provoquer le badaboum pour retrouver sa famille.

Megumi ramène ses amis de l'école chez elle, dans la chambre au-dessus du café que tient sa mère. L'une souhaite une éducation allégée et être capable de faire de beaux dessins, une autre de devenir le motard masqué.

Le grand-père prépare les karukans avec Koichi. Les ignames doivent être râpées en cercle. Koichi trouve leur gout incertain puis douçâtre. Le grand-père pense que c'est à cause du sucre cristal. Ses amis, le soir, retrouvent le jugement de Koichi, le gout est incertain. Ils lui conseillent de parfumer le karukan à la fleur de cerisier puisque ce sera le nom du TGV et de le teindre en rose. Le grand-père s'y refuse. Koichi appelle son père au téléphone. Celui-ci lui conseille de s'intéresser à quelque chose qui dépasse sa propre vie.

Lorsque les deux frères se téléphonent, Ryunosuke déclare ne pas vouloir quitter ses légumes et ils se disputent. La vie s'écoule, Makoto joue au baseball, alors que, chez le père de Ryunosuke, une fête est organisée à laquelle participent Megumi et la fille aux dessins. La mère rencontre ses amis. Nostalgique, elle téléphone à son fils et celui-ci lui avoue brutalement qu'il a craint qu'elle ne l'aime pas puisqu'elle a dit qu'il ressemblait à son père et qu'elle l'a quitté. La mère pleure sous les yeux de Koichi qui voit surtout qu'elle est ivre.

Les billets pour Kumamoto doivent maintenant être achetés. L'amoureux offre la sonnette à Mlle Sachi. Il faut trouver 12 240 yens à trois et être prêt pour un croisement qui aura lieu à 6h40. Dix yens, trouvés par terre, ne sauraient suffire. La vente de livres échoue, faute d'accord parental écrit. Mais celle des jouets d'enfance s'avère plus lucrative que prévue. Koichi sacrifie son abonnement à la piscine.

Ryunosuke extorque la moitié de l'allocation isolée de son père qui devra se résoudre à repousser l'achat d'une nouvelle guitare.

Koichi sollicite l'aide de son grand-père. Ota, l'infirmière, aide les enfants à frauder. Le grand-père vient un peu tôt chercher Koichi et ses deux amis. Makoto arrive en retard. Son chien, Marble, est mort. Il l'emmène avec lui et troque son rêve de champion de baseball contre la résurrection du chien. Makoto, Takumi et Koichi grimpent les escaliers de la gare de Kagoshima et s'exclament joyeusement "c'est parti !"

Les quatre prennent aussi le train. Ryunosuke voit le couple uni avec deux enfants qui lui donne la nostalgie de la famille réunie. Dans le train, l'employé leur conseille le tartare de cheval.

Les deux groupes d'enfants se retrouvent. Ils admirent un champ de fleurs, des cosmos, mais s'interrogent d'où voir les trains et où dormir. Rento n'arrive pas à suivre les autres, partis à l'assaut des hauteurs du supermarché. Elle est arrêtée par un policier. Plus tard, elle fait semblant de ne pas reconnaitre ses petits camarades pour pas les compromettre. Le policier croit que Megumi les conduit chez sa grand-mère. La vieille femme accepte de joueur ce rôle ainsi que son mari, émerveillés, l'un et l'autre par la ressemble de Megumi avec leur fille qui vient si rarement les voir. Le soir, les enfants préparent la bannière qu'ils déposeront au croisement de deux trains. Ils y écrivent leur souhait : Marble, jambes, dessin, Badaboum... Ryunosuke inscrit comme vœu son seul nom. La grand-mère coiffe Megumi qui lui rappelle les jours heureux.

A Kagoshima, le grand père prévient la mère. Les frères se partagent les miettes. Koichi offre à son frère les gâteaux du grand-père dont il trouve le gout incertain. Koichi lui fait remarquer qu'à la fin, c'est le goût suave qui s'impose.

Au petit matin, la voiture des deux vieilles personnes emporte les enfants. Koichi est heureux. Ils disent qu'ils ne pouvaient rien souhaiter d'autre que leur visite la veille.

Les deux trains se croisent ; que papa arrête de jouer, le dessin explose. Makoto constate que c'est foutu : le chien est plus froid que la veille. Koichi avoue qu'il a choisi le monde plutôt que la famille et Ryunosuke que son père réussisse. Ils ramènent des biscuits au tartare de cheval.

En rentrant, Ryunosuke constate avec surprise que son père est déjà levé. Il va passer à la télé. "Vous pouvez me remercier, c'est grâce à moi" s'exclame-t-il.

Koichi regarde le volcan, sent d'où vient le vent avec son doigt mouillé et déclare : "Aujourd'hui, il n'y aura pas de cendre."

Plus de deux heures pour une comédie pour l'enfance n'est-ce pas un peu trop long ? Une telle ampleur n'est-elle qu'au service d'une suite d'anecdotes cherchant à nous faire partager la saveur du monde de l'enfance ? Selon que l'on réponde par oui ou par non, on trouvera le film ou simplement plaisant ou tout simplement splendide et inoubliable. Le beau message sur l'enfance qu'offre le film est délivré sans exhiber sa mise en scène mais au sein d'une structure narrative plus mystérieuse qu'il n'y parait, ponctuée d'images étranges et émouvantes qui constituent les rimes d'un grand poème humaniste.

Aimer quelque chose qui dépasse sa propre vie

Le film s'ouvre et se clôt par Koichi sortant sur son balcon. La première séquence le montre à 7h30 du matin époussetant le balcon puis ses affaires d'école de la poussière qui tombe du volcan Sakurajima. Durant tout le film, Koichi ne cessera de se plaindre de cette poussière qui symbolise son exil loin de la ville d'Osaka où la famille était autrefois réunie. Il n'a alors qu'un seul but : réunir sa famille, fut-ce au prix de la destruction du monde, ou du moins de Kagoshima rayée de la carte par la lave qui la recouvrira après l'explosion du volcan. La dernière séquence, le montre sortant du balcon observant le volcan puis levant le doigt comme le font les autochtones pour saisir le sens du vent et savoir à quoi s'en tenir sur les poussières. Ayant observé le monde, il l'accepte enfin, renonce à son rêve puéril d'une réconciliation comme unique clé de son bonheur. Cette morale du ressourcement dans l'acceptation d'une nature aussi belle qu'indifférente était déjà une constante dans le cinéma de Ozu et pas seulement dans Bonjour (1959), son film sur l'enfance le plus connu.

Ce changement d'attitude, Koichi en a eu la révélation au croisement des deux trains où il est resté muet alors que défilaient dans son esprit les images mentales montrant la splendeur des petits riens de l'existence qui font la beauté du monde. Son père lui avait dit au téléphone: "Je souhaite que tu deviennes quelqu'un qui aime quelque chose qui dépasse sa propre vie : la musique ou le monde". "Qu'est- ce que le monde ?" avait demandé Koichi. "Tu comprendras un jour" avait espéré le père. Et c'est bien ce choix d'aimer le monde, c'est à dire d'apprendre à le voir, que Koichi fait comme vœu plutôt que de revenir à la famille.

Une structure intégrant les miracles et le conte

Toute la structure du film est emportée par ce message essentiel. Elle peut se décomposer en cinq parties : l'espoir du miracle de la réunion de la famille (1), le doute lucide que cela ne marchera pas (2), la mise en place du plan pour partir (3), le départ et les miracles du champ de cosmos et de la rencontre avec les vieilles personnes (4), le croisement des trains et ses conséquences lors du retour des enfants (5).

Si les parties 1, 3 et 5 font une large place à l'espièglerie et l'esprit d'entreprise des enfants, les parties 2 et 4 sont plus mystérieuses. La deuxième partie s'ouvre quand, attelé à ramasser la poussière dans son collège, Koichi semble soudain ne plus y croire. Takumi est las de n'imiter son champion de base-ball qu'en mangeant du curry comme lui et Makoto s'aperçoit que son chien est bien vieux. Megumi n'est que figurante dans le tournage publicitaire où sa rivale est déguisée en banane (et, en plus, charmante, pratiquant l'ironie sur son propre rôle), Rento s'entraine à la course mais est dépassé par de fringants coureurs et s'en va se consoler devant la vitrine du pâtissier.

La quatrième partie est celle où ont lieu les vrais miracles du film. Le champ de cosmos trouvé par hasard, aussi bien semble-t-il par les enfants que le cinéaste, est comme la grâce qui surgit au milieu d'une préparation minutieuse. La rencontre avec les vieilles personnes qui les accueillent parce que Megumi ressemble à leur fille est traitée sur le mode du conte merveilleux. Les couleurs orangées baignent les enfants attablés sous l'œil bienveillant de ces parents retrouvant les jours heureux de la famille.

Le champ de cosmos
Un souhait qui explosera en images du monde

La cinquième partie est celle de la révélation plus que du miracle. Chacun des enfants est amené à affirmer son vœu ou à le transformer s'il était trop superficiel. Makoto avait transformé son souhait de champion de base-ball en possible résurrection du chien sans y croire lui-même, preuve que les enfants ne sont pas dupes du stratagème qu'ils mettent en place. Ce jeu entrepris avec le sérieux de l'enfance est ressenti comme une aventure collective et une méditation sur soi-même plus que dans l'espérance d'un gain hypothétique. Seule la jeune fille aux dessins reste accrochée à son souhait premier qui ne sera pas davantage exaucé. Rento souhaite de meilleures jambes pour courir et non des objets de collection. Takumi transforme son rêve amoureux vis à vis de la jolie documentaliste en espoir que son père cesse de jouer. Ryunosuke qui n'avait écrit que son nom sur la bannière fait le vœu généreux et désintéressé que son père réussisse. Megumi s'accroche à son rêve de devenir actrice mais sa rencontre de la veille lui fera comprendre, lors de son retour, qu'il s'agit aussi de préserver un minimum de relations familiales. Koichi enfin voit son volcan exploser en autant d'images mentales que la vie est belle et choisit le monde plus que la famille.

Métaphores culinaires et images douces-amères

Ces trajets des sept enfants, différents pour chacun d'eux en fonction de son âge et de son histoire, respectent ainsi les différences et en fait un des rares films choral sur l'enfance, bien loin de visions stéréotypés de La guerre des boutons ou même de La petite bande.

Les grands-parents son traités sur le mode du burlesque (la grand- mère et ses danses indonésiennes, le grand-père retraité solidaire) ou du conte (les vieilles personnes de Kumamoto).

Les parents sont dépeints avec plus d'éléments psychologiques. La compassion exprimée par le professeur ou le chagrin de la mère contrastent avec le dynamisme, l'espièglerie et la capacité de changement des enfants. La solide main du professeur sur l'épaule de Koichi est finalement de bien peu de poids dans sa transformation. La mère en rentrant de sa soirée avec ses collègues achète un petit canard jaune qui lui donne la nostalgie de l'enfance. Il sera posé en évidence sur la table lorsqu'elle téléphone à Ryunosuke en s'épanchant plus que de raison. Finalement, seul le père, parce qu'il s'est mis en retrait de l'éducation de son fils pour se consacrer à sa musique, parait un modèle possible d'indentification pour ses enfants.

Koichi devra se défaire pour cela des visions toutes faites du bonheur familial qu'il plaque sur la maman et son jeune fils faisant bonjour au frère plus grand à la piscine ou du couple parfait avec deux enfants que Koichi regarde avec nostalgie en quittant la gare. Non décidemment, le rêve qu'il fit une nuit de la famille réunie dans un parc d'Osaka mais dérangée avec une étrange corne de plâtre, ce n'est pas le monde réel.

En finir avec les rêves d'autrefois...
... pour gouter la saveur du monde

Message complexe, structure mystérieuse et images mentales exposent le film au risque que ses spectateurs n'en saisissent pas toute la saveur. Il ne s'agit pas ici d'exploiter le goût touristique pour le tartare de cheval, spécialité trop connue de Kumamoto. A première vision, le film peut donner l'impression d'une émotion incertaine comme le diront d'abord du goût des karukans, Koichi, les amis du grand-père puis Ryunosuke. Le grand père refuse pourtant de leur donner un goût ou une couleur rose artificielle. Car, ce qui se dégage ensuite des gâteaux, c'est l'impression de douceur et de suavité. Sans doute faut-il être pour cela un spectateur suffisamment adulte, comme le fait remarquer Koichi à son grand père pour expliquer la déception qu'a ressentie le jeune Ryunosuke. Un bon film comme un bon gâteau s'apprécie davantage lorsqu'on y revient.

Jean-Luc Lacuve, le 17/05/2012 après la séance de Ciné-club au Café des Images.

Note sur la géographie japonaise : Kyushu est la troisième plus grande et la plus méridionale des quatre îles principales du Japon. Elle est considérée comme le lieu de naissance de la civilisation japonaise. L'île est montagneuse et possède le plus grand volcan actif du Japon, le mont Aso, qui culmine à 1 226 m.

Kagoshima (environ 600 000 habitants) est le chef-lieu de la préfecture du même nom, la plus au sud de l'île. On la surnomme, la Naples de l'Orient, vu sa localisation sur la baie de Kagoshima et sa proximité avec le volcan Sakurajima. Fukuoka (environ 1 400 000 habitants) est le chef-lieu de la préfecture de Fukuoka à la pointe nord de l'île dont elle est la ville principale avec un port et un centre important d'industries lourdes.

La ligne Kyushu Shinkansen est une ligne de chemin de fer à grande vitesse d'une longueur de 257 kilomètres entre Fukuoka et Kagoshima, achevée le 12 mars 2011.

L'île de Kyushu
Fukuoka au nord, Kagoshima au sud